«Je vais péter un câble, je n’ai toujours pas touché les allocs ce mois-ci, impossible de les joindre ou de me rendre en bureaux à cause du système de RDV full…» Ce message est l’un des nombreux qu’on peut trouver sur la page Facebook, «Les oublié·e·s de la CAPAC». Chacun y fait part de sa mésaventure avec la Caisse auxiliaire de paiement des allocations de chômage. Parmi ses témoins, de nombreux citoyens mis en chômage temporaire avec la crise sanitaire qui ne parviennent pas à obtenir des réponses de la part de l’organisme, que ce soit au bout du fil ou par mail. Certains attendent encore tout simplement le versement de leur allocation, et ce depuis plusieurs mois. Privés de revenus, certains se retrouvent en bien mauvaise posture. Avec le risque d’isoler un peu plus les plus précarisés.
Au pic de la crise, la CAPAC recevait jusqu’à 40.000 coups de fil quotidien et près de 200.000 courriels. Des chiffres qui ont baissé, pour atteindre les 20.000 appels par jour en septembre, même si les services de la CAPAC n’en absorberaient qu’une moitié avec une septantaine de personnes pour répondre au bout du fil.
Au pic de la crise, la CAPAC recevait jusqu’à 40.000 coups de fil quotidien et près de 200.000 courriels.
Ce téléphone, Christophe – le prénom a été modifié – l’a pratiqué à plusieurs reprises. «Certaines fois pendant près de trois heures, d’autres fois, impossible, car cela ne sonnait même pas.» Le jeune homme a été licencié pendant la crise fin mars. Il reçoit son C4 et veut s’inscrire au chômage. Sauf que les bureaux sont fermés, et sur le site, aucune info sur les démarches à faire. Il trouve un formulaire de contact et envoie ses documents par ce biais-là. Mais là, pas d’accusé de réception. Les semaines passent, et aucune nouvelle. Sur Facebook, il découvre «Les oublié·e·s de la CAPAC» où des centaines de personnes rencontrent des difficultés similaires aux siennes. Ce n’est que fin mai qu’il arrive au Graal: avoir un premier contact avec un opérateur de la caisse de paiement. S’il découvre que la CAPAC a bien reçu son mail, il apprend qu’elle ne l’a toujours pas traité. Les jours passent à nouveau, et le jeune homme, sans revenu depuis des mois, n’a plus de nouvelles. Il retéléphone, et on lui dit en juin de prendre rendez-vous. Ce sera en juillet, et son dossier sera enfin constitué. La procédure se met en route. Il espère pendant l’été toucher ses premières allocations de chômage, mais là, nouvelle déconvenue, rien n’arrive sur compte. Il veut reprendre contact avec la CAPAC… Sans succès! À la fin, il décide de porter plainte auprès du médiateur fédéral (voir encadré) et, au bout de quelques semaines, sa situation se voit enfin débloquée. «Je comprends la difficulté de la CAPAC de gérer cet afflux massif de nouveaux dossiers dans une situation exceptionnelle, mais j’ai plus de mal à saisir cette incapacité à communiquer avec leurs usagers en les laissant sans nouvelles pendant plusieurs mois», dénonce-t-il.
Un printemps catastrophique
La CAPAC, elle, reste toujours débordée par l’afflux massif de chômeurs temporaires, mais aussi par l’arrivée progressive de chômeurs complets à la suite de la crise. Ses services ont dû traiter en mars et avril jusqu’à 60 fois plus de dossiers qu’à l’accoutumée. Cinq mille en temps normal, contre 450.000 dossiers au début de la crise. La part de la CAPAC dans le paiement des allocations de chômage est ainsi passée de 12,5% à 30%, le reste étant assuré par les syndicats interprofessionnels où la situation n’est pas plus simple.
«Le volume de travail reste gigantesque malgré toute l’énergie que nos services ont déployée ces derniers mois. Les travailleurs ont travaillé le week-end jusqu’en juin, puis ont recommencé en août. Des services administratifs sont venus en renfort, tout comme une centaine de fonctionnaires d’autres services publics fédéraux», résume l’administrateur général, Jean-Marc Vandenbergh.
