Une table ronde organisée par l’asbl « Le Grain »1 s’est penchée sur la thématique de l’émancipation des femmes précarisées eninsertion socioprofessionnelle (ISP). Avant de doucement glisser vers des interrogations plus existentielles concernant les relations entre politique et ISP.
En se basant sur un dossier intitulé « Femmes et insertion socioprofessionnelle : quels défis pour quelle émancipation ? » et réalisé par ses propressoins, l’asbl Le Grain, a profité d’une froide soirée de mars pour s’attaquer à un sujet que Mejed Hamzaoui, sociologue et président de l’Institut des sciences du travailde l’ULB, a introduit en soulignant quelques caractéristiques actuelles du marché du travail dès lors que l’on s’intéresse aux femmes.
« Depuis les années ’80, nous vivons une période quelque peu paradoxale puisque le travail est toujours présenté comme un élément essentield’intégration alors que, d’un autre côté, il ne constitue plus une garantie de sortir de la précarité », indique-t-il. Selon Hamzaoui, cette dégradationde la condition des travailleurs se voit notamment caractérisée par la multiplication des contrats atypiques et fragiles (intérim, contrats à duréedéterminée, emplois subventionnés), concernant majoritairement les femmes (à titre d’exemple, trois contrats à temps partiel sur quatre sont signés par desfemmes). De même, dès lors que celles-ci se retrouvent à charge de la sécurité sociale, elles sont également en position de faiblesse relative. « Onassiste depuis quelques années à une mise en place de procédés juridiques limitant l’accès à la protection sociale, comme le statut de cohabitant. Or, iciaussi, on parle plus souvent de cohabitante… », ajoute le sociologue.
Face à cette question sociale, la réponse politique est bien souvent caractérisée par une gestion différenciée selon que vous soyez jeune ou vieux, hommeou femme. Une gestion différenciée qui ouvre les portes à l’insertion, de plus en plus souvent envisagée comme une contrepartie aux droits sociaux, une condition àl’octroi ou au maintien de ceux-ci.
De la question du contrôle
Bien vite au cours de la soirée, les débats vont dévier vers la notion de contrôle. Un contrôle effectué quelquefois de manière inconsciente,quelquefois de manière contrainte par les opérateurs d’insertion à l’égard de celles (et ceux) dont ils s’occupent. Un contrôle également effectué« au service » des autres, qu’ils soient employeurs ou politiques. « Tout au long de ma pratique en insertion, la question du contrôle s’est posée largement,déclare à ce sujet Sandrine Grosjean, chargée de projet pour l’asbl Flora, un réseau pour la formation et la création d’emploi avec des femmes. Demanière très prosaïque, les places disponibles au sein des formations sont limitées. On a 200 candidates pour 20 places. Il faut donc sélectionner les « bonnes »candidates, ce qui nous conduit à recréer de l’exclusion et à pratiquer une sélection pour les employeurs… »
Concernant le contrôle par le politique, un intervenant glisse, en guise d’introduction : « l’insertion sert de plus en plus de révélateur. Celles (et ceux) qui ne »collent » pas pour le parcours d’insertion sont repérées… » De manière plus générale, l’ensemble des intervenants s’accorde sur le fait que lespouvoirs subsidiants tentent de plus en plus souvent de baliser les pratiques d’insertion de manière stricte. « Nous sommes de plus en plus cadenassés, cela devient vraimentcompliqué. Actiris a créé son package sur ce qu’il faut faire en termes de « bonnes pratiques » pour l’insertion alors que les travailleurs de terrain savent que ce qui estpréconisé ne correspond pas vraiment à la réalité du terrain », déclare Sandrine Grosjean.
Des propos confirmés par Godelieve Ugeux, directrice d’Interface 3, un centre de formation pour femmes en recherche d’emploi situé à Saint-Josse : « Àl’heure actuelle, lorsque l’on veut remettre un projet concernant les femmes précarisées, il vaut mieux éviter d’utiliser certains mots. Le Forem a une idée bienprécise de ce qu’il faut faire en la matière… », déclare-t-elle. D’où un certain décalage entre ce qui est prescrit par les organismes régionaux etce qui est pratiqué sur le terrain par les opérateurs d’insertion. Une situation qui empêche également de faire remonter certains nouveaux constats depuis le terrainjusqu’aux pouvoirs subsidiants et donc de mettre en place de nouvelles dynamiques. Selon les intervenants présents ce soir-là, les budgets sont fermés et n’alimentent que desprojets bien installés, estampillés, cadenassés.
Et l’émancipation des femmes dans tout ça ?
Mais si l’ensemble des intervenants s’entend pour déplorer la rigidité affichée par certains pouvoirs subsidiants, une certaine forme d’autocritique est égalementprésente. En effet, les conditions dans lesquelles se déroulent les formations ne semblent pas toujours adaptées aux réalités des femmes qui les suivent. Àtrop vouloir les préparer au monde du travail et à ses impératifs en termes de sérieux ou de ponctualité, les opérateurs coupent peut-être certainesfemmes de formations qui auraient pu leur être bénéfiques, ne serait-ce que dans l’optique d’une émancipation « sociale » ou « citoyenne » et nonpas professionnelle. « Il est clair que quand on parle d’émancipation, il faut savoir de quelle émancipation l’on parle », dira à ce sujet SandrineGrosjean. Et certains des intervenants de déplorer que l’étude publiée par « Le Grain » ne prenne en compte que le travail rémunéré. D’autresnoteront que même si la formation a pour objectif une émancipation dite « professionnelle », le fait que les formateurs s’en tiennent quelquefois à certaines exigencesles positionne dans un rôle de professeurs ou de contrôleurs plutôt paradoxal par rapport à l’objectif d’émancipation. Avant que Mejed Hamzaoui ne rajoute : « Ily a moins de femmes que d’hommes en formation, en parcours d’insertion. Cette situation est en partie due au fait que les conditions pratiques des formations ne tiennent pas compte de ce qui estencore bien souvent la réalité des femmes aujourd’hui, comme le fait qu’elles doivent aller chercher les enfants à l’école. »
Dans ces conditions, l’émancipation des femmes en insertion socioprofessionnelle est-elle possible à l’heure actuelle ? Pour beaucoup, la réponse sera tout de mêmepositive. Mais, modéreront certains, « Il faut en vouloir. Le challenge devient quelque chose d’individuel… »
1. Atelier d
e pédagogie sociale « Le Grain » asbl:
– adresse : rue du Marteau 19 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 217 94 48
– courriel : info@legrainasbl.org
– site : www.legrainasbl.be