Alors que la colère contre l’austérité gronde dans toute l’Europe, l’UE vient de boucler son premier semestre de coordination budgétaire et socio-économique. Unexercice sans doute nécessaire pour les pays partageant une monnaie commune, mais dont l’orientation politique pose question.
C’est un mal pour un bien. Jamais, avant la crise grecque, on n’avait autant parlé et débattu de la politique économique et sociale européenne. Sur de nombreuses placesdu continent, à Athènes, Madrid, Paris ou Bruxelles, des camps d’indignés ont poussé comme des champignons, avec un leitmotiv commun de protestation contrel’austérité. Dans les médias autant que dans l’opinion publique, le ton a changé : la Grèce ne semble plus être ce pays presque lointain ; elle estdevenue une province de l’Union, dont le destin est étroitement lié au nôtre. Cette évolution était sans doute aussi nécessaire qu’inéluctable. Depuisdix ans, les Européens partagent une monnaie commune, qui implique un certain niveau de coordination politique. Mais les peuples et leurs dirigeants continuaient d’agir et de raisonner entermes purement nationaux. La crise grecque a changé la donne et provoqué une prise de conscience proprement européenne.
Cette conscientisation accuse un temps de retard. Car à Bruxelles et à Strasbourg, le débat sur la coordination des politiques socio-économiques est déjàbien avancé. Coordination des politiques économiques, devrait-on écrire, tant les aspects sociaux y sont inexistants.
Lors de leur dernier sommet (23 et 24 juin), les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 ont bouclé le premier « semestre européen » de coordination. Celui-ciest censé rassembler en une seule procédure simplifiée les nombreux instruments européens dont les détails byzantins ne sont connus que des experts (lastratégie 2020, ex-stratégie de Lisbonne, le pacte de stabilité, et le « pacte euro-plus »).
Concrètement, au premier semestre de chaque année, les Etats membres de l’UE évaluent désormais mutuellement leurs politiques, sous l’œil attentif de laCommission, avant de les mettre en œuvre dans la seconde partie de l’année. Tous les gouvernements ont présenté en avril leurs plans budgétaires etsocio-économiques en avril. La Commission a rendu début juin une analyse individuelle pour chaque pays, assortie de recommandations très concrètes. Le messageadressé à la Belgique a suscité un certain émoi dans le pays. « Bruxelles » y touche en effet à quelques vaches sacrées, en particulierle caractère illimité dans le temps des allocations de chômage (une exception belge) et l’indexation automatique des salaires (une autre spécialité locale). Ellereste par contre muette sur le social. Déjà réduit à la portion congrue dans la stratégie 2020, où il était ramené à lutte contrela pauvreté stricto sensu, celui-ci est désormais complètement absent.
Six recommandations
Les recommandations de chaque pays devaient être approuvées par le Conseil des ministres européens avant d’être renvoyées dans les capitales pour exécution.Elles l’ont été presque sans changement. Dans une Union dominée par la droite, les avis européens permettent aux gouvernements de justifier les réformesdouloureuses auprès de leur population. Il existe en outre entre les 27 un consensus sur la nécessité de ne pas toucher aux prescriptions de la Commission pour ne pasdécrédibiliser tout l’exercice. La Belgique est l’un des seuls pays à avoir obtenu des retouches mineures, qui donnent au texte un ton moins péremptoire. Mais les sixrecommandations restent globalement inchangées : réduire le déficit, relever l’âge effectif et légal de la pension, restructurer les banques, revoirl’indexation, baisser la fiscalité sur le travail et réduire les allocations de chômage. Sur la contradiction de ce programme avec l’ambition de réduire la pauvreté,pas un mot.
Pour le président de la Commission, José Manuel Barroso, les pays ont l’engagement moral de mettre en œuvre les recommandations, puisqu’elles ont étéapprouvées au plus haut niveau par les chefs de gouvernement. A peine sorti du sommet, toutefois, le premier ministre belge Yves Leterme relativisait la portée de l’exercice, àtout le moins pour la Belgique qui, en affaires courantes, n’a pas vraiment pu faire de promesses, a-t-il justifié.
Il n’est pas certain que cet argument soit très bien reçu au niveau européen. En outre, les eurodéputés et les Etats membres négocient déjàla prochaine phase de la coordination socio-économique et budgétaire, qui sera, elle, nettement plus contraignante.
A l’heure de boucler cette édition, les instances européennes mettaient la dernière main à un paquet législatif sur la gouvernance économique, quiprévoit des sanctions financières substantielles (jusqu’à 0,5 % du PIB) pour les pays refusant de s’engager dans la voie de la compétitivité et de la rigueurbudgétaire.
L’Europe sociale est une idée qui recule un peu plus chaque jour.