Si avril a été «catastrophique» avec une CAPAC submergée et des problèmes informatiques en tout genre pour le suivi des dossiers de chômage temporaire, le mois de mai sera celui de l’automatisation des processus liés à celui-ci, ce qui permettra de maîtriser la situation, selon la CAPAC, avec le paiement de 430.000 assurés sociaux.
«Le volume de travail reste gigantesque malgré toute l’énergie que nos services ont déployée ces derniers mois. Les travailleurs ont travaillé le week-end jusqu’en juin, puis ont recommencé en août. Des services administratifs sont venus en renfort, tout comme une centaine de fonctionnaires d’autres services publics fédéraux.» Jean-Marc Vandenbergh, administrateur général de la CAPAC
«Il ne reste alors à ce moment-là que les dossiers problématiques: manque de données, erreur dans l’encodage du nom et du prénom… Des situations catastrophiques parce que cela bloque au niveau de l’informatique. On a eu plus ou moins 20.000 dossiers pour lesquels on a eu ce type de difficultés. Des problèmes liés au chômeur, à l’employeur ou au secrétariat social. Des bugs qui ont mangé un certain nombre de ressources parce qu’il fallait alors tout vérifier manuellement.» Mi-avril, 16% des dossiers pour le mois de mars attendaient encore que l’employeur encode les prestations des travailleurs. Sans cette déclaration, le paiement ne peut avoir lieu. Début mai, cette proportion était de 5,5%, et le chiffre actuel serait de 0,05%.
Fin juin, les bureaux de la CAPAC rouvrent. «La situation, sans être normale, est gérable, y compris dans des bureaux compliqués comme Bruxelles et Anvers. On fonctionne sur rendez-vous, et cela fonctionne en juin et juillet.» La CAPAC a privilégié les contacts par rendez-vous, eu augmentant le nombre de guichets disponibles. Une solution plus simple que par téléphone ou mail, de l’aveu de l’administrateur délégué. Mais il ne faut pas se leurrer… «Notre finalité est que les gens puissent avoir un rendez-vous dans les deux semaines. Même si, à Bruxelles, il faut attendre un mois. Pour les urgences, on rajoute des rendez-vous dans des délais les plus courts possible.»
«Déjà avant le confinement, on était en sous-effectif. On commençait à peine à émerger quand il y a eu cette vague de Covid. On s’est retrouvés du jour au lendemain avec des milliers de demandes par jour, mais avec toujours le même effectif.» Yasmina, collaboratrice du bureau de Bruxelles
Vient alors le mois d’août, les difficultés réapparaissent dans une série de bureaux à Bruxelles et en Flandre, principalement. «Pour deux raisons: la première, toutes les activités mises de côté pendant des mois, du genre activité comptable et autres, doivent être reprises. Mais, avec les vacances, des travailleurs sont en congé, alors que le volume de travail, lui, ne diminue pas. Tout au contraire… On commence à sentir qu’on n’est pas en nombre suffisant pour faire le boulot. La seconde, le chômage complet augmente avec de plus en plus de licenciements et donc de nouveaux dossiers à traiter.»
L’organisme dit avoir recruté de façon importante ces dernières semaines: 15 nouveaux collaborateurs ont commencé en juin, une vingtaine en juillet et d’autres sont attendus dans les mois à avenir pour faire face à la croissance attendue du chômage complet. Devant cette seconde vague, c’est près de 90 personnes qui viendront renforcer les équipes de la caisse de paiement, composées de 540 personnes. «On recrute, mais on ne peut pas former des spécialistes du suivi de dossiers en deux mois. C’est impossible, tant la réglementation chômage est compliquée. Les personnes qui viennent d’arriver dans nos services sont actuellement en formation et en support bureau, en donnant simplement un coup de main là où ils le peuvent.»
