Favoriser le « vivre ensemble » des différentes cultures à l’école, et s’appuyer sur une « pédagogie du projet », visant àrassembler plutôt que de mettre en exergue les différences culturelles, une approche qui prend tout son sens dans le cadre des Assises de l’interculturalité.
Le 7 octobre, dans les locaux de l’asbl Carrefour des Cultures1, à Namur. Autour de la table, des administrateurs de l’asbl, un policier attaché à la celluleinterculturelle de la Ville de Namur, un animateur FGTB, la directrice de l’Athénée St-Servais, le responsable communication du Centre d’action laïque,l’échevine de l’Enseignement de la Ville de Namur, des professeurs d’origine marocaine, un papa marocain, une doctorante ethnologue de l’UCL et deux animateurs deCarrefour des Cultures, dont David Noël, licencié en médiation des savoirs. Ce dernier se prépare à animer la réunion, en tant que gestionnaire du projet« L’école face à l’interculturalité ».
Lancée par Carrefour des cultures, la démarche vise à susciter des rencontres, des échanges, des débats et une réflexion dans le but de « repenserl’école de demain dans sa dimension interculturelle ». « Nous y travaillons depuis fin mai, explique David Noël ; la finalité de ce programme, autour de cinqrencontres thématiques, est la création d’un outil pédagogique à destination du primaire, niveau d’études où les enfants n’ont pasd’a priori. Cet outil suscitera une découverte de l’acceptation de la différence, et devrait permettre aux enfants de mieux vivre l’interculturalitélorsqu’ils seront dans le secondaire. » Et d’ajouter : « Le dialogue interculturel c’est pouvoir regarder, par exemple, que le voile n’est pas forcémentporté par les jeunes filles parce qu‘elles sont obligées, mais parce que ça peut être un choix. »
Au programme, cinq rendez-vous thématiques, d’octobre à décembre, intitulés comme suit : Qu’est-ce que l’interculturalité ? Comments’adresser aux enfants ? Quel message voulons-nous faire passer ? Quel média pour le(s) contexte(s) scolaire(s) ? Quelle forme prendra notre outil ? Nécessité de fairetomber les préjugés, d’être à l’écoute des différences,… Chacun, autour de la table, ne peut qu’abonder dans ce sens.
Une fois la question du voile mise en avant, les réactions des participants se font vives : « Si tel était le but de ces rencontres, je ne serais pas ici », exprimel’échevine de l’Enseignement. Réactions aussi du côté d’Yves Kenger, du Centre d’action laïque2, qui fait référenceà la culture occidentale et aux valeurs d’égalité et d’émancipation dans lesquelles il est prévu que s’inscrivent les Assises del’Interculturalité. Une précision qui prend d’autant plus de sens que, dès le début de la réunion, la directrice de l’école primaireSaint-Servais et l’échevine de l’Enseignement regrettaient l’attitude de papas marocains refusant de s’adresser à une directrice, plutôt qu’àun directeur.
Et le malaise de commencer à être palpable lorsque la doctorante-ethnologue considère que « l’on ne peut se référer à une définition debase du mot culture puisque l’on trouve un millier de définitions de ce mot au dictionnaire ». Elle va plus loin, suggérant que la question de l’intégrationsoit évacuée du débat.
La Manne à pains
Comment donc approcher l’interculturalité face à la dichotomie qui sous-tend la réflexion : Veut-on privilégier la différence et son respect ou,plutôt, mettre en valeur la profonde analogie qui unit tous les êtres humains ? Le Centre d’action interculturelle3 – qui n’a pas étéassocié à la démarche de Carrefour des Cultures – s’est penché sur cette question depuis plus de dix ans, et a conçu un outil pédagogique pour lefondamental qui continue de vivre son bonhomme de chemin. « La Manne à pains était encore utilisée dans une Haute école de Tournai, en mars dernier, et durantces vacances d’été dans une des plaines organisées par la Ville de Namur », explique Patrick Colignon, responsable communication du CAI.
