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La coordination sociale, s’unir pour mieux accompagner

Il paraît que c’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes. Il en va sans doute aussi de la coordination sociale au sein des CPAS, un enjeu particulièrement important, même si le concept comme la pratique ne sont pas neufs. Institué dès les années 70, ce relais entre le CPAS et les associations a connu des développements divers tant en Wallonie qu’à Bruxelles. À l’heure où l’action sociale cherche un nouveau souffle, cette coordination pourrait être un outil d’avenir. 

© Julien Kremer

Rassembleur et fédérateur… telle est la priorité que s’est fixée le CPAS de Chaumont-Gistoux. Un vain mot? Pas vraiment. À travers son «Pôle social», il veut être au service de tous les habitants de la commune brabançonne, en rassemblant en un même endroit un ensemble de services institutionnels et associatifs.

Ce «pôle social» s’inscrit dans une philosophie plus large, lancée en