Pas assez de personnel
Clairement, l’une des failles du service public est son manque de personnel. Si l’administrateur général ne le reconnaît pas directement, il pointe tout de même «les millions d’économie» réalisés depuis 2010 dans ses services où le personnel tournait autour de 700 personnes voilà dix ans. Ce manque d’effectif, c’est d’ailleurs le premier constat que pointe Yasmina qui travaille au bureau de Bruxelles depuis 12 ans. «Déjà avant le confinement, on était en sous-effectif. On commençait à peine à émerger quand il y a eu cette vague de Covid. On s’est retrouvés du jour au lendemain avec des milliers de demandes par jour, mais avec toujours le même effectif.» Au début de la crise, voyant ce nombre augmenter, le bureau se réorganise en faisant travailler le personnel les week-ends ou le faisant rester plus tard que les heures après le boulot. «Il m’est arrivé plus d’une fois de rester deux à trois heures après la fin de mon travail pour faire un maximum de dossiers», témoigne-t-elle. Ce qui la motive, c’est de pouvoir rendre service aux usagers, même si Yasmina se rend compte des difficultés rencontrées par les assurés sociaux. «On trouve des solutions, mais, tous les jours, de nouveaux dossiers arrivent. On n’en voit pas la fin.» Puis, un des problèmes récurrents concerne le nombre de documents reçus par courrier ou mail qui sont incorrects. «Sans exagérer, huit C4 sur dix sont incomplets.» Même au niveau des demandes et du temps d’entretien, tout a changé selon Yasmina. «Avant, une demande simple de chômage prenait une vingtaine de minutes, maintenant, cela prend au moins 30 minutes parce que les situations professionnelles rencontrées sont beaucoup plus complexes.» Yasmina espère tenir sur la durée. «On commence à ressentir le contrecoup. Il y a déjà un peu plus de malades, de personnes épuisées dans nos services. On sent que la fatigue est là. Cela peut jouer sur le moral. Personnellement, je tiens le coup pour l’instant, mais je ne sais pas si ce sera encore le cas dans un mois à ce rythme-là…»
Depuis la crise du coronavirus, le médiateur fédéral reçoit de nombreuses plaintes au sujet du traitement des demandes d’allocations de chômage de la CAPAC. «Nous avons reçu 700 dossiers concernant la CAPAC d’avril à août, ce qui équivaut à un peu moins de 150 dossiers par mois. Ces dernières années, nous en recevions seulement 50 par an. Les chiffres peuvent paraître minimes au vu du volume de dossiers traités par la CAPAC, mais les plaintes que nous recevons sont souvent la pointe de l’iceberg», explique Catherine De Bruecker, la médiatrice fédérale. «La plupart des dossiers que nous avons reçus, on est arrivé à les résoudre», poursuit la médiatrice fédérale, soulignant que ses équipes ont elles aussi été fortement mobilisées face à cette situation inédite. «On se rend compte que les administrations travaillent souvent à flux tendu en temps normal et, quand une crise survient, il n’y a pas la souplesse nécessaire pour pouvoir y réagir. Cela pose question sur les moyens dont doivent disposer les services publics pour pouvoir réagir en situation de crise.» Selon elle, la CAPAC a fait de gros efforts pour traiter toutes les demandes. «De nombreuses personnes sollicitaient des allocations pour la première fois et beaucoup d’employeurs semblaient également peu familiers avec la procédure. Les dossiers incomplets semblaient donc plus nombreux que d’habitude, ce qui retarde le processus», pointe-t-elle. Face aux nouvelles plaintes qui lui parviennent, la médiatrice fédérale demande aux usagers de passer d’abord par le service de plaintes de la CAPAC qui, en principe, leur envoie une réponse dans les dix jours. «Mais si, après trois semaines, ils n’ont pas de réponses ou de solutions, ils peuvent revenir chez nous», conclut-elle.
En savoir plus
«Être chômeur, c’est faire la queue», Alter Échos n°477, octobre 2019, Alix Dehin.
«En attendant la Capac…», Alter Échos n°377, mars 2014, Pierre Jassogne.
«Le personnel de la Capac crie son malaise», Alter Échos n°379, avril 2014, Pierre Jassogne.