Outil d’exploration, la Manne à pains a été conçue pour répondre aux insatisfactions quant aux outils pédagogiques disponibles traitant del’interculturalité, trop souvent le fait de spécialistes de l’enseignement dans des domaines particuliers. Des outils, in fine, peu adaptés àl’enseignement fondamental. « L’approche ludique et culturelle choisie pour la Manne à pains, a reflété la volonté d’une démarchetransversale des acteurs de l’éducation : collecte d’information dans les familles, réunions avec les différentes écoles de devoirs pour examiner leursattentes, réalisation d’animations, travail avec un groupe de femmes afin de réaliser une vidéo-recette. Les idées n’ont pas manqué pour étofferle contenu, avec les acteurs-utilisateurs, explique le Centre d’action interculturelle. Depuis son lancement en 1998, la Manne à pains s’enrichit régulièrementdes contributions, inventions et idées des utilisateurs. »
Mettre l’accent sur ce qui rassemble
Professeur à la Haute école de la Communauté française en Hainaut4, à Tournai, Annick Bettex est titulaire du cours « Diversitéculturelle et genre ». Présent dans la grille horaire depuis six années, ce cours constitue un module de 30 heures, initialement prévu pour être proposéà raison d’une heure/semaine. Avec ses collègues, Annick Bettex a cependant chamboulé, avec bonheur semble-t-il, la programmation de ce cours, en regroupant toutes lesheures en une semaine qu’elle qualifie d’immersion. « Je mélange les futurs instituteurs du préscolaire, du primaire et du régendat en formant des groupes dedix étudiants, explique-t-elle. L’objectif étant qu’ils commencent à apprendre à se connaître entre eux et qu’ils puissent découvrirqu’ils sont issus de milieux différents, alors même que l’on ne parle pas encore de nationalités différentes. En réalisant une enquête au sein deleur famille sur une série de thèmes du quotidien, les étudiants peuvent ainsi découvrir qu’il existe une forte diversité culturelle au niveau des originessocial
es, des valeurs, de la culture. Une mise en commun de ces différences permet ensuite un travail sur les préjugés et sur les stéréotypes. Mes collègueset moi utilisons, entre autres, pour ce faire l’outil Voir l’autre créé par École sans racisme5 dont je suis une militante bénévole.Commence ensuite l’immersion dans différentes cultures d’immigrés via des visites et des ateliers tels que la découverte du Musée d’Afrique centrale etle Village du monde d’Oxfam, mais aussi la participation à des animations proposées par des conteuses, par l’asbl Lire & Écrire, etc. »
Autre moment fort de cette semaine d’immersion interculturelle, la découverte de la Manne à pains. « Je la trouve magnifique, s’exclame Annick Bettex, ellemontre comment le pain traverse le temps et les cultures pour nous rendre semblables dans sa consommation, même si cet aliment prend des formes et des goûts différents. En effet,je ne veux pas faire ce que j’appelle de la pédagogie couscous, qui insiste sur les différences : je préfère mettre l’accent sur ce qui rassemble. Etl’enseignante d’insister sur les qualités pédagogiques de la Manne à pains qui permet de susciter des apprentissages interdisciplinaires puisqu’elle donnel’occasion de faire tant de l’art que des maths et des sciences, en passant par la psychomotricité, le français, la géographie, l’histoire et la musique. Unemanière, aussi, d’encourager les futurs enseignants à créer eux-mêmes des outils pédagogiques.
Une écoute, des balises et des lois
Comment le montre l’actualité, c’est cependant davantage dans le secondaire que réside le vrai défi de l’interculturalité. « C’est unequestion à traiter tout en nuance, insiste Geneviève Bastin, psychologue en centre PMS II6 de Namur. Les jeunes que nous rencontrons et qui maîtrisent lefrançais, à l’inverse de leurs parents doivent, en quelque sorte, assumer un rôle parental au sein de la famille. Nous rencontrons aussi des filles qui subissent despressions par rapport à l’école : elles souhaiteraient continuer des études alors que les parents ne le veulent pas. »
Directeur du même centre PMS, Claude Permentier évoque, lui, l’accompagnement qu’il réalise, pour ce qui est de la construction du projet personnel desélèves. « Je dois travailler avec les représentations fausses que des jeunes peuvent avoir des métiers. Ainsi, dans la culture africaine, on est très attentifau statut social que va apporter la profession. Des jeunes africains peuvent ainsi être convaincus que c’est la filière médecine qu’ils doivent choisir alorsqu’ils peuvent être très mauvais en sciences. »
François Gigi, également psychologue, abonde dans le sens de ses collègues : « Les comportements peuvent être très différents en fonction de laculture. Chez les asiatiques, par exemple, on ressent fort cette volonté d’ascension sociale qui se traduit par un investissement dans un travail scolaire en conséquence.»
