C’est devant une salle bondée du Théâtre Royal de Namur que le ministère de la Communauté française a organisé le 25 septembre dernier uncolloque de rentrée sur l’accrochage scolaire. Des interventions placées sous le signe des « bonnes pratiques ».
« Accrochage scolaire… le défi ! ». Le titre donné au colloque laissait espérer des débats contradictoires, ou du moins, des approches un minimumcontrastées des expériences de terrain, puisque la journée était organisée « par des praticiens chercheurs pour des praticiens chercheurs ». Le mot deprésentation stipulait en outre que « la complémentarité des compétences et des expériences ne pourra qu’enrichir les uns et les autres dans uneréalité sociétale non édulcorée ». Pourtant, pour plus de justesse, il aurait sans doute fallu ajouter en sous-titre « éventail des bonnespratiques », tant les exemples montrés allaient tous dans le même sens : celui d’un accrochage scolaire réussi. Même si, de temps à autre, toussotementsou rires – jaunes – émanant des praticiens de la salle venaient apporter leur bémol dans la belle unanimité de la journée. L’échec n’a tenuqu’une place minime dans une thématique pourtant sensée répondre à la faillite partielle du système éducatif.
En préambule, la ministre Présidente de la Communauté française, Marie Arena (PS), a cependant rappelé les conséquences dramatiques que peuvent avoir lessituations de décrochage scolaire sur les enfants et adultes en devenir. Et aussi quelques chiffres alarmants : « Actuellement, 30% des jeunes de 15 ans sont en difficultéscolaire sur les savoirs fondamentaux (…). Quand on commence à mettre en place des SAS (Services d’accrochage scolaire), c’est qu’il y a eu échec ». Soulignantles avancées des dispositions du décret du 15 décembre 20061 et les avantages du financement conjoint des SAS par l’Enseignement et l’Aide à lajeunesse, la ministre a affirmé que les problèmes d’absentéisme, de violence et d’assuétude en milieu scolaire, devaient être abordés sans taboupour lutter efficacement contre le décrochage.
Objectif zéro décrochage
Les praticiens, inspecteurs, préfets, professeurs, formateurs, médiateurs et assistants sociaux ont, tour à tour, présenté leurs techniques pour (r)accrocherenfants et adolescents à l’école, films-témoignages à l’appui. Bonnes pratiques et conseils avisés ont donc tenu la vedette toute la matinée.Ainsi, Madame Bouchonville, préfète à l’institut Félicien Rops de Namur : « Grâce à une pédagogie différenciée, lesélèves rentrés en visiteurs dans la section Tourisme, sans réelle motivation, en sortent comme agents en tourisme». Chaque année, les élèves ysont confrontés à des projets en rapport avec leur orientation : participation concrète à une foire internationale dédiée au tourisme, organisationd’une visite guidée trilingue de leur ville, etc. Et ça marche puisque la section revendique un « zéro décrochage » depuis sa création. Àl’Athénée Royal Verdi de Verviers, c’est l’enregistrement d’un cd de Rap qui a été utilisé comme support d’accrochage. Au niveau desSAS, de multiples pistes ont été proposées à la réflexion des participants : ateliers d’orientation, groupes de discussions, resocialisation au traversd’activités diverses (musiques, cuisine, travail avec des animaux, etc.) ou encore réflexions sur soi et son projet de vie, à travers l’écriture.
Qu’en pensent les « décrocheurs » ? Quid des adolescents qui ne parviennent pas à raccrocher à la sortie d’un SAS ? Comment les formateursgèrent-ils les problèmes de violence ou d’assuétude ? Ce n’était visiblement pas l’objet du colloque.
Tout au plus, pour les situations les plus délicates, ceux qui se nomment eux-mêmes les « pompiers », les agents du Service des Équipes mobiles2 ontexposé leurs spécificités : rapidité, confidentialité et gratuité de leurs interventions effectuées à la demande du directeur ou du P.O del’école. Ce service institué par décret le 12 mai 2004 compte une vingtaine d’agents pour toute la Communauté française et peut agir à tous lesniveaux de l’enseignement obligatoire, tous réseaux confondus. Il faut supposer que leur devoir de confidentialité ne leur a pas permis d’exposer concrètement desexemples de leurs actions.
