Des enfants « non malades » sont hospitalisés. La prise en charge hospitalière vient souvent pallier le manque de places dans les services de l’Aide à la jeunesse. L’accueiln’est pas adapté à ces enfants. Tour d’horizon à Tournai et regard sur Verviers
Au site Notre-Dame de l’hôpital de Tournai1, service Pédiatrie, quatre enfants sont actuellement hospitalisés alors qu’ils ne sont pas malades. Dont un depuis troismois. Face à l’engorgement des services de l’Aide à la jeunesse, les hôpitaux sont régulièrement sollicités pour prendre en charge ces enfants, le temps detrouver une solution plus adaptée. Tournai ne fait pas figure d’exception. Toute la Fédération Wallonie-Bruxelles est touchée par ce phénomène, à desdegrés divers. Impossible de donner des chiffres précis. En 2011, selon la Direction générale de l’Aide à la jeunesse, 254 enfants avaient été pris encharge à l’hôpital. Un chiffre qui reflète mal la réalité. Parmi eux, certains nécessitaient des soins. D’autres enfants, pris en charge d’initiative parl’hôpital le temps de réaliser une enquête sociale, n’apparaissent pas dans les statistiques.
C’est en se tournant vers des acteurs de terrain, comme Laurence Collard, pédiatre à l’hôpital de Tournai, que l’on peut en savoir plus. Cette dernière constate une« augmentation du nombre de cas depuis deux ans ». Quant au chef du service Pédiatrie de Notre-Dame, Jean-Philippe Stalens, il estime que cela concerne, dans sonétablissement, de dix à vingt enfants par an. Souvent des bébés, mais parfois des enfants plus âgés.
Comment ces enfants échouent-ils à l’hôpital ? Il y a tout d’abord les situations découvertes par le personnel hospitalier. « L’enfant est amené pourdes difficultés médicales – par exemple une gastroentérite – et nous découvrons des signes de maltraitance. Nous faisons un bilan psychosocial qui peut nousamener à contacter le Service d’Aide à la jeunesse (SAJ). Car même si l’enfant est réintégré dans sa famille, cela doit se faire de manièreencadrée par le SAJ. Dans d’autres cas, l’enfant devra être retiré de sa famille » explique Hélène Rey-Fernandez, assistante sociale àl’hôpital de Tournai. Autre hypothèse, la plus courante, celle du placement en urgence, en week-end ou dans la nuit. Le substitut du procureur du Roi, alerté le plus souvent parla police, peut décider d’un placement d’urgence de 24 heures, généralement pour des cas de maltraitance ou de négligence grave, découverts sur le terrain. Puis lejuge de la Jeunesse peut prolonger le placement. L’enfant peut-être accueilli à l’hôpital jusqu’à ce qu’une solution de plus long terme soit trouvée.
La prise en charge d’urgence
Pendant une prise en charge dite « d’urgence », un enfant peut résider à l’hôpital. Cette procédure, qui concerne les enfants « dontl’intégrité physique et psychique » est menacée, est décrite à l’article 39 du décret du 4 mars 1991 relatif à l’Aide à lajeunesse.
Le juge de la Jeunesse peut décider de placer l’enfant pour une durée de 14 jours. Le conseiller de l’Aide à la jeunesse cherche une solution négociée avec lesparents. Si, au terme des 14 jours, il n’en trouve pas, la mesure de placement peut être prolongée de 60 jours. Dans cet intervalle de 74 jours, le juge peut constater avec le Conseillerqu’aucune solution négociée ne peut être obtenue. Il pourra donc, à l’issue d’une audience sur le fond, décider d’une mesure de placement contrainte (article 38).C’est ensuite au directeur de l’Aide à la jeunesse d’appliquer la mesure et de trouver la solution adaptée à l’enfant. Là, aucune durée légale ne vientencadrer cette recherche.
Les durées totales de prise en charge peuvent être longues : durée d’enquête sociale menée par l’hôpital, puis procédure d’urgence (74 jours maximum),puis application de la mesure de placement et recherche de la solution appropriée. Toutes ces périodes cumulées peuvent se compter en mois d’hospitalisation. Surtout lorsqu’ontient compte de l’engorgement des services de l’Aide à la jeunesse. « Trouver la prise en charge adéquate à la sortie de l’hôpital prend plus de temps queça ne devrait. Mais c’est un peu inévitable, car il y a des listes d’attente de six mois dans les services », rappelle Guy De Clercq, directeur de l’Aide à la jeunesseà Tournai2.
