Tam Tam voit le jour dans le courant de l’année 2017, époque à laquelle la politique du gouvernement Michel provoque une vague de contestations. Craignant de voir la coalition fédérale être reconduite après les élections de mai 2019, différents acteurs mettent en place une campagne d’information, de sensibilisation et de mobilisation: Tam Tam, pour «Un tout autre mouvement pour un tout autre monde». Collaborateur scientifique à l’ULB et à l’Université d’Anvers, Robin Van Leeckwyck s’est intéressé pour le CRISP à la genèse de cette campagne, qui a été, selon le chercheur, l’un des acteurs de l’union des luttes menées au sein du milieu associatif et syndical pour la justice sociale, climatique et migratoire.
Alter Échos: L’un des premiers motifs de ce rassemblement, ce sont les élections de 2019 et une mobilisation contre le gouvernement Michel. À partir de là vont s’agréger toute une série d’acteurs. Mais il y a aussi l’héritage de Tout Autre Chose, mouvement né dans la foulée de la crise financière.
RVL: Il y avait un souhait très fort des acteurs de Tam Tam de se différencier de Tout Autre Chose. Mais, dans les faits, dans la manière de communiquer, de se présenter au public, voire de fonctionner, l’héritage de Tout Autre Chose était très fort. Rien qu’à travers le nom ou le logo, les ressemblances sont flagrantes. Lorsque j’ai soumis mon texte aux divers acteurs de Tam Tam, tous s’étonnaient beaucoup sur le fait que je constatais ce lien entre les deux campagnes, alors qu’à les entendre, ils n’ont cessé de s’en distancier. Il y a pourtant un fort héritage. Pour cause, près de la moitié du bureau de Tam Tam venait de ce mouvement.
AÉ: À côté de cet héritage encombrant, vous évoquez la communication de Tam Tam. Avec une saisonnalité des thématiques. Pour un mouvement social, c’est un plan de communication assez innovant…
RVL: Effectivement. J’ai par le passé analysé la communication de mouvements similaires tels Alliance D19-20 ou Tout Autre Chose. On constate cette réflexion, chez les mouvements sociaux, de savoir s’ils vont ou non professionnaliser la communication. Souvent, étant donné qu’il n’y a pas d’argent, ils vont surtout se reposer sur les bénévoles pour la communication. Or, dans Tam Tam, l’objectif de départ était de débloquer un minimum d’argent pour pouvoir communiquer, en externalisant celle-ci à des professionnels, notamment à Story Circus (qui produit DataGueule) ou à l’asbl Z (qui s’occupe de l’organisation du festival Esperanzah).
AÉ: Vous dites justement – et c’est une tendance ces dernières années – qu’on est davantage dans du marketing social. C’est une évolution importante pour les mouvements sociaux…
RVL: Cela fait un petit moment que je suis le travail mené par l’asbl Z. Depuis plusieurs années, le responsable communication de cette association met en avant ce marketing social, en reprenant les codes du marketing traditionnel, propres au business, et en les appliquant à l’action sociale. C’est une approche très éloignée de l’éducation permanente ou de la manière que les syndicats ont l’habitude de mobiliser, de communiquer. Aux yeux de certains, l’éducation permanente a tellement une mauvaise image, désuète, dépassée, que les mouvements sociaux se doivent de tenter de nouvelles approches afin de toucher un autre public.
AÉ: Et en cela, avez-vous l’impression que la campagne a fonctionné? Vous rappelez la volonté de Tam Tam de toucher les grands médias – Le Soir, la RTBF – plutôt que des médias alternatifs…
RVL: La volonté était claire de toucher le public le plus large possible. Le problème, c’est que la campagne s’est très vite retrouvée enfermée dans sa propre bulle, même en communiquant via des médias comme Le Soir ou la RTBF. La campagne a finalement été relayée par des personnes déjà relativement sensibilisées aux thématiques portées par Tam Tam. Il est aussi intéressant de constater que la campagne s’est dirigée vers des médias qui répondent à leur propre profil sociologique au lieu de se tourner vers des titres, certes traditionnels, mais qui touchent un autre public, plus populaire, comme la DH ou Sudpresse. La campagne aurait eu tout intérêt à aller vers ce genre de médias. Malgré l’énergie mise dans cette volonté de toucher de grands médias, tout comme celle mise sur les réseaux sociaux, la campagne a eu beaucoup de mal à rencontrer un public plus large. Ce n’est pas forcément un échec, parlons plutôt d’une demi-réussite… En effet, la campagne Tam Tam a réussi à maintenir une certaine vigueur dans le milieu militant.
«Malgré l’énergie mise dans cette volonté de toucher de grands médias, tout comme celle mise sur les réseaux sociaux, la campagne au eu beaucoup de mal à rencontrer un public large. Ce n’est pas forcément un échec, parlons plutôt d’une demi-réussite…»
AÉ: Et ce, en rassemblant parmi les membres de Tam Tam des profils très différents: syndicalistes, activistes et universitaires. Avec, au fil de la campagne, des tensions entre chacun.
