Comment faire pour que la participation des pauvres à l’élaboration des politiques publiques soit davantage qu’un beau projet ? Un colloque ouvre quelques pistes.
La participation des personnes précarisées à l’élaboration des politiques publiques est devenue un leitmotiv. Mais les résultats sont-ils toujours àla hauteur de cette généreuse idée ?
C’est la question épineuse qui était posée le 17 mars, à l’occasion du colloque co-organisé par le Conseil bruxellois de coordination sociopolitique(CBCS)1, la Fédération des centres de services sociaux (FCSS)2, le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté3 et l’Agence Alter.
Héritage de Mai ’68, le concept de participation connaît un essor en Belgique au début des années ’90. Le 24 novembre 1991, le Vlaams Belang fait une percéeinquiétante aux élections. Au lendemain de ce dimanche noir, le gouvernement décide de consacrer un chapitre de sa déclaration à la création d’unnouveau contrat avec le citoyen. C’est dans ce contexte que le Rapport général de lutte contre la pauvreté voit le jour. « Il doit permettre, sur base de lamobilisation des pauvres eux-mêmes et des intervenants sociaux, de s’attaquer plus profondément aux causes structurelles de la pauvreté et de laprécarité », peut-on lire dans son introduction.
Etre convié à la table des politiques permet de se sentir acteur à part entière de la société. Danielle Dierckx, professeure en travail social àl’Université d’Anvers, notait à propos des processus de participation mis en place par l’Union européenne que « les personnes se sentent reconnues, respectéeset retrouvent confiance en elles. »
Si les bienfaits au niveau individuel sont perceptibles, qu’en est-il à titre collectif ? Force est de constater aujourd’hui que certaines questions-clés, mises en avantnotamment dans le rapport général de lutte contre la pauvreté, n’ont toujours pas trouvé de réponse. Les sans-abri attendent toujours des avancées concernantl’adresse de référence. Même constat pour le statut de colocataires. Partager son habitat permet de faire face à la crise du logement et à la solitude. Mais ceux quifont ce choix se voient sanctionnés financièrement au niveau de leur allocation.
Lors des interventions de l’après-midi, Christine Mahy soulignait à quel point les personnes en situation de pauvreté doivent faire preuve de créativité pourgérer leur quotidien. « Mais je n’ai pas le sentiment que l’on tient compte de ce potentiel d’innovation », déplorait la directrice du Réseau belge de luttecontre la pauvreté (BAPN).
Une question de temps
Une des clés pour faire du bel idéal de la démocratie participative autre chose que de la poudre aux yeux réside peut-être dans la question du temps. Pourinstaurer une relation de confiance, créer une parole collective à partir de témoignages individuels, il faut se donner le temps. Mais cette exigence ne s’accorde pas toujoursavec l’agenda des hommes politiques, qui cherchent des résultats visibles à moyen terme.
Paradoxalement, d’autres interlocuteurs ont observé que la participation prendrait peut-être trop de temps. Pour des personnes préoccupées par des questions de surviequotidienne, prendre part à des processus si éloignés de leur réalité peut, de façon compréhensible, passer au second plan. « Il fautpasser par des commissions, prendre des décisions, les mettre en application… Ce sont des processus lents. Or les gens ont besoin que leur situation s’améliorevite », constate Annette Perdaens, directrice administrative de l’Observatoire de la santé et du social à Bruxelles.
L’après-midi, la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (Feantsa), nous emmenait en voyage en Ecosse, où le Glasgowhomeless network a mis en place un système de tables rondes auxquelles participent des sans-abri, des travailleurs du secteur et des fonctionnaires des municipalités. Avant chaqueassemblée, les responsables politiques sont invités à présenter les mesures prises pour faire avancer le dossier. « Ce modèle serait-il reproductibledans d’autres pays ? », s’interrogeait le représentant de la Feantsa, Moro Striano.