Enfin, à des fins d’exhaustivité, précisons qu’il arrive parfois que l’Office de la naissance et de l’enfance, des services sociaux, voire le SAJ lui-même, envoient cesenfants aux urgences. C’est ce que nous apprend Laurence Collard : « Si un parent est alcoolique, ou s’il y a de gros problèmes de logement et qu’il y a des négligencesenvers l’enfant, l’ONE, ou d’autres, nous les envoient. On hospitalise l’enfant quand on est inquiets, pour des raisons X ou Y, on invente un peu. Puis on lance l’enquêtesociale. »
La dérive de l’hospitalisation sociale
L’accueil d’enfants en danger à l’hôpital n’est pas intrinsèquement contesté. Le Dr Stalens estime que l’hôpital est « probablement l’institution lamoins inadaptée à l’accueil de ces enfants en urgence. La structure est ouverte tout le temps, accueille tout le monde. D’une certaine manière, s’occuper d’un enfant en danger,cela relève de la pédiatrie. Mais on aimerait bien que ça ne soit pas pour de longues périodes. Au-delà de 14 jours, c’est problématique. En hiver, parexemple, le service est rempli, les infirmières sont débordées, il y a un problème de place pour les enfants malades. » Un avis que partage Guy De Clercq :« Au départ, il y a en général une raison médicale à l’hospitalisation. Qu’il s’agisse de maltraitance ou de négligence grave. Le problèmequi se pose c’est lorsque l’enfant, au vu de sa santé, ne nécessite plus une prise en charge à l’hôpital. »
Certains insistent sur le fait que ce type d’accueil n’est pas vraiment compris dans les missions de l’hôpital. Laurence Collard en fait partie. Elle regrette que« l’hôpital devienne un lieu d’accueil d’urgence spécialisé, à cause du manque de place dans les centres d’urgence de l’Aide à la jeunesse et du manque desuivi des dossiers ». Selon elle, les effets de longues hospitalisations sont néfastes : « Les enfants s’ennuient. Les infirmières font ce qu’elles peuvent maiselles ne sont pas payées pour occuper ces enfants. » La pédiatre a même l’impression que l’hôpital devient une solution toute faite pour les autoritésmandantes « qui se disent « tiens, l’hôpital est là » ».
Dans des services spécialis&
eacute;s comme l’Accueil familial d’urgence3, on adhère pleinement à ces constats. Il faut dire que le service est souventsollicité pour sortir des enfants de l’hôpital. Ces « hospitalisations sociales » proviennent, selon Julie Blondiau, psychologue au service, « del’énorme déficit de services pour les tout-petits ». Des hospitalisations « qui ne sont une solution pour personne », dénonce-t-elle.« Le personnel des hôpitaux est débordé. De plus, ces enfants ne reçoivent pas de soins, ils ne rapportent donc pas grand-chose à l’hôpital,détaille Julie Blondiau. Quant aux enfants, ils n’ont que peu d’accès à l’extérieur, ils font face au roulement continu du personnel hospitalier, ils sont peustimulés, le rythme de vie n’est pas du tout adapté et, de surcroît, beaucoup d’enfants finissent par tomber malades. Il y a même des cas de dépressions liéesau milieu hospitalier. »
Laurence Collard confirme que les enfants, au contact avec des enfants malades, « finissent par attraper plein de petites maladies. » Toutefois, l’hôpital fait desefforts pour ces enfants. « Il y a une institutrice qui vient dans l’hôpital. Quand le séjour se prolonge et qu’une solution ne vient pas, on peut par exemple les inscrireà la crèche. » On cherche à faire sortir davantage ces enfants, qui rentrent le soir à l’hôpital. « Il y a effectivement une collaboration avecdes crèches, précise Hélène Rey-Fernandez, l’assistante sociale. Nous devons demander une autorisation de sortir de l’hôpital. Nous essayons de leur faire prendrel’air, dans des plaines de jeux. Ou de développer des activités avec des écoles, pour remettre l’enfant dans son cadre scolaire. »
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A Verviers : « Il n’y a pas de solution »
Gérard Hansen est conseiller de l’Aide à la jeunesse à Verviers4. Il constate que de nombreuses hospitalisations sont décidées « pour desenfants en bas âge ». Le plus souvent, « ces situations arrivent via le parquet, en urgence, la nuit ou le week-end, car les services sont fermés la nuit. Engénéral, les enfants sont dans une situation de danger grave. » Puis lorsque la mesure a été confirmée par le juge, « alors le SAJ fait sonboulot d’investigation sociale », dit Gérard Hansen. « Et souvent, la conclusion c’est qu’il faudrait trouver une solution d’hébergement quelque part, ajoute-t-il.Comme les services sont saturés, nous confirmons le placement à l’hôpital, alors même qu’il n’y a plus de problème médical. » Sur Verviers, lasituation est particulièrement difficile. C’est ce que décrit le conseiller : « Ce phénomène est généralisé. Mais à Verviers, pourles bébés, c’est encore plus dur, car il n’y a pas de pouponnière sur l’arrondissement. Il n’y a pas de solution, il faut donc maintenir les prises en charge àl’hôpital. Un jour, j’ai failli avoir une grève du personnel infirmier, car ces enfants ne sont plus malades et les infirmières ne sont pas payées pour faire un travaild’éducatrices. » Pour lui, l’accueil en hôpital n’est pas du tout adapté. Un protocole a même été conclu avec les hôpitaux de larégion, pour faciliter la communication. « Même avec toute la bonne volonté possible, il n’y a pas de pouponnière dans mon arrondissement, ni vraiment de litsd’urgence. »
Vers quelles solutions ?
