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Regard critique · Justice sociale

Edito

La Belgique, ce gros samovar

Étant gosse, l’objet me fascinait. Brillant, compliqué, rempli de valves et de robinets, il trônait sur un vieux meuble en bois sombre, dans le salon de ma grand-mère. En attendant son heure, comme tout bon samovar doit le faire. Son rôle principal était certes de rappeler à ma «Babouchka» ses origines russes. Mais parfois il s’animait et, là, c’était un festival. Ça fumait, ça bouillait et, au final, ça produisait du thé! Quelle machine, et quel bazar pour produire un petit liquide brunâtre. Ça aussi, ça me fascinait… Trente ans plus tard, c’est l’État belge qui me procure un sentiment presque comparable.

Étant gosse, l’objet me fascinait. Brillant, compliqué, rempli de valves et de robinets, il trônait sur un vieux meuble en bois sombre, dans le salon de ma grand-mère. En attendant son heure, comme tout bon samovar doit le faire. Son rôle principal était certes de rappeler à ma «Babouchka» ses origines russes. Mais parfois il s’animait et, là, c’était un festival. Ça fumait, ça bouillait et, au final, ça faisait du thé! Quelle machine, et quel bazar pour produire un petit liquide brunâtre. Ça aussi, ça me fascinait… Trente ans plus tard, c’est l’État belge qui me procure un sentiment presque comparable. Nous pourrions avoir un pays façon Lipton: de l’eau bouillante, un petit sachet et, hop, le tour est joué. Ce n’est pas toujours forcément délicieux, mais c’est efficace. En lieu et place de cela, la Belgique est aujourd’hui un gros samovar. Quand elle se réveille parfois pour mettre en œuvre les maigres compétences qu’il lui reste, quelle fumée, quelle complexité… Tout ça pour finir par voir un mince filet de politique s’écouler d’un vieux robinet fatigué.

Alors bien sûr, la machine est peut-être belle, intrigante, mais on n’y comprend plus rien. Jean Faniel, directeur général du Crisp (Centre de recherche et d’information sociopolitiques), le disait dans les pages d’Alter Échos il y a quelques mois: «Aujourd’hui, il ne se trouve plus personne en état de tout maîtriser.» Au fil des réformes de l’État, la Belgique est devenue tellement compliquée que plus un ministre, plus un expert ne maîtrise l’ensemble des compétences des Communautés, des Régions, du fédéral. Le bon sens voudrait que l’on s’arrête là. Voire que l’on refédéralise certaines matières. Pas par idéalisme, mais par pragmatisme. Des compétences régaliennes doivent être effectuées de manière claire par un État doté de moyens qui ne soient pas éparpillés au profit d’un millefeuille d’entités aux intérêts parfois divergents.

On se dit qu’on pourrait faire mieux avec la quantité importante d’argent récolté. Et que la complexité de notre État n’y aide sûrement pas

Selon les chiffres d’Eurostat, la Belgique se classe en troisième position en termes d’imposition avec un taux de près de 45% du PIB, juste derrière la France et le Danemark. Sans sombrer dans le populisme, on se dit qu’on pourrait faire mieux avec la quantité importante d’argent récolté. Et que la complexité de notre État n’y aide sûrement pas… Malgré cela, Geert Bourgeois (N-VA), le ministre président flamand, vient de plaider pour une nouvelle réforme de l’État en 2019. Et du côté wallon, les régionalistes se cachent de moins en moins. Quant à nous, la population, que vienne une critique de l’étranger à propos de la manière dont la Belgique, Bruxelles, la Wallonie ou la Flandre se gèrent et c’est souvent des réponses offusquées, voire pire…

Le «Belgium bashing», tellement à la mode aujourd’hui du fait des fumerolles produites par un État à l’agonie, a encore de belles heures devant lui. Il faut dire qu’on ne s’aide pas…

En savoir plus

Lire le dossier hors série d’Alter Echos : « Sixième réforme de l’Etat : décollage contrôlé ?« , septembre 2015

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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