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L’activation au sein des CPAS : pour le meilleur et pour le pire

L’aide sociale à l’ère de l’activation des usagers des CPAS, un sujet qui semble susciter beaucoup d’intérêt à voir le nombre de personnes qui sepressaient au Parlement bruxellois ce 24 septembre pour le colloque organisé par le Groupe de recherche sur l’action publique1 de l’ULB. Au-delà desréflexions sur la dimension éthique de “ces nouvelles” politiques sociales et sur les questions organisationnelles qu’elles suscitent, nous avons choisi de mettre plusparticulièrement l’accent sur deux interventions. L’une porte sur l’État social actif et les métamorphoses des identités professionnelles, l’autresur l’analyse des politiques d’activation en CPAS.

05-10-2007 Alter Échos n° 237

L’aide sociale à l’ère de l’activation des usagers des CPAS, un sujet qui semble susciter beaucoup d’intérêt à voir le nombre de personnes qui sepressaient au Parlement bruxellois ce 24 septembre pour le colloque organisé par le Groupe de recherche sur l’action publique1 de l’ULB. Au-delà desréflexions sur la dimension éthique de “ces nouvelles” politiques sociales et sur les questions organisationnelles qu’elles suscitent, nous avons choisi de mettre plusparticulièrement l’accent sur deux interventions. L’une porte sur l’État social actif et les métamorphoses des identités professionnelles, l’autresur l’analyse des politiques d’activation en CPAS.

“Depuis ces dix dernières années, le rôle et les missions des CPAS n’ont cessé de croître dans le domaine de l’Insertion socioprofessionnelle(ISP). Les CPAS, dont la charge est de garantir la dignité humaine à l’échelle communale, se doivent désormais de développer une véritable expertisedans le domaine de l’orientation vers l’emploi. Cette évolution tient à l’inscription des politiques sociales sous le signe de l’État social actif, notionaujourd’hui bien connue et qui suppose qu’il ne s’agit plus de se limiter à garantir une allocation aux usagers mais de stimuler également chez eux un comportementproactif, notamment dans la recherche d’un emploi”2. La plus emblématique de ces évolutions est certainement la réforme du minimex avec la naissance dudroit à l’intégration sociale en 2002. Cette loi focalise deux caractéristiques principales de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler les « nouvelles »politiques sociales : une individualisation de l’aide et une aide encadrée par un contrat.

Dans le même temps, le contexte économique et social a rendu ces missions d’orientation vers l’emploi de plus en plus difficiles. Les CPAS se trouvent ainsi en tensionentre leurs missions d’insertion et les possibilités réelles qui s’offrent aux usagers dans le domaine de l’emploi.

Comment l’activation prend-t-elle concrètement forme au niveau organisationnel ? Quelles sont les difficultés rencontrées au niveau de la mise en œuvre de certainsdispositifs d’activation ? Comment le référentiel de l’activation a-t-il fait évoluer le métier de travailleur social ? Quels sont les effets del’activation sur les partenariats entre les CPAS et d’autres administrations et associations ? Quels sont les enjeux de ces politiques d’activation en termes de droits et detrajectoires des usagers ?… Autant de questions qui étaient au centre du colloque de ce 24 septembre organisé par le Groupe de recherche sur l’action publique (Grap-ULB)sur le thème : “L’aide sociale à l’ère de l’activation des usagers : quels enjeux pour les CPAS ?”.

De nombreuses interventions3 ont émaillé le colloque, nous avons choisi, très subjectivement, de nous concentrer sur deux d’entre elles, celle d’AbrahamFranssen, professeur aux FUSL (Centre d’études sociologiques) et celle d’Anne Herscovici, présidente du CPAS d’Ixelles de 2001 à 2007, sociologue et assistantechargée d’exercices à l’ULB.

