En Europe, vingt administrations pénitentiaires ont libéré plus de 118.000 détenus pour limiter la propagation du Covid-19 aux premiers mois du confinement, indiquait un rapport du Conseil de l’Europe1. En moyenne, ces administrations ont libéré 5% de leur population durant cette période. La Belgique n’a pas fait exception, et comme le soulignaient diverses associations2, la pandémie a eu des effets inattendus sur la surpopulation carcérale. Pour la première fois, depuis des décennies, et ce, alors que la Belgique a connu une inflation carcérale continue, ce taux a sensiblement baissé: -10% en trois mois. Le 13 mars, on comptait 10.853 détenus contre 9.798 le 4 juin. Ce que les ministres de la Justice successifs n’ont pas réussi, malgré les alertes des experts, des associations ou des familles, malgré les condamnations internationales, le coronavirus y est parvenu. Réduire la population carcérale est donc possible et, comme le pointent les associations et l’ont montré les faits, maintenir en liberté des centaines de personnes ne représente aucun danger en termes de sécurité.
Mais cette diminution n’est hélas que provisoire, et il y a lieu de craindre que la surpopulation carcérale redevienne rapidement la norme, contraignant les personnes détenues à vivre dans la promiscuité et l’insalubrité, les plongeant dans un lieu de désocialisation et de déshumanisation. La crise sanitaire a pourtant montré comme jamais que les conditions de détention dans nos prisons ne respectent pas la dignité humaine. Aussi, les enseignements de la crise sanitaire devront-ils être tirés rapidement pour en finir, une fois pour toutes, avec cette gestion de l’urgence, condamnant l’institution pénitentiaire et ses travailleurs à une vaine quête pour donner du sens à l’exécution d’une peine de prison. Cette dernière a beau être réformée sans cesse, ses lois modifiées, ses bâtiments vaguement modernisés, elle reste une source d’exclusion sociale, comme de dégradation physique et psychique – et il faut d’ailleurs s’estimer heureux qu’à peine une vingtaine de détenus aient été touchés par le virus parmi une population pauvre et mal soignée…
Le 18 juin, la «vie normale» – c’est le terme de l’administration – a donc repris son cours en prison. Les quelques centaines de personnes détenues mises en interruption de peine ont été priées de rentrer. Elles ont jusqu’au 30 juin pour retrouver les murs de la prison et leur cellule de 9 m2. Voilà pour la distanciation sociale. Surtout, avocats et associations continuent de lutter pour que la durée de la suspension de la peine liée au coronavirus soit comptabilisée comme purgée… Quant à la justice pénale, le déconfinement bat son plein: le rythme des placements sous mandat d’arrêt est revenu à son niveau d’avant crise, et il ne faudra pas attendre longtemps pour que la Belgique soit à nouveau condamnée. D’ailleurs, on apprenait en avril dernier qu’avec 121 détenus pour 100 places, la surpopulation carcérale restait «grave» dans notre pays, selon une étude du Conseil de l’Europe. Retour à l’anormale, donc…
- Enquête SPACE, Conseil de l’Europe, 18 juin 2020.
- «Surpopulation carcérale: des effets inattendus de la pandémie…», Communiqué de presse de la Ligue des droits humains, de l’Observatoire international des prisons – section belge -, de la Concertation des associations actives en prison, de la Fédération bruxelloise des institutions pour détenus et ex-détenus, du Collectif de luttes anti-carcérales et de GENEPI Belgique, 11 juin 2020.
En savoir plus
«La fièvre des prisons», Alter Échos n° 483, 6 avril 2020, Pierre Jassogne.
«Christophe Mincke: ‘Se soucier des détenus est devenu politiquement risqué’», Alter Échos, le 3 juin 2016, Cédric Vallet.
«Prisons: se libérer de l’enfermement», Alter Échos n°426, juillet 2016 (dossier).