«Nous, les Belges, avons l’Union européenne (UE) dans notre ADN!» Enthousiaste, le Premier ministre Alexander De Croo dévoilait, début décembre, les priorités de la présidence belge du Conseil de l’UE devant un parterre de journalistes réunis au cœur du quartier européen à Bruxelles. Et le Premier ministre de s’extasier: «S’il y a un pays qui incarne la diversité et le dynamisme de l’UE aujourd’hui, c’est bien la Belgique!»
Tous les six mois en effet, un autre pays prend les manettes du Conseil de l’UE, l’institution qui regroupe les 27 États membres. Il devient alors – l’éphémère – chef d’orchestre des négociations au plus haut niveau. Mais une présidence se prépare bien en amont. Il faut identifier les dossiers prioritaires, écouter les uns et les autres en vue de saisir les centres d’intérêt de chacun, se lancer dans une «opération séduction» auprès des autres capitales pour faire avancer ses idées, et renforcer ses effectifs – car la charge de travail augmente en flèche en période de présidence.
Il est aussi de coutume de se choisir une devise – souvent trois mots qui donnent le ton. La Belgique a choisi «protéger, renforcer et préparer». Il faut, à en croire Bruxelles, protéger l’État de droit et les autres grands principes et valeurs dans l’UE, renforcer la démocratie européenne et préparer l’avenir. Tout un programme. Mais au-delà des déclarations d’intention, il faut surtout passer à l’action. Car une présidence est aussi une sorte de course de fond dans laquelle un pays tente de rafler autant de trophées que possible pour décorer son tableau de chasse.
Ces trophées, à l’échelon européen, se comptent en nombre d’accords définitifs sur des textes législatifs. Plus les dossiers sont épineux, plus ces trophées sont prisés. Et la présidence espagnole, qui s’est achevée fin décembre, a multiplié les belles prises, à l’image des accords sur la législation concernant l’intelligence artificielle, sur la nouvelle directive s’intéressant aux droits des travailleurs des plateformes en ligne ou sur la réforme du marché de l’électricité.
Mais beaucoup d’autres textes restent sur le métier – et pourront permettre à la Belgique de se démarquer, si elle parvient à réunir les conditions nécessaires pour accorder les violons des colégislateurs, que sont les 27 États membres de l’UE (au sein du Conseil de l’UE, donc) et les 705 eurodéputés qui siègent au Parlement européen.
Un «Pacte vert» défendu du bout des lèvres
Difficile pour la Belgique de ne pas se placer dans la droite ligne du «Green Deal» européen, le chantier le plus emblématique des derniers mois. Et pourtant, ce n’est semble-t-il pas l’envie qui manque au plat pays de s’en éloigner. Dans son programme pour le semestre, la présidence entrante le promet: elle «poursuivra la mise en œuvre des initiatives politiques de l’UE dans le cadre du Pacte vert et veillera à ce que toutes les politiques soient élaborées et exécutées dans le respect des objectifs climatiques et environnementaux».
Ce «Green Deal» remonte à décembre 2019, juste après les dernières élections européennes. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait alors dévoilé ce vaste plan visant à faire de l’UE le premier continent neutre d’un point de vue climatique à l’horizon 2050. Pour mettre en musique ce programme, l’exécutif européen a mis sur la table une cascade de propositions visant par exemple à introduire un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, à restaurer les écosystèmes en Europe ou à réduire l’utilisation des pesticides. Les négociations de la majeure partie de la douzaine de textes contenus dans le «Pacte vert» ont été menées à bien et, au cours des derniers mois, les accords se sont multipliés. Mais certaines propositions doivent encore «atterrir», comme aiment à le dire les négociateurs bruxellois.
C’est par exemple le cas de la proposition de règlement relatif aux emballages et aux déchets d’emballages. L’enjeu est énorme: il s’agit autant de supprimer les emballages et suremballages inutiles que de développer la réutilisation et la valorisation des déchets en fin de vie. Dans son programme, la présidence belge promet de «faire progresser» les négociations sur ce dossier qu’elle qualifie sans ambages de «critique».
Difficile pour la Belgique de ne pas se placer dans la droite ligne du «Green Deal» européen, le chantier le plus emblématique des derniers mois. Et pourtant, ce n’est semble-t-il pas l’envie qui manque au plat pays de s’en éloigner.