RVL: Cela n’a pas été simple de concilier ces trois profils d’acteurs, même si cela a aussi été la force de Tam Tam. S’il y a eu des dissensions entre le milieu académique et le terrain, c’est généralement parce qu’ils n’étaient pas d’accord sur les chiffres, sur la manière de présenter les choses. Au niveau de la mobilisation, il est intéressant aussi de voir comment les syndicats et les activistes se sont positionnés différemment. Ces derniers, à travers des structures informelles, non hiérarchiques, très horizontales, ont mené des actions «coup de poing» où l’objectif n’était pas forcément de sensibiliser, de parler aux citoyens dans la rue, mais de frapper les esprits, là où les syndicats visaient les actions de masse comme la grève et les manifestations… Cela dit, la campagne Tam Tam a suivi une ligne classique propre à tout mouvement social avec un développement assez fort au début: des personnes qui constatent un problème, comme l’application des politiques d’austérité dans différents domaines, et qui se réunissent, alors qu’elles sont issues de la justice, du travail ou de la santé. Puis, dans la phase d’expansion du mouvement, la campagne a essayé de mobiliser d’autres acteurs pour faire des alliances. Enfin, lors de la phase de communication externe, des tensions sont effectivement apparues, étant donné que chacun ne voulait pas cibler la même chose. Par exemple, au sujet de la santé, la volonté était de cibler le gouvernement et différents ministres, mais cela a refroidi certains acteurs. Ainsi, l’ASM, l’Association syndicale des magistrats, qui était initialement partante pour la campagne Tam Tam, n’y a jamais participé. Très vite, la campagne s’est donc retrouvée dans une phase de déclin parce que des associations n’avaient plus l’engouement, l’énergie du départ, et on est retombé sur les mêmes personnes, les mêmes structures, celles qui faisaient plus ou moins la même chose que dans d’autres mouvements.
AÉ: Vous montrez aussi les tensions entre francophones et Flamands, notamment une forte méfiance vis-à-vis de la CSC, considérée par certains acteurs du mouvement comme trop flamande, trop proche du CD&V au pouvoir.
RVL: Il y a eu en effet beaucoup de discussions avec la CSC. Cela dit, il ne faut pas considérer le pilier chrétien comme un bloc. Dans le cas de la campagne Tam Tam, c’est surtout la Centrale nationale des employés (CNE) qui a tiré tout le pilier chrétien. A ce propos, s’il y a encore des liens entre le syndicat, la mutualité et le parti, c’est surtout le cas côté flamand. Cela s’est vu lors d’une action de désobéissance civile menée par AFCJ (Act for Climate Justice) avec des affiches collées à la place des panneaux publicitaires où on demandait aux citoyens de contacter des ministres de l’Environnement. Cela a été fait au niveau francophone et flamand: d’un côté, cela a été bien reçu, de l’autre pas du tout, car cela mettait en cause une personnalité forte du CD&V, Joke Schauvliege. Cette «alliance» entre le parti, le syndicat et la mutualité, par l’intermédiaire de beweging.net (coupole rassemblant les différents acteurs du pilier chrétien côté néerlandophone), a menacé de quitter la campagne Tam Tam si on continuait à viser des personnalités issues du CD&V.
AÉ: Au sein du mouvement, vous soulignez la forte présence des syndicats, avec une réelle difficulté pour eux aujourd’hui de mobiliser leur propre public. Une campagne comme Tam Tam, c’est une bulle d’oxygène…
RVL: Tam Tam était l’occasion pour certains syndicalistes de mener d’autres types d’actions, d’avoir plus de libertés dans leur manière de parler ou de critiquer le gouvernement. En effet, les syndicats participent régulièrement à des négociations avec les gouvernements à travers la concertation sociale. Participer à ces négociations et critiquer publiquement le gouvernement dans le même temps n’est pas une position tenable. Ainsi, faire passer certaines revendications via des mouvements sociaux plutôt que directement est une posture idéale pour certains; comme pour la CNE qui a parfois dû réfréner son discours et ses critiques à l’égard du gouvernement Michel, mais qui, à travers Tam Tam, a pu s’exprimer plus librement, sans devoir s’inquiéter forcément d’avoir l’approbation de la CSC.
«Tam Tam était l’occasion pour certains syndicalistes de mener d’autres actions, d’avoir plus de libertés dans leur manière de parler ou de critique le gouvernement.»
AÉ: À côté des syndicats, et là c’est un aspect plus inédit, il y a la présence des mutualités dans le mouvement.
RVL: Les mutualités ont tendance à rester concentrées sur les thématiques liées à la santé et ont peur de s’exprimer sur le reste. Dans le cadre de Tam Tam, elles ont décidé de s’impliquer dans la campagne et de se mobiliser autour des diverses thématiques. C’est assez rare et on leur a assez peu reproché. Cela montre que les mutualités ont vraiment un devoir de s’exprimer, mais c’est surtout une façon pour elles de revenir à leur ADN parce que, à côté de l’assurance obligatoire, elles ont depuis toujours développé un volet associatif, comme avec Altéo (mouvement social de personnes malades, valides et handicapées) ou les Femmes prévoyantes socialistes (FPS), en se mobilisant sur d’autres thématiques que celles de la santé pour soutenir les populations les plus précaires.
AÉ: La campagne est terminée depuis un an. Qu’en reste-t-il selon vous?
RVL: On a l’impression en effet que plus rien ne se passe. Il faut bien se rendre compte que le mouvement n’a pas disparu, mais qu’il est en veille. Si tous les acteurs qui ont été mobilisés dans la campagne Tam Tam doivent dans le contexte actuel à nouveau se rassembler, ils le feront. Surtout vu le travail mené pour consolider les liens entre ces différents acteurs.
«La campagne TAM TAM», Courrier hebdomadaire n°2448-2449, Robin Van Leeckwyck, 58 pages, 2020.