L’activation : une injonction paradoxale

Abraham Franssen analyse en quatre temps la transformation du métier de travailleur social. Il ne parle pas de changement radical mais bien de métamorphose. Elle commence, il y aenviron 25 ans, avec l’âge d’or de l’État providence. “C’est l’affirmation du droit à l’aide sociale et la construction d’unecatégorie sociale : les assistants sociaux (AS). Ils avaient alors le sentiment de pouvoir encore raccrocher les bénéficiaires du minimex au salariat, de pouvoir lesréintégrer à la société”. Puis en 1977, les premières interrogations arrivent : le travail social est-il la béquille du systèmecapitaliste ? Les travailleurs sociaux sont-ils au service des institutions ou du peuple ? Les AS commencent à revendiquer leur autonomie. “Nous ne sommes pas des agents de contraintesociale.“ Des tensions apparaissent entre travail social et travail bureaucratique. C’est le premier temps, défini par Abraham Franssen comme celui de l’intégration etde sa dénonciation critique.

Deuxième temps : c’est l’embardée. À qui sert donc le travail social ? “La marginalité devient structurelle. Les AS se sentent devenir des‘agents de désintégration’. C’est alors le malaise identitaire, l’impression de n’être plus qu’une emplâtre sur une jambe de bois.‘Nous sommes les bancontacts des pauvres’ entend-t-on, ‘nous en sommes réduits à un travail strictement administratif' ». L’AS se construit une figure à la foishéroïque et de victime.

Troisième temps. L’État social actif s’installe, même s’il était déjà à l’œuvre auparavant. On parle autonomie dusujet, individualisation du projet, projet vu comme un vecteur de la transformation de soi. Le sujet doit être responsable, actif, on contractualise. “L’État social actifprivilégie une réappropriation du travail social via les bilans de compétences, table de recherche d’emploi. Des outils qui ont donné aux AS le sentiment de pouvoiragir. L’individualisation se fait de plus en plus forte avec pour corollaire un discours sur les troubles de l’employabilité. Un discours qui se construit avec lescompétences des travailleurs sociaux. Les titres évoluent : jobcoacheurs, agents d’insertion, autant d’appellations perçues comme plus valorisantes que ‘travaileursocial’. Se construit alors une identité clinique autour de la visée ‘subjectivante’”.

Quatrième temps. C’est le modèle gestionnaire dans lequel on introduit une ingénierie managériale : comportement de pro-activité, idéal detraçabilité (encodage, développement de bases de données, etc.) “Les logiques de rationalisation s’appliquent aux usagers mais également auxtravailleurs eux-mêmes. On gère les flux, on attribue des points (cf. collaboration Actiris et missions locales).

Quatre logiques qui s’interpénètrent et ne se succèdent pas forcément, précise Abraham Franssen. “Qu’il s’agisse de la logique ducontrat, du principe de l’action en milieu ouvert, des pratiques de médiation, du travail d’accompagnement individualisé en vue de l’insertion, de l’insistancesur le travail en réseau, ces « nouveaux modes de traitement social » se sont construits dans la contestation et l’alternative au modèle classique avantd’être progressivement repris comme la nouvelle forme même du social-assistantiel. D’autre part, la mise en œuvre de l’État social ac
tif, la constructiondes nouvelles catégories qui l’accompagnent, l’identification des problèmes sociaux comme problèmes catégoriels, voire personnels, et, à un autreniveau, la mise en place des nouveaux modes de gestion des dispositifs sociaux et de management de leurs travailleurs, sont ressenties, par ceux-ci, comme une rationalisation accrue du travailsocial. Cette rationalisation est paradoxale dans la mesure où elle s’accomplit directement au nom du sujet lui-même. Pour les travailleurs sociaux, comme pour les usagers, toutela difficulté des références au sujet autonome promues par l’État social actif est de désamorcer les possibilités critiques.”

On n’a pas attendu d’être activés pour s’activer

“L’hétérogénéité des publics, la multiplicité de leurs trajectoires à quoi s’ajoute la diversité des politiques des CPAS rend lesgénéralisations hasardeuses.” Voilà pour les précautions oratoires. Revenant sur le cœur même du colloque, Anne Herscovici insiste sur le poids des motsqu’on utilise. “Beaucoup de bénéficiaires du CPAS n’avaient pas attendu d’être activés pour s’activer. Il y a aussi de l’activation dansla débrouille. Et si l’on parle de devoir activer les usagers, on implique immédiatement une notion de passivité dans leur chef, comme dans la foulée, dans celui destravailleurs sociaux. Néanmoins, les réformes législatives successives lèvent toute ambiguïté, la disposition au travail, -impliquant le droit auxétudes et à une formation –, est devenue une condition essentielle du droit au revenu d’intégration. Le règne de l’activation a déplacé le centre degravité des CPAS et modifié leurs relations aux usagers qui sont dorénavant suivis/soutenus/contrôlés, etc. et par le service social général et par leservice d’insertion socioprofessionnelle. Le parcours institutionnel est devenu plus complexe pour des usagers peu au fait des subtilités organisationnelles internes aux CPAS et deséventuelles tensions entre services.”

