Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

L'université populaire des parents à la recherche de places en crèche

Des parents d’Anderlecht (surtout des mères) forment une université populaire. Sujet de la recherche : le manque de places en crèche qui pénalise les femmesdésirant travailler.

25-06-2011 Alter Échos n° 318

Face au manque de places en crèche qui pénalise largement les mères de famille des communes précarisées de Bruxelles, un groupe de parents monte uneuniversité populaire. Recherches, entretiens et revendications politiques sont sur les tablettes d’une dizaine de parents d’Anderlecht qui ont décidé d’être« acteurs du devenir de leurs enfants ».

« Certaines mamans sont devenues dépressives, elles espéraient avoir une carrière, elles ont abandonné tout espoir », dit Amira Benomar. C’estl’histoire tristement banale de femmes – et de très rares hommes – qui mettent en berne leurs rêves d’indépendance pour garder leur enfant à la maison. Unphénomène bien connu dans les quartiers en difficulté. Le père de famille qui travaille, la mère de famille qui aimerait bien, mais qui ne le fait pas. Pas de placeen crèche communale, des crèches privées trop chères ou aux critères de sélection trop restrictifs, voire discriminants. Alors elles restent à lamaison et tout le monde semble considérer que c’est à elle de s’occuper jour et nuit du jeune enfant.

C’est ce constat amer qui a réuni une dizaine de parents dans l’UPP, l’université populaire des parents. Des difficultés individuelles, des parents qui se rencontrent et quicherchent à transformer leur propre histoire en revendications collectives, telle est l’idée de l’UPP.

Le manque de places en crèche : un problème connu à Bruxelles

Le Centre d’expertise et de ressources pour l’enfance (Cere) effectue en permanence le décompte du nombre de places en crèche dans la Région bruxelloise. Une mise àjour régulière qui complète utilement un document que le Cere rédigea en 2009, intitulé « Renforcer l’accueil de la petite enfance 0-3 ans enrégion Bruxelles-Capitale, le plan crèches, inventaire des acteurs et des mesures ». Voici donc quelques données chiffrées.

En 2010, le nombre d’enfants de 0 à 3 ans était de 51 149 et le nombre global de places d’accueil disponibles pour cette tranche d’âge de 14 778. Le ratio moyen àBruxelles était donc de 28,89 places pour 100 enfants. Un ratio qui, seulement deux ans avant s’élevait à 30,33%, il y a donc de moins en moins de places d’accueil parenfant.

C’est à Molenbeek-Saint-Jean que l’on trouve le plus faible ratio (13,02 %) et à Woluwe-Saint-Lambert qu’il est le plus élevé (59,04 %), Anderlecht occupantla cinquième plus mauvaise position avec un taux de couverture accueil de 18,07 % (Contre 21,33 % en 2008).

En mars 2007 un plan crèches a été lancé par la Région de Bruxelles-Capitale afin d’augmenter le nombre de places d’accueil collectif pour les enfants de moinsde trois ans. En 2007, le nombre de places d’accueil était de 14 391, en 2010 ce nombre est passé à 14778. Une faible augmentation au regard de la forte croissance de lanatalité : elle a augmenté de 8000 enfants entre 2005 et 2010. D’après les projections du Cere, cette augmentation du nombre d’enfants va se poursuivre. Ils devraientêtre 5000 de plus en 2015 (Environ 56 700).

Mais l’accueil de la petite enfance ne se limite pas à la création de places. Comme le rappelle le Cere, « les places ouvertes dans les crèches privées nesont pas accessibles à tous les publics et il existe des disparités entre les communes, celles qui présentent des difficultés socio-économiques ont lacapacité d’accueil la plus faible. »

Une première université à Anderlecht

Cette première université populaire de parents de Belgique francophone est née dans une crèche parentale d’Anderlecht. Les parents qui s’y rencontraient traversaientles mêmes difficultés. Le Réseau d’initiatives enfants-parents professionnels (Riepp) et Vie féminine leur ont proposé de monter une UPP.