Localement, sur l’arrondissement de Tournai, on cherche des solutions concrètes et pragmatiques. Le responsable du service Pédiatrie de l’hôpital de Tournai rencontre sur baserégulière un aréopage de professionnels. Conseiller et directeur de l’Aide à la jeunesse. Substitut du procureur du Roi et juge de la Jeunesse. Ces réunionsoffrent, aux yeux de Jean-Philippe Stalens, plusieurs avantages : « Maintenant on se connaît, nous avons nos numéros de téléphone directs. Cela permet de nouscontacter plus facilement quand un cas se présente. Face au constat du manque de place dans des structures d’accueil, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Mais ce que nous pouvons faire,c’est diminuer le nombre d’étapes administratives pour que les hospitalisations durent moins longtemps. » C’est sur cette « ligne du temps » que Guy De Clercqsouhaite aussi agir. « Dès qu’une situation se présente, nous devons nous informer au plus vite pour chercher sans attendre la solution adéquate. »
Plus largement, en Belgique francophone, les responsables politiques restent dans le vague. Du côté du cabinet de la ministre de l’Aide à la jeunesse on dit être« conscients que ces situations existent et qu’elles ne devraient pas exister ». Pas de politique ciblée pour résoudre le problème, mais plutôt unrappel de l’existence d’un « plan de renforcement du secteur », annoncé en janvier 2011. Chez Jean-Marc Nollet (Ecolo), ministre de l’Enfance, on préfèrebotter en touche et renvoyer vers l’ONE.
Concrètement, le manque est identifié. Les places d’urgence, spécialement pour les tout-petits, sont trop peu nombreuses. Il y a bien des centres d’accueil d’urgence. Mais del’aveu même de Guy De Clerq, « ils ne sont pas adéquats pour des bébés ou de petits enfants. » Les pouponnières font tout à faitl’affaire pour des enfants de moins de trois ans. Mais elles sont aussi saturées et ne sont pas légion.
Reste enfin la solution de l’accueil familial d’urgence. Il existe un seul service de ce type, à Nivelles, avec une antenne à La Louvière. Une peau de chagrin. Julie Blondiau,psychologue au service d’accueil familial d’urgence de Nivelles est « persuadée que ce type d’accueil en famille permet d’offrir à l’enfant un milieu de vie adaptéà ses besoins, le temps de trouver une solution structurelle. Cela offre une bulle d’air à l’enfant qui peut reprendre un développement normal. Y compris chez des petits dequatre ou cinq ans qui ont besoin de mouvement ». La psychologue se souvient de cette antenne qui ouvrit à La Louvière « justement pour trouver une solutionà l’hospitalisation sociale qui marquait les travailleurs sociaux. »
A Tournai, l’idée d’un accueil familial d’urgence est soutenue ardemment. Guy De Clercq fait référence à une recherche-action qui avait été menéedans son arrondissement : « Cette recherche visait à voir si des familles accepteraient d’accueillir des enfants en urgence, à court terme. Il y avait des candidats. Depuis,nous interpellons pour avoir une telle structure sur Tournai. Cela permettrait d’accueillir des enfants qui n’ont pas besoin de soins, le temps de trouver la prise en chargeadéquate. » Un projet en ce sens fut même déposé par le service « Accueil familial de Tournai ». Pascale Marghem, la direc
tricepédagogique de la section de Tournai de l’accueil familial5, en retrace les contours : « Nous avions appelé notre projet « pôle de compétences ».L’idée était de pouvoir organiser des placements de court terme, dans l’urgence. Ce projet était en lien avec les demandes faites par les autorités mandantes qui sontà court de solution pour les petits. » Un projet qui ne fut pas soutenu par le cabinet qui le jugeait « trop ambitieux et trop coûteux. » Malgrétout, chez Evelyne Huytebroeck (Ecolo), on tente d’ouvrir quelques perspectives, même si celles-ci sont pour l’instant peu concrètes : « Il y aura une série derencontres avec la Fédération des services de placement familial en septembre. L’accueil d’urgence sera discuté en 2012. » En attendant, l’hospitalisation socialecontinue.
1. Centre hospitalier de Wallonie-Picarde, site Notre-Dame :
– adresse : avenue Delmée, 9 à 7500 Tournai
– tél. : 069 25 81 11
– site : www.chwapi.be
2. SPJ Tournai :
– adresse : quai Dumon, 2 à 7500 Tournai
– tél. : 069 45 27 70
– courriel : spj.tournai@cfwb.be
3. Accueil familial d’urgence :
– adresse : rue Cheval Godet, 34 à 1400 Nivelles
– tél. : 067 877 107
– courriel : afurgence@skynet.be
4. SAJ Verviers :
– adresse : rue du Palais, 27 à 4800 Verviers
– tél. : 087 29 90 30
– courriel : saj.verviers@cfwb.be
5. Accueil familial :
– adresse : boulevard du Roi Albert, 102 à 7500 Tournai
– tél. : 069 23 30 69
– courriel : accueil.familial.tournai@skynet.be