Interview de Philippe Pochet, politologue spécialiste du dialogue social, des politiques sociales et des questions de l’emploi est professeur à l’UCL et directeur del’Observatoire social européen.
Peut-on parler d’une Europe sociale ?
D’une part, nous pouvons affirmer que des politiques sociales sont menées au niveau européen mais celles-ci n’ont toutefois jamais formé un ensemblecohérent en étant interreliées. D’autre part, à côté de ces politiques, l’Europe se dote d’objectifs qui constituent une forme de patrimoineeuropéen et qui sont mis en œuvre de façon volontaire au niveau national. L’Europe n’a, en effet, pas été construite autour d’un idéalsocial. Ce dernier est un dérivé de l’économie et reste, dès lors, largement du ressort des États membres. Mais le social n’est jamaiscomplètement abandonné non plus : il est toujours présent dans les discours tout en étant rarement suivi de la mise en œuvre de véritables politiquessociales.
Lorsque l’on parle du modèle social européen, il s’agit d’un idéal type qui ne correspond pas à l’ensemble des États membres, nipeut-être à une majorité d’entre eux. De plus, ce modèle se définit généralement par ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire unmodèle social américain ; il est, en effet, difficile de le définir de façon positive. On peut toutefois le caractériser par quatre éléments : unrôle important pour les politiques publiques au niveau de l’État ainsi que pour les partenaires sociaux, une sécurité sociale importante en pourcentage du PIB et,enfin, la volonté d’obtenir des outputs. Ce dernier élément est lié à la stratégie de Lisbonne ; des performances souhaitables pourl’Europe telles qu’un haut taux d’emploi, un bas taux de pauvreté et l’égalité entre les hommes et les femmes (…) sont, en effet, mises en exergue.Le souhait que ces performances soient rencontrées se retrouve d’ailleurs dans différents textes européens.
Quel lien feriez-vous entre les politiques européennes pour l’emploi et l’État social actif ?
Avant toute chose, notons qu’aucun des thèmes présents dans la Stratégie européenne pour l’emploi n’a été inventé au niveaueuropéen. L’activation n’est, par exemple, pas très neuve dans les discours. En Belgique, il y avait, en effet, déjà des forces politiques telles que le CVP etle PSC qui, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, insistaient sur la nécessité de balancer les droits et les devoirs. Le niveau européen permet toutefoisd’introduire dans le vocable des « mots clés », tel que celui d’activation, qui sont, dès lors, plus ou moins exportés dans les discours au niveaunational. On peut parler d’un véritable renforcement par le discours européen qui maintient ces vocables à l’agenda via, entre autres, les plans d’actionsnationaux. Cette proximité ne permet toutefois pas d’expliquer les politiques nationales de façon directe.
Même si le niveau européen influence les mœurs politiques nationales, les différents États membres n’agissent pas de façon identique. En effet, si onregarde les types d’activation, on remarque que l’on fait de « l’activation à la belge » qui n’a rien à voir avec le contrôle deschômeurs au Royaume-Uni ou dans les pays scandinaves.
Comment peut-on, dès lors, caractériser le « modèle d’activation à la belge » au regard des autres modèles européens ?
Les mesures belges sont souvent ressenties par les nationaux comme dérangeantes et intrusives alors que, comparativement aux autres États européens, elles sont trèsbénignes : on ne peut pas parler d’un véritable contrôle social. Le contrôle danois est, par exemple, dix fois plus fort que le contrôle belge. De plus, nouspouvons dire que le discours belge est incomplet, il manque une partie de l’aide ; il faut, par exemple, attendre parfois six mois pour recevoir une formation. Par contre, au Danemark oùle contrôle social est très important et où le statut de chômeur est un statut dont il faut sortir, l’État impose de suivre des formations en se donnant lesmoyens d’en proposer.
Qu’implique le concept d’activation en termes de vision du chômage ?
Le concept d’activation ainsi que d’autres mots clés montrent que l’on a adopté un diagnostic particulier de ce que sont les raisons du chômage. Cesdernières ne sont plus vues comme une question de demande de travail, que l’on peut résoudre en diminuant le nombre d’heures à prester par l’individu, mais, aucontraire, comme une question d’offre. La volonté de diminution du taux de chômage dans un tel cadre de pensée implique un souci d’aider l’individu àobtenir une véritable qualification.
Comment changer la politique européenne de l’emploi pour la rendre meilleure ?
D’une part, la politique européenne de l’emploi peut être meilleure si on organise des discussions contradictoires qui associent les différents acteurs. De plus, lapolitique de l’emploi doit faire l’objet d’évaluations scientifiques rigoureuses et non faites à moitié par les États membres ou la commission, commec’est trop souvent le cas aujourd’hui. Ceci devrait permettre d’avancer de façon réflexive.
D’autre part, pour le moment, on continue à réfléchir sans faire du stratégique, on ne prend pas assez en compte les changements dans notre environnement (nouveauxpays émergents…). Il s’agit dès lors de se demander de quelle manière on veut définir des règles du jeu communes au niveau international, comment onveut définir dans ce cadre nos règles de vivre ensemble et enfin, comment on va organiser une série de modernisations.
Enfin, quand on parle de l’emploi, on ne parle que rarement du travail. Or, il est opportun de se demander quelle est la qualité de l’emploi, les rythmes de travail… Ilfaut donc regarder l’emploi sans oublier l’importance des conditions de travail qui doivent permettre à l’individu de s’épanouir dans son activité.
Propos recueillis par Matthieu Burnay et Céline Race