Dans moins de deux semaines, du 9 au 13 novembre, il est prévu que se tienne à Doha, capitale du Qatar, la quatrième conférence ministérielle de l’OMC,l’Organisation mondiale du commerce. Le gouvernement est actuellement occupé à élaborer une position belge détaillée. Cette conférence doit, c’estpromis, lancer un nouveau cycle de négociations commerciales après la tentative de Seattle, avortée avec fracas en décembre 1999… à moins que la criseinternationale ne s’emballe et n’interdise, pour des raisons de « sécurité », la tenue d’un tel sommet.
L’AGCS
Conformément aux accords de Marrakech (une des conférences précédentes qui a institué l’OMC), l’OMC commence ses négociations sur l’Accordgénéral sur le commerce des services, souvent appelé AGCS ou GATS en anglais. L’Union européenne dit vouloir en exclure les services publics. Mais l’opacité del’OMC sur le sujet semble en inquiéter plus d’un. Cela s’est passé à Genève, les 5 et 6 octobre derniers. Sans publicité. Une assemblée defonctionnaires venus des quatre coins du monde a poursuivi un travail lancé en 1995 dans les palais marocains. À Marrakech, les États membres de l’OMC avaientdécidé de se pencher sur un secteur pas assez touché à leur gré sans doute par la libéralisation : les services. Plus exactement les commerces de services,car sont officiellement exclus de ces négociations les services publics. « En fait, dès que l’on y regarde de plus près, commente le groupe Attac France, ne sont vraiment exclusque les « services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental », c’est-à-dire ceux non soumis à la concurrence. Avec la propension qu’a l’Europe à justement ouvrir lesservices à la concurrence, les domaines exclus des discussions de Genève deviennent de plus en plus étroits. »
En fait, les Américains, toujours très protectionnistes et prudents lorsqu’il s’agit de domaine où ils craignent la concurrence, par exemple les services aériens, visentparticulièrement à libéraliser deux domaines : la santé et l’éducation.
Là encore, clament de nombreuses ONG et associations telles Attac et la Fédération internationale de la Ligue des droits de l’homme, la négociation de l’OMC n’estpas claire : la protection sociale, a priori exclue, est pourtant bien en discussion par le biais des assurances. Quant à l’école, c’est un peu le dernier rêve américain.Ceux-ci sont déjà très performants pour vendre des universités clefs en main en Asie et en Amérique du sud. Les nouvelles technologies leur offrent à cetégard une nouvelle idée d’expansion économique, et leurs entreprises spécialisées en éducation se verraient bien inonder la toile de programmes made in USArepris par des clients estampillés « Éducation nationale » dans leurs propres pays1.
Des inquiétudes fondées
La Belgique n’a d’existence auprès de l’OMC que via l’Union européenne. C’est un commissaire français, Pascal Lamy, socialiste, qui a en charge ces difficilesnégociations. Il affirme jusqu’à présent que l’Europe n’acceptera pas que les services publics soient l’objet de discussions et refuse d’accepter la date-butoir de 2002 queproposent les Américains pour conclure un accord, mais il négocie néanmoins.
Toujours selon les ONG, syndicats et associations œuvrant dans le domaine de l’enseignement et de la formation, les inquiétudes n’en sont pas moins fondées. « D’abord parceque l’OMC a le culte de la non-transparence. On ne sait pas vraiment ce qui s’y passe et les parlements nationaux n’y sont pas représentés. Ensuite, parce que la vision libéralede l’éducation est on ne peut plus nette. Semblable au système américain de santé où les hôpitaux publics sous-dotés en matériel et enqualité du personnel sont une sorte de charité accordée aux plus pauvres, le système scolaire public pourrait se transformer en dernier recours pour les populationsdéfavorisées, les autres inscrivant leurs enfants dans une école plus élitiste et plus performante où le service serait vendu à desparents-consommateurs. »
La transparence serait donc plus grande si le débat était porté sur la place publique, ce que s’évertuent à faire quelques associations et syndicats, pour l’instantpeu relayées par les pouvoirs publics.
En somme, il est clair que les enjeux soulevés par la renégociation du GATS peuvent être autant de nature sociétale que sectorielle : érosion de lasouveraineté des États, capacité pour les gouvernements de maintenir les protections sociales et culturelles, avenir des services publics dans un contexte delibéralisation du commerce et des investissements, etc. Pour le secteur de l’éducation, c’est l’existence même du service public qui pourrait à plus oumoins long terme, être remise en cause. Ces questions, on le voit, concernent au premier chef les personnels de l’enseignement puisqu’elles touchent à la fois leursconditions de travail de même que la nature des activités éducatives.
Ainsi afin d’examiner les problèmes soulevés par l’éventuelle reprise de l’enseignement et de la santé dans l’AGCS, les différentescomposantes de la communauté éducative francophone2 (la FEF, la Fédération francophone des étudiants, la CGSP Enseignement, la CSC-Enseignemnt, la FAPEO, LaFédé-ULg, le MOC, le PSC, le Segec, le SEL-SETCA, la SLFP-Enseignement, l’UFAPEC) se sont réunies pour la première fois ce lundi 22 octobre. Elles ontréaffirmé leur refus d’entrer dans une logique de marchandisation et de privatisation des services d’éducation et de formation. Au contraire, elles estiment que »l’enseignement organisé et subsidié par les pouvoirs publics offre les meilleures garanties d’un accès démocratique aux savoirs pour l’ensemble desjeunes. Il est en effet le seul à pouvoir œuvrer à la réussite du plus grand nombre, même si les organisations présentes estiment que la démocratisationdu système est encore loin d’être parfaite. » À l’instar des ministres francophones communautaires, ces organisations appellent le gouvernement fédéralà s’exprimer clairement et à agir en conséquence pour sortir les systèmes de santé et d’enseignement publics de toute la problématique del’AGCS et de l’OMC.
1 Lire à cet égard « L’école prostituée » de Nico Hirtt, ouvrage paru le 20 septembre 2001 aux Éd. Labor. Pour une remise enperspective plus technique surl’OMC, voir le récent Courrier du Crisp sur le sujet : “L’OMC après Seattle : le chantier inachevé”, J. M. Warêgne, CH 1712*1713, 76 p.
2 Pour plus d’infos, contact : Nicolas Hourt, président de la FEF, GSM : 0474 997 454.
catherinem
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