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Regard critique · Justice sociale

L’accueil familial des aînés : l'expérience contredit le décret

La Province de Namur a été choisie comme région pilote de la formule d’accueil familial des personnes âgées initiée par Didier Donfut.

12-06-2009 Alter Échos n° 275

L’enjeu du vieillissement et l’insuffisance des maisons de repos et des maisons de repos, avec ou sans soins, forcent à innover en matière d’habitat desaînés. Dans cette perspective, la Province de Namur a été choisie comme région pilote de la formule d’accueil familial lancée en son temps par DidierDonfut.

Jean Thirifays, ex-directeur du Service provincial d’action sociale de Namur1 est aujourd’hui retraité. Il n’en reste pas moins trèsimpliqué dans le secteur non-marchand. C’est lui qui, il y a seize ans déjà, lançait la formule d’accueil familial de personnes âgées, en Provincede Namur. Aujourd’hui, cette formule est remise à la une : elle a été choisie comme « projet pilote » par Didier Donfut, avant sa démission du poste deministre de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des chances de la Région wallonne2.

« À l’époque déjà, l’idée était d’impulser une alternative à l’hébergement classique des personnesâgées en maison de repos, explique Jean Thrifays. Un service d’accueil familial existait dans le département de l’Isère. Je m’y suis rendu et j’aitrouvé l’initiative intéressante, d’autant que ce département et la Province de Namur avaient des caractéristiques communes.

Et l’ex-directeur d’y découvrir les missions de la section « accueil familial » du département sanitaire et social : sélectionner des famillesd’accueil, les former, assurer leur suivi et leur encadrement. Le tout s’articulant autour d’une convention reliant trois parties : le service, la famille d’accueil et lapersonne âgée. Cette convention réglait, notamment, les conditions d’hébergement à savoir les locaux et l’indépendance de la personneâgée. Une condition de l’accueil était que la personne hébergée ne soit pas d’une très grande dépendance nécessitant des soinsconstants. La famille d’accueil ayant, elle, à assurer les repas et la surveillance de la santé de la personne âgée. Elle s’engageait, en outre, àtravailler sous la direction du département des affaires sanitaires et sociales. Tandis qu’un montant était fixé, incluant hébergement et repas.

C’est ainsi que Jean Thirifays lançait, en 1993 – année européenne des personnes âgées – une solution spécifique à la Province deNamur.

« J’avais imaginé faire jouer par les services d’aide et de soins à domicile – ainsi que les maisons de repos, maisons de repos et de soins – lerôle assumé par le service sanitaire et social du département de l’Isère, ce qui permettait une continuité dans le suivi de la personne âgée,explique-t-il. La solution qui a cependant été retenue a été un copier/coller de ce qui se faisait là-bas, c’est donc la Province de Namur qui a jouéle rôle du département sanitaire et social. Une formule qui n’a jamais vraiment fonctionné chez nous », regrette Jean Thirifays. Et de pointer la méfianceimportante des structures externes d’aide aux personnes âgées : centres de jour et services d’aide à domicile. Ainsi que l’existence de formules detélévigilance venant rassurer les familles en jouant un rôle non négligeable dans le maintien à domicile.

Aujourd’hui que l’accueil familial est repris dans le projet de décret wallon relatif à l’hébergement et à l’accueil des personnesâgées, Jean Thirifays estime qu’il doit rester une étape intermédiaire entre le domicilie et la maison de repos. Il y croira si cette formule repose sur unecollaboration avec des institutions intra et extra muros au projet.

Trois personnes plutôt qu’une

Isabelle Jaucot, assistante sociale attachée au projet d’accueil familial en Province de Namur, depuis sa création en 1993, a accepté de partager avec Alter sonexpérience de terrain, confirmant que ce projet provincial n’a jamais eu le succès escompté. Depuis la mise en place de la formule d’accueil familial du serviceprovincial namurois d’action sociale, il y a seize ans, seulement dix à douze personnes âgées ont été accueillies sur une longue durée, tandis que huità dix l’ont été sur une courte durée.

« La différence entre cette nouvelle formule et ce que nous proposions jusqu’ici, c’est que notre convention prévoyait l’accueil familial d’une personneâgée par famille plutôt que trois personnes, comme fixé par le décret de l’ex-ministre Donfut. »

Concrètement, deux personnes âgées étaient ainsi hébergées au sein de familles jusqu’il y a peu, l’une d’elles venant de rejoindre unpetit studio d’une résidence services annexée à une maison de repos et soins. L’autre, âgée de 84 ans, est accueillie depuis quatre ans au seind’une famille, où, il y a dix-huit ans, elle n’était autre que la nounou de la jeune fille vivant aujourd’hui encore chez ses parents. Un cas de figure assez uniqueoù des liens tissés depuis longtemps permettent aujourd’hui un bel échange, une belle solidarité intergénérationnelle.