Autre outil pour faire face à l’absentéisme scolaire, sur un plan plus théorique : le tout nouveau Service de l’Obligation scolaire institué par lacirculaire du 28 août 20073 qui vise à comparer les registres de la population avec les inscriptions dans les écoles et la présence effective des enfantsinscrits, aux cours. Travail de contrôle titanesque s’il en est, mais nécessaire pour répondre au problème de la non scolarisation de certains enfants, une autrefacette moins connue du décrochage.
Au terme des différentes présentations, le temps a malheureusement manqué et le débat, pourtant prévu au programme, est passé à la trappe. Unesituation jugée inacceptable par une enseignante qui s’est imposée sur scène, coupant la parole à l’orateur chargé de clôturer la (longue)matinée de colloque. « Je regrette l’absence de débat. Ce que j’ai vu, c’est une série de messages publicitaires pour des écoles et desentreprises. Quant au comportement de la salle face à un témoignage en particulier (…), je suis choquée et en total décrochage ».
La jeune femme faisait allusion à un reportage sur les méthodes d’accrochage d’un jeune entrepreneur, formateur quelques heures par semaine pour des jeunes endécrochage, qui a provoqué l’hilarité de la salle durant dix bonnes minutes, empêchant totalement la compréhension de son témoignage. Un chahut pour lemoins étonnant vu la composition de la salle…
Faire aimer l’école dès l’âge de trois ans
Pour Bernadette Meurice, inspectrice maternelle, l’accrochage précoce est une clé de prévention indispensable. « Nous devons absolument éviter le parcoursscolaire douloureux en veillant à bien accueillir les enfants dès la maternelle. Tout doit être mis en œuvre pour qu’ils évoluent au mieux sur les plansaffectifs, sociaux et culturels ». Une approche
globale donc, qui ne peut faire l’impasse sur la relation parents – instituteurs. « Il existe parfois uneincompréhension mutuelle avec les parents issus des classes défavorisées, mais il est important que les institutrices maintiennent le lien avec les familles : la mauvaiseperception de l’école par les parents a une influence néfaste sur l’enfant ».
Et Bernadette Meurice de relever que la « surconsommation » de l’école par les familles les plus démunies est parfois le reflet d’une volonté demaintenir le plus longtemps possible les enfants en dehors d’un foyer précaire, sans confort et pas forcément un « abandon parental », stigmatisé par certainsenseignants. Quant au décret, elle estime qu’il a apporté un mieux incontestable au niveau du sens donné à l’apprentissage, aux relationsmédiatisées avec l’adulte, à l’organisation des apprentissages plus axée sur la socialisation de l’enfant et, enfin, en ce que les apprentissages fontplus fréquemment appel aux raisonnements de l’enfant. En revanche, il reste des difficultés sur la bonne connaissance des concepts en cause ou sur la bonne organisation du tempset de l’espace scolaire. « On voit encore des institutrices monopoliser la parole pendant 45 minutes alors que l’enfant a une capacité de concentration limitée». Et de plaider pour des « formations continues des instituteurs et notamment une formation à la psychologie de l’enfant », nécessaires si l’on veut queles classes maternelles soient des tremplins pour un parcours scolaire serein, exempt de décrochage.
1. Le décret du 15 décembre 2006 (M.B. du 21 mars 2007) renforce le dispositif des Services d’accrochage scolaire et apporte diverses mesures en matière de viecollective au sein des établissements scolaires. Ses articles 30, 31 et 31 bis portent spécifiquement sur les enfants en décrochage scolaire.
2. Équipes mobiles, service public aux écoles :
– adresse : rue A. Lavallée, 1 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 690 83 56.
3. À consulter sur le site : www.enseignement.be, section « circulaires ».