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Regard critique · Justice sociale

L'ordonnance économie sociale attend Godot

Retour sur les positions de la Febisp et de la Febecoop en attendant le passage du projet de texte devant le gouvernement.

06-02-2011 Alter Échos n° 309

Alors que l’on attend le passage en deuxième lecture de l’avant-projet d’ordonnance relative à l’économie sociale, la Fédération bruxelloise des organismesd’insertion socioprofessionnelle et d’économie sociale d’insertion (Febisp)1 continue à pointer une série de problèmes relatifs à ce texte. L’occasion derevenir également sur la position de la Fédération belge de l’économie sociale et coopérative2 (Febecoop).

Lorsqu’en décembre 2010 la Febisp est descendue dans les rues de Bruxelles à l’occasion d’une manifestation qu’elle avait organisée (voir Alter Echosn° 308 : « La Febisp descend dans larue »), une des revendications de la Fédération était notamment de pouvoir se faire entendre dans le cadre de la rédaction de la nouvelle ordonnancerelative à l’économie sociale. Adopté en première lecture durant l’été, le texte était en effet ensuite passé sous les fourches caudines de…la Febisp notamment, qui avait remis un avis plus que nuancé sur le texte en octobre 2010, rejoint en cela par la Febecoop qui, tout en saluant les avancées du nouveau texte, pointaitégalement une série de problèmes.

Aujourd’hui, alors que le texte devrait bientôt passer en deuxième lecture, la Febisp campe sur ses positions, tout en espérant que ses remarques ont été prisesen compte dans la nouvelle version du texte de l’ordonnance. Une version que la Febisp souhaite plus claire sur certains points que le cabinet de Benoît Cerexhe (CDH), le ministre de l’Economieet de l’Emploi de la Région de Bruxelles-Capitale, semblait plutôt vouloir préciser dans les arrêtés d’exécution. « Le problème résidedans le fait que l’on peut mettre beaucoup de choses dans les arrêtés, des choses qui peuvent aussi changer selon les priorités du cabinet ou du ministre, nous dit DelphineHuybrecht, attachée économie sociale à la Febisp. Si nous avions donné notre accord dans ce contexte, on le donnait sur un texte qui, selon nous, comportait trop de zonesd’ombres. »

Un texte trop flou ?

A parler de zones d’ombres, elles sont nombreuses si l’on en croit la Febisp, qui regrette notamment un certain flou concernant les critères d’agrément (le texte parle notamment« d’opportunité » ou de « besoins sociaux urgents ») ou encore le financement. « Il s’agit globalement d’un texte très dense etcomplexe, mais paradoxalement, il y a selon nous peu de choses sur des questions fondamentales comme le financement, pour lequel on parle de montants globaux maximums avec peu de détails parrapport à ce qui va être financé et agréé », ajoute Delphine Huybrecht.

Un point de vue qui avait également été avancé par la Febecoop, comme le confirme Youcef Hammani, ancien conseiller en charge du dossier à la Febecoop.« Il est vrai que le mode de financement n’est pas très clair, concède-t-il. Un constat qui nous avait amenés à émettre un avis négatif, carcertaines choses dans le projet d’ordonnance ne marchaient pas, comme également l’articulation entre les EI (entreprises d’insertion) et les Ilde (initiatives locales de développementde l’emploi). La question que l’on peut se poser dans ce contexte, et qui n’est pas résolue est la suivante : quelle est la différence entre ces deux types de structures ? Celadit, je tiens à insister sur le fait que le texte contient une série d’avancées positives, comme la volonté de clarifier le rôle de la commission d’agrémentou de la plate-forme de l’économie sociale. »

Dans ce contexte, la Febisp se déclare également opposée à la création, dans l’ordonnance, d’une catégorie de « demandeurs d’emploiextrêmement difficile à placer » pouvant être engagés par les Ilde et les EI comme travailleurs en échange d’une subvention salariale de maximum 5 000euros par an et par travailleur occupé à temps plein. « Cette démarche induit une forme de catégorisation des demandeurs d’emploi. Elle induit aussi le fait quel’on se coupe de l’idée que la personne peut rebondir alors que le secteur de l’insertion socioprofessionnelle a pour ambition de la prendre dans son intégralité, sanspositionnement a priori et sans stigmatisation de départ », note Delphine Huybrecht

Enfin, la Febisp déclare également regretter la perte d’une certaine souplesse qui était offerte par l’ancienne ordonnance de 2004 qui, il est vrai, laissait de par son floula porte ouverte à une certaine flexibilité au niveau des projets, que ce soit en termes de public ou d’emploi. Un point de vue peut-être un peu paradoxal au regard des critiquesévoquées plus haut concernant le flou, pour la nouvelle ordonnance, relatif à l’agrément ou au financement. « Pas du tout, rétorque Delphine Huybrecht.Nous ne sommes pas pour le flou qui permet de faire n’importe quoi. Nous voulons en fait plus de clarté au niveau du financement et plus de souplesse pour pouvoir permettre au promoteur derectifier son projet le cas échéant. Ce qui serait bien dans le cadre de l’évaluation des projets, c’est que l’on se penche sur la qualité de ceux-ci, sur leurcohérence, sur le fait de savoir si leurs différents points se tiennent et si le promoteur, in fine, a fait ce qu’il avait dit. »

Prêcher pour sa chapelle ?