« Quand une personne âgée rejoint une famille d’accueil, on ne peut lui garantir qu’elle y restera jusqu’à la fin de sa vie, souligne Isabelle Jaucot.Souvent, les accueils de longue durée se sont terminés pour des raisons de santé de la personne âgée. »

La formule d’accueil namuroise prévoit [NDLR : prévoyait ?], par ailleurs, une période d’essai qui a l’avantage de révéler lesdysfonctionnements pouvant surgir. C’est ainsi qu’une famille, par exemple, n’a pu concrétiser un accueil du fait du manque de respect par la personne accueillie, d’unminimum de règles, dont celle concernant le tabagisme. Il est aussi arrivé que des plaintes soient adressées au service provincial comme lorsqu’une personneâgée se voyait privée de chauffage chaque fois que la famille d’accueil vaquait à des occupations à l’extérieur de l’habitation.

Des risques de dérapage

À l’instar de ce qui se vit en intrafamilial, ce mode d’accueil ne met pas à l’abri de dérives, voire de violences à l’égard de la personneâgée hébergée. Tant des directeurs de maison de repos que de services de coordination d’aide et de soins à domicile relèvent cet état de fait. 75% des personnes âgées maltraitées sont, en effet, victimes de violence hors institution,
selon la Capam3, le type de maltraitance le plus courant concernantl’argent : vol direct, pressions pour obtenir don ou héritage, limitation des dépenses médicales pourtant indispensables au bien-être de la personne, etc. De quoidémontrer qu’il ne suffit pas de disposer d’un bien immobilier suffisant et d’une motivation à accueillir des aînés pour se trouver à l’abrides dérapages. Dérapages parfois causés, aussi, par une difficulté à gérer des situations de plus en plus lourdes du fait de la perte d’autonomie despersonnes hébergées, que cette perte d’autonomie soit physique ou mentale.

« Je reste dans l’interrogation, livre en toute honnêteté Isabelle Jaucot. Trois personnes, cela fait beaucoup pour une seule famille. Il est en tous les cas trèsimportant que les accueillants soient bien entourés. Dans les cas d’hébergement que nous avons connus jusqu’ici, la plupart du temps, il s’agissait de personnes ayanttravaillé dans une maison de repos et dans l’aide à domicile qui, une fois retraitées, ont voulu retrouver ce contact avec des personnes âgées, soulignel’assistante sociale. Aujourd’hui, avec ce nouveau décret, il est davantage question de former la personne qui accueille que d’une expérience qu’elle aurait euedans ce domaine. »

Quelle politique à long terme ?

Le docteur Yves Delforge, vice-président de l’Association des Centres de coordination des soins et services à domicile4, incite, lui, à une extrêmeprudence et déplore que de petites maisons de repos privées, à caractère familial, aient fait les frais, par le passé, d’une politique de normesparticulièrement exigeante, de la Région wallonne, ayant entraîné leur fermeture. « Quelle cohérence ? Quelle politique à long terme ? »,interroge-t-il.

Il n’est pas faire preuve de pessimisme, en effet, que de se demander si la période de crise – qui n’est pas encore près de toucher à sa fin – nerisque pas d’encourager des candidatures de personnes davantage motivées par l’apport financier de cette formule d’hébergement familial que par le geste desolidarité intergénérationnelle et de partage qu’elle implique. Cela d’autant que dans le projet de décret relatif à l’hébergement età l’accueil des personnes âgées, celui-ci est défini comme l’hébergement au domicile d’une personne physique. Quid alors de la dimensionfamiliale annoncée dans son intitulé ?
Les CPAS, quant à eux, ont fait savoir – dès l’avant projet de décret – qu’ils ne souhaitaient pas voir mise en place une charte de qualitépermettant une labellisation, et qu’ils ne disposent ni de l’expertise, ni des moyens financiers leur permettant un accompagnement des personnes accueillantes.

Reste à espérer que les arrêtés d’application du récent décret, en matière de contrôle, de suivi et de sanctions éventuelles, desfamilles d’accueil seront adéquats et clairement définis. La question reste en effet entière quant à leur contenu, bien que nous ayons, en vain, tentéà plusieurs reprises de joindre le cabinet de l’ex-ministre Donfut.

1. Service provincial d’action sociale de Namur :
– adresse : rue Bourtombourg, 2 à 5000 Namur
– tél. : 081 77 53 53.
2. Ministère de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des chances de la Région wallonne :
– adresse : rue des Brigades d’Irlande, 4 à 5100 Jambes
– tél. : 08132 34 11.
3. Centre d’aide aux personnes âgées maltraitées. Les activités de l’asbl Capam et du réseau Libr’âgé sont assurées parl’Agence wallonne de lutte contre la maltraitance des personnes âgées depuis le 01/01/2009,
plus d’infos sur www.respectsenior.be
4. Association des centres de coordination de soins et de services à domicile (Accoord) :
– adresse : bd Zoé Drion, 1 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 33 11 55
– site : www.federation-accoord.be

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