Qui dit université dit recherche. La première étape du projet vise à définir le thème sur lequel le groupe de parents va plancher. C’est aussi un momentde rencontre où chacun peut laisser libre cours à ses propres frustrations en relatant son histoire. L’UPP permet aux parents « d’ouvrir la parole », de selibérer d’un poids. « Le thème du manque de place en crèche, mais aussi dans les écoles ou les milieux extra-scolaires s’est imposé de lui-même,dit Amira Benomar, car il règne une certaine discrimination à l’encontre des mères. Surtout quand on n’est pas dans un circuit de travail, ça devient presque impossible detrouver une place. »

« Donner une voix aux parents que l’on n’entend pas »

Une fois le thème trouvé, il faut se lancer dans la recherche proprement dite. Avec l’aide d’un chercheur de l’université catholique de Louvain, les parents se lancentà bride abattue dans des entretiens avec d’autres parents. Selon Quentin Vernier, du Riepp1, « il s’agit de donner une voix aux parents que l’on n’entend pas. C’est unétat des lieux de la question fait par des parents qui parlent à d’autres parents – de différentes catégories sociales – pour voir comment ils s’ensortent ». Ils ont surtout rencontré des parents du coin, d’Anderlecht et de Molenbeek et, selon Amira Benomar, « il s’avère que la plupart des mamans souffrent dece même problème. Il y a, par exemple, ces femmes radiées du chômage parce qu’elles gardent leurs enfants et n’ont pas pu chercher de travail. »

Puis vient le temps de l’analyse des données et de la construction d’un discours, d’un éventail de revendications. Les parents universitaires sont plongés dans cetteétape passionnante d’où émergent des résultats tangibles après des mois de travail.

Arriver à quelque chose de construit

Le but ultime sera de confronter les résultats de la recherche aux politiques, aux citoyens, à d’autres parents, de créer le débat autour de l’accueil des enfants etplus particulièrement de l’accueil en crèche. Pour Bill Kaje, l’un des rares hommes participants à l’UPP, « l’objectif, c’est d’arriver avec quelque chose de construitdevant les politiques. Le moyen d’action, c’est la recherche ». Car ce que ces parents souhaitent du fond de leur cœur, c’est évidemment qu’il y ait « plus decrèches, plus d’écoles ». Cela permettra aux « parents d’être mieux dans leur peau et donc aux enfants de s’épanouir, d’être mieuxintégrés dans la société », comme le dit Amira Benomar.
Une autre mère de famille, Maria Pauto, affirme que les UPP offrent une réelle reconnaissance aux parents. Et c’est effectivement l’idée qui est véhiculée par cetteinitiative : placer les parents au centre des politiques sur la parentalité. C’est Amira Benomar qui lance simplement le mot de la fin : « Notre but,
c’est que les parentssoient les acteurs du devenir de leur enfant. » Réclamer plus de places d’accueil pour les 0-3 ans dans les communes défavorisées de la capitale, c’est un peus’attaquer à des moulins à vent, mais ces parents font tout ce qu’ils peuvent pour que cela change.

Que sont les universités populaires de parents ?

Les universités populaires de parents2 (UPP) ont été créées en 2005 en France par l’association des collectifs enfants-parents-professionnels, dans lalignée des universités populaires de l’association ATD quart-monde.
Face à la parole d’experts omniprésents, les UPP proposent de donner la voix aux parents qui ont des savoirs à partager dans le domaine de la parentalité.
On peut lire sur le site des UPP une définition de leur travail : « Dans ces universités, des parents travaillent avec des universitaires sur des recherches liéesà la parentalité – décrochage scolaire, transmission des valeurs, cohérence éducative, etc. »

Lorsque la recherche conduite par les parents prend fin, elle est l’objet de débats publics, de propositions et de recommandations à l’attention des responsables politiques. Cesrecherches peuvent aussi aboutir à des projets concrets.

La France compte seize universités populaires de parents. L’Allemagne en accueille quatre. En Belgique, il y en a cinq, dont quatre en Flandre. La petite dernière est l’UPPd’Anderlecht qui a été initiée par le Réseau d’initiatives enfants-parents-professionnels (Riepp). Selon le Riepp, les UPP sont des « espaces dedécloisonnement au niveau local, de croisement des savoirs et de construction des innovations ». Pour Quentin Vernier, du Riepp, « l’université populaire a pourbut de toucher une population en situation de précarité, mais pas seulement. Elle poursuit aussi un objectif de mixité. »

Toutes les UPP forment un réseau qui met en commun ses analyses et la masse de données et d’informations récoltées.

1. Riepp :
– adresse : rue Antoine Nys, 80 à 1070 Bruxelles
– tél. : 010 86 18 00
– courriel : contact@riepp.be
– site : www.riepp.be
2. Site : www.upp-acepp.com

Cédric Vallet

Cédric Vallet

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)