Au-delà du temps, c’est aussi la question de la forme qui se pose. « Ce sont toujours les personnes dans la précarité qui doivent faire l’effort de s’adapteraux codes culturels de l’autre. Qui organise les processus participatifs ? Les classes moyennes, parfois un peu « boboifiées », qui sont à l’aise avec certaines compétencessocioculturelles », remarquait au passage Abraham Franssen, professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis de Bruxelles. Christine Mahy formulait une remarque abondant dans cesens. « Les formes sont toujours des cénacles basés sur les référents culturels d’un monde technocratique européen. (…) L’interlocuteur public ne sepose jamais la question de savoir comment fait une mère de famille pour laisser ses quatre enfants à la maison, payer les trajets, etc. »
Un véritable enjeu
En septembre 2010, la Karavane du réseau capacitation citoyenne débarquait dans les rues de Liège. Les membres du collectif demandaient aux passants de déposer leurrichesse dans leur Banque égalitaire de Belgique. Une heure de bénévolat ou d’action solidaire équivalant à huit kapas en monnaie citoyenne. Une façon demettre le débat sur le sens de la richesse sur la place publique. « On a osé interpeller la presse, les hommes politiques, les passants… Le premier jour, on acollecté 20 000 heures de richesse. Après quatre jours, on en avait 400 000, s’enthousiasme Nathalie Delaleeuw, chargée de projet àPériféria. Cette action ne visait pas à produire un message, quelque chose qui peut être appréhendé par le politique. Mais elle a permis aux gens qui ontparticipé de mieux cerner les enjeux de la société dans laquelle ils vivent. C’est à la fois ce qui fait la beauté et la limite du projet. »
Cette expérience originale montre comment la participation des personnes précaires prend tout son sens quand elle se déploie au-delà des questions liéesdirectement à l’aménagement des conditions de la pauvreté. « Participer ne revient pas à dire qu’il faut entendre les pauvres que sur la pauvreté. Lejour où l’on entendra les pauvres donner leur avis sur la politique fiscale, je pense que l’on aura gagné un petit combat », lançait Hugues-Olivier Hubert, chercheurà la FCSS. « Attention à ne pas construire une petite société de substitution à côté des vrais enjeux politique
s, met en garde pour sa partAbraham Franssen. Il y a un risque de construire des dispositifs participatifs cantonnés aux marges, de faire de la mini-démocratie. Un peu comme avec ces jeunes des quartiers àqui l’on demande de faire du minifoot de rue, alors qu’ils veulent jouer sur de vrais terrains. »
Mais « enjeux globaux » signifie aussi « problématiques complexes ». Ce qui pose la question de la formation, remarquait Moro Striano.« Si on me demandait de participer à l’élaboration des politiques fiscales, personnellement, j’en serais incapable », répondait le représentant de laFeantsa en référence à la remarque d’Hugues-Olivier Hubert.
De l’idée à la pratique
Dans un sketch, Pierre Desproges se moquait du langage politiquement correct. « Réjouissons-nous, nous vivons dans un siècle qui a réussi à évitertous les problèmes en appelant un chat un chien », lançait l’humoriste français. Paraphrasant le comique, Hugues-Olivier Hubert se demandait si les beaux discours surla participation ne servent pas à masquer la critique. « Il y a de moins en moins de pauvres oisifs, exclus, méprisés et sans voix. Mais de plus en plus de personnessocialement vulnérables, généreusement activées, hautement participantes et attentivement écoutées ! »
La participation se retrouve ainsi entachée du soupçon de l’instrumentalisation. Pire, certains intervenants ont fait remarquer que la participation pouvait parfois devenir unefaçon de faire porter à l’individu la responsabilité de sa situation (voir Alter Echos n° 312 du 19 mars 2011 : « Souriez, vous êtesen train de participer »). « Il y a un risque de dire, si on donne aux gens la possibilité de participer et qu’ils n’en font rien, eh bien, tant pis pour eux! », avertit Loïc Blondiaux, professeur de Sciences politiques à la Sorbonne.
Lors du colloque, plusieurs solutions ont été esquissées pour sortir de l’impasse. Se donner le temps, s’adapter aux cadres des participants, mettre de véritablesenjeux sur la table ne sont que quelques-unes des pistes évoquées pour redonner au concept toutes ses lettres de noblesse.
Le débat continue
La réflexion se poursuit autour de midi-débats : le 2 mai à la Maison du livre de St-Gilles et le 10 mai au Cinex (salle Ponty) à Namur. De 12 h à14 h 30. Infos et inscriptions : http://lespauvresfontdelapolitique.be
En septembre, le CBCS consacrera un numéro spécial de ses Brèves du Bis au thème de la participation.
1. CBCS :
– adresse : avenue Voltaire, 135 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 511 89 59
– courriel : info@cbcs.be
– site : www.cbcs.be
2. FCSS :
– adresse : rue Gheude, 49 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 223 37 74
– courriel : info@fcss.be
– site : www.fcss.be
3. Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté :
– adresse : rue Fernand Bernier, 40 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 600 55 66
– courriel : efinpia@gmail.com