Alexandre De Croo, lui, ne défend ce «Pacte vert» que du bout des lèvres. Il ne jure que par un «Clean Industry Act» (ou législation pour une industrie propre). Dès le mois de mai, il s’était, dans des propos très remarqués, prononcé en faveur d’une «pause» dans la législation environnementale. Début décembre, dans un entretien aux magazines Trends et Trends Tendances, il a persisté dans cette direction: «À côté du ‘Green Deal’, nous devrions avoir une sorte de Clean Industry Act pour aider notre industrie à atteindre ses objectifs. Je serais le dernier à dire qu’il faut réduire nos objectifs en matière d’émissions de CO2. Mais, pour le reste, j’ai eu l’occasion de dire il y a six mois qu’il faut faire une pause dans les autres domaines: tout le monde était fâché sur moi, mais je persiste à le dire. L’Europe doit définir ses priorités. Aujourd’hui, notre industrie, nos PME, notre population ont compris qu’il fallait tout faire pour diminuer radicalement nos émissions. Mais si vous ajoutez à cela la biodiversité, la suppression de produits chimiques ou la restauration de la nature, vous allez mettre votre priorité sous pression. Il faut choisir.» Pour l’écologiste belge Philippe Lamberts, eurodéputé depuis 2009, en attaquant le «Green Deal», le Premier ministre «cherche avant tout à s’adresser à l’électorat de droite en Flandre». Les élections législatives fédérales sont organisées en même temps que les élections européennes…
Mais, durant la conférence de presse de présentation des priorités belges, le Premier ministre a tenu à préciser qu’il n’avait «pas dit qu’il faudrait faire une pause». «Le Pacte vert est un bon paquet législatif. Mais la question, c’est comment le mettre en œuvre. Nous travaillerons avec la Commission européenne en faveur d’un agenda large, d’un agenda favorable aux activités industrielles», a-t-il précisé, soulignant que son objectif est clair: «Maintenir les ambitions du ‘Green Deal’, mais permettre à l’industrie d’être un partenaire» de la transition verte. Durant ses six mois à la «tête de l’Europe», la Belgique entend donc faire la part belle à l’économie, peut-être même plus qu’à l’écologie.
Une présidence en deux temps
Occuper la présidence tournante du Conseil de l’UE, c’est aussi entreprendre un important travail de balisage, pour tenter de faire converger au plus vite les visions de tout un chacun. Sur le règlement relatif aux agences de notation sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ou «ESG»), la proposition qui entend introduire un nouveau cadre plus compréhensible et adapté pour ces critères, la Belgique a par exemple annoncé qu’elle comptait «achever les travaux». Ces critères «ESG» servent à noter, par exemple, les entreprises ou les produits financiers. Si, en la matière, Bruxelles opte pour un tel niveau d’ambition, c’est parce qu’elle sait que les pourparlers sont bien avancés, et qu’elle peut donc se permettre d’être optimiste: côté Parlement européen, la commission des affaires économiques et monétaires (ECON) a dégagé sa position de négociation et la validation de celle-ci en plénière ne devrait être qu’une formalité d’usage. Côté Conseil de l’UE, les pourparlers vont aussi bon train.
Dans un autre registre, la Belgique espère aussi qu’un accord pourra être dégagé sous sa présidence sur la directive contre les violences faites aux femmes. Les «trilogues» (c’est-à-dire les négociations finales entre le Conseil de l’UE et le Parlement européen, en présence de la Commission européenne) ont été lancés en fin d’année dernière. Cette proposition entend combler les lacunes existantes en matière de protection et d’accès à la justice pour les femmes au sein de l’UE. Là encore, si la Belgique inscrit ce dossier haut dans son agenda, c’est parce qu’elle a estimé qu’un accord est à portée de main.
Dans un autre registre, la Belgique espère aussi qu’un accord pourra être dégagé sous sa présidence sur la directive contre les violences faites aux femmes.
Avec cette présidence, Bruxelles n’en est pas à son coup d’essai: en tant que membre fondateur de l’UE, le pays a déjà occupé ce poste à douze reprises. Le député Philippe Lamberts rappelle qu’«administrativement, la Belgique est rodée pour occuper la présidence du Conseil de l’UE, et, d’ailleurs, ce rôle ‘d’honest broker’ [sorte de médiateur impartial, NDLR] parmi les États membres lui convient bien».
Mais, mi-décembre, l’ambassadeur belge auprès de l’UE, Willem van de Voorde, n’a pas caché que cette présidence sera particulière du fait des élections qui approchent. Il a évoqué une présidence «en deux temps», avec d’abord une période législative, puis une phase décrite comme davantage «prospective», durant laquelle il faudra réfléchir à l’avenir de l’UE à plus long terme. Il s’agit notamment, pour les Vingt-Sept, de s’entendre sur un nouvel «agenda stratégique».
Toutefois, d’après les résultats d’une étude menée par le Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) et l’Institut d’études européennes et publiée par le journal Le Soir, seuls 15,7% des personnes interrogées estiment que «la présidence belge va faire changer les choses dans le bon sens en Europe». Dix pour cent pensent l’inverse. Et 53,6% répondent «ni l’un ni l’autre». Finalement, pour bien préparer sa présidence, la Belgique devrait peut-être avant tout faire connaître ses ambitions et ses pistes d’action pour les six mois à venir.