Si les trois psychologues interrogés s’accordent à dire que les enseignants tentent, au travers de cours tels que le cours de GCPP (Gestion collective de projetspluridisciplinaires) de mettre en place des projets et outils visant à faire s’exprimer les différences pour une meilleure compréhension et acceptation de celles-ci, ilsévoquent aussi les limites de l’école.
« L’école a-t-elle encore le temps et l’énergie pour gérer la question de l’interculturalité ? », interroge Claude Permentier. «Est-il possible d’y travailler la culture alors que l’école a déjà tant de missions, et qu’elle a, elle-même, sa propre culture ? », ajouteFrançois Gigi. « Ce sont surtout, in fine, les activités extra-scolaires entre élèves de cultures différentes qui permettent une autre rencontre »,souligne Geneviève Bastin.
Une ambiance, des projets communs
Directeur du Collège Pie X7 de Châtelineau, Laurent Divers mise sur l’ambiance que peut créer une école. Ambiance visant à valoriser ou non tousceux qui la fréquentent. « L’établissement scolaire est équipé de deux zones où les jeunes peuvent se retrouver en dehors des cours : un espace culturelet un espace détente. Dans le premier, ils trouvent des livres à emprunter, des journaux à lire, on y fait des recherches sur Internet. Nous avons ainsi une jeuneélève voilée qui a demandé s’il était possible qu’elle emporte la presse chez elle, afin de la faire lire à ses parents. Dans l’espacedétente, les jeunes peuvent glander dans des canapés, jouer du piano, etc. Bref, ces deux zones créent une ambiance propice aux échanges entre tous, d’autant quel’établissement scolaire est attentif, depuis plusieurs années, à instaurer une mixité sociale dans la manière d’inscrire et d’équilibrerles groupes-classes. Pour le reste, si des difficultés surgissent, elles sont traitées au cas par cas. »
Avec ses 20 % d’élèves issus de l’immigration, le Collège Pie X est attentif à prévoir une petite restauration composée de salades, de frites,de sandwiches et de pâtes : bref des préparations qui ne sont pas connotées culturellement, ou en tout cas frappées d’aucun interdit. Et pour ce qui est du voile, deuxélèves seulement le portent. « Nous les laissons libres de le faire, mais ça ne me gênerait pas que l’on légifère là-dessus »,signale le directeur. Rejoignant le discours des trois agents de PMS que nous avons rencontrés, qui estiment que les règles et les lois promulguées rendent plus facile larencontre interculturelle en fixant des balises.
Pour conclure ce tour d’horizon, notons que le dénominateur commun qui se dégage du vécu, de l’analyse et de la réflexion des acteurs de terrainrencontrés, est l’intérêt que représente une « pédagogie du projet » visant à rassembler plutôt que de mettre en exergue lesdifférences culturelles. Sans oublier que c’est, justement, parce que les valeurs des uns et des autres ne se négocient pas (comme aime à le soulignerl’Université de Paix quand elle aborde la gestion des conflits) que des balises et règles à respecter s’imposent.
1. Carrefour des Cultures :
– adresse : rue Jean Baptiste Brabant, 21 à 5000 Namur
– tél./fax : 081 41 27 51
– courriel : info@carrefour descultures.org< br>2. Centre d’action laïque asbl :
– Campus de la Plaine ULB (accès 2), CP 236
– adresse av. Arnaud Fraiteur à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 627 68 11
– courriel : cal@ulb.ac.be
3. CAI Namur :
– adresse : rue Docteur Haibe, 2 à 5002 Saint-Servais (Namur)
– tél. : 081 73 71 76
– site : www.cainamur.be
4. Haute école de la Communauté française en Hainaut :
– adresse : rue des Carmes, 19b à 7500 Tournai
– tél. : 069 22 55 12
– site : www.hecgh.be
5. École sans racisme :
– adresse : rue des Alexiens, 37 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 511 16 36
– courriel : info@ecolesansracisme.be
6. Centre PMS Libre Namur II :
– adresse : rue du Lombard, 24 à 5000 Namur
– tél. : 081 22 34 71
– courriel : dir.cpmslibre.namur@sec.cfwb.be
7. Collège Pie X :
– adresse : rue Lloyd Georges, 15 à 6200 Châtelineau
– tél. : 071 38 38 48
– site : www.pie10.be