Et l’ex-présidente du CPAS d’Ixelles de dénoncer les aides sociales souvent conditionnalisées au fait que l’usager ait réalisé ou non un“bon” parcours ISP. “Quand vous avez une AS qui demande dans un dossier le remboursement de lunettes par ex. et qu’on conditionnalise l’octroi de ces lunettes au faitque la personne ait rempli les étapes de son parcours ISP, on peut comprendre que parfois les services aient du mal à collaborer. L’activation peut être le chemin versl’émancipation : pourvu que les démarches demandées aient un sens, que l’usager bénéficie d’un soutien respectueux pour (re)construire sa capacitéd’autonomie, avec ce que cela peut impliquer de temps. Avec ce que cela implique aussi de lucidité partagée sur la réalité du marché de l’emploi. L’activation peutaussi mettre hors-jeu les usagers qui ont érigé la fraude en système. Mais l’activation est désastreuse quand elle ne respecte pas le rythme des personnes, quand elleculpabilise et aggrave les sentiments d’échec, d’inutilité et de dépendance. Elle est désastreuse quand elle est imposée aux usagers dépressifs dont lamaladie est précisément ‘l’impuissance même à vivre, à initialiser l’action’. Aux usagers malades à force de mobilisations vaines.”

Et Anne Herscovici pointe les contradictions du système : “les efforts sont loin d’être toujours récompensés. Les usagers n’ont parfois pasintérêt à s’activer s’ils veulent pouvoir conserver leurs droits. Si par exemple, il ne s’agit que de quelques heures de travail, ça complique plus leschoses que cela ne les facilite. C’est toute la question des pièges à l’emploi. Une femme seule avec enfants n’a pas toujours intérêt à travailler.Avec les boulots précaires offerts, elle perdra en niveau de vie. Parfois un emploi dans ces conditions n’améliore pas le quotidien, bien au contraire. L’activation doitrimer avec protection. Il ne faut pas faire semblant de croire que suivre une formation suffira à décrocher un emploi.”

Des emplois qui souvent dans les parcours ISP sont des articles 60. “On attribue parfois ces emplois art. 60 en vitesse pour ne pas perdre les subsides et le temps d’expertise desagents d’insertion n’est alors pas respecté. Quand on précipite les gens vers les art. 60 sans préparation, on fragilise leur sortie. L’art. 60 peut êtreune expérience professionnelle enrichissante mais aussi constituer un découragement supplémentaire s’il ne débouche sur rien.” Et puis il faut aussi pointerles malentendus et les tensions : avec les usagers qui sont actifs à leur manière et dont les petits boulots en noir assurent le complément au revenu d’intégration quiévite le surendettement… “Les usagers ont des préoccupations immédiates et ne comprennent pas pourquoi le CPAS leur impose d’apprendre à lire et écrirele français ou le néerlandais, comme préalable à une mise à l’emploi. Ils revendiquent un emploi, tout de suite. Et ne comprennent pas que leur disposition àtravailler traduite dans la réalisation sans faute d’un parcours d’insertion, d’un contrat sous art. 60 puisse déboucher sur le chômage.”

1. Grap-ULB :
– adresse : av. Franklin Roosevelt, 50 CP 135, 1050 Bruxelles
– contact : Isabelle Lacourt – courriel : ilacourt@ulb.ac.be
– tél. : 02 650 49 78
– site : www.ulb.ac.be/soco/grap

2. Extrait de l’introduction de “Quelle est votre projet ?” L’insertion socioprofessionelle des usagers dans les CPAS bruxellois, Brussels studies n°5, 23 mars2007 – site : http://www.brusselsstudies.be
3. Les résumés des interventions peuvent être consultés à l’adresse : http://www.ulb.ac.be/soco/grap

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