On l’aura compris, la Febisp entend défendre son secteur et aussi, peut-être, ses propres intérêts puisque la fédération demande également que lesfédérations soient reconnues et financées dans le cadre du décret. « Quand un projet ne fonctionne pas, le problème actuellement réside dans le faitque l’on s’arrête au porteur de projet, au promoteur, dans une optique « micro », plaide Delphine Huybrecht. Dans ce contexte, les fédérations peuvent apporter un plus, un point devue plus large englobant celui des promoteurs, du secteur. Elles peuvent également avoir un rôle de collecte d’information et de compilation de donnéesintéressantes. »

Cela étant dit, il faudra voir si ces remarques ont été entendues, on l’a dit, de même qu’il s’agira de savoir si la Febisp, entre autres, sera à nouveauconsultée à propos de la nouvelle version du texte de l’ordonnance. Aux dernières rumeurs de couloir, qui restent à vérifier, la mention relative aux« demandeurs d’emploi extrêmement difficiles à placer » aurait été supprimée dans le nouveau texte, de même que la notion d’autonomie degestion qui avait fait pas mal de bruit il y a plusieurs semaines (voir Alter Echos n° 304 : « Ordonnance économie social
e : unedéfinition qui pose question »
). Rappelons en effet que, dans son article 2, l’avant-projet d’ordonnance insiste sur la nécessaire autonomie de gestion des projets, avantde préciser : « La majorité des parts sociales ou des voix à l’assemblée générale ne peut pas être détenue par un ou plusieursassociés personne morale publique ou personne morale privée à but lucratif. » Ce qui, en langage courant, consiste à mettre le secteur public de côté ence qui concerne la mise en place de projets d’économie sociale, et notamment les CPAS qui ne s’étaient d’ailleurs pas privés pour faire part de leur inquiétude tout enfaisant remarquer que les ALE (agences locales pour l’emploi) et les missions locales (par ailleurs fédérées par la Febisp) pourraient également être mises endifficulté.

Si cette suppression devait se confirmer, les CPAS se verraient donc soulagés, même si Delphine Huybrecht semble quelque peu tiquer à ce sujet : « La Febisp estpour le principe de conserver le critère de l’autonomie de gestion, que nous voyons comme étant le fait de permettre une présence de mandataires de la sociétécivile (pas forcément une majorité) dans les instances de décision. Ce qui est de toute façon imposé dans la nouvelle ordonnance Missions locales. Quand on parled’économie sociale, il faut savoir de quoi on parle. Les CPAS font de l’insertion, mais dans un cadre public, qui par définition diffère de celui de l’économie socialeclassique. »

Cela dit, du côté de Youcef Hammani, on semble accueillir cette possible suppression de manière plus positive. « La question à propos de ce critère estde se demander jusqu’où l’on va en terme d’autonomie de gestion, comment on interprète cela. Un grand nombre d’hypothèses sont possibles à ce niveau, qui vont del’exclusion du secteur public au fait de se dire qu’à partir du moment où une structure touche ne fut-ce qu’un euro de subvention, elle perd son autonomie… Dans ce contexte, jepense qu’il vaut mieux se fixer sur la qualité des projets, des emplois, sur ce que font les structures plutôt que de savoir qui se trouve derrière elles. D’autant plus que l’onest dans une situation à Bruxelles où l’on manque de porteurs de projet. Je pense donc qu’il est préférable de repousser la question de l’autonomie de gestion àplus tard, dans une modification future du texte et, pourquoi pas, de continuer à avancer. »

Du côté du cabinet de Benoît Cerexhe, on n’a pas souhaité se prononcer sur les nombreuses questions soulevées par le dossier. Le cabinet adéclaré vouloir communiquer sur le sujet dans deux semaines, quand le point devrait passer au gouvernement. Sollicitée également, la section CPAS de l’AVCB n’étaitpas encore en mesure de réagir. L’attente est donc de mise. Alter Echos ne manquera pas de revenir sur ce dossier dès que la situation se débloquera.

1. Febisp,
– Cantersteen, galerie Ravenstein, 3 bte 4 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 537 72 04
– courriel : secretariat@febisp.be
– site : www.febisp.be
2. Febecoop :
– adresse : rue Haute, 28 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 500 53 02
– site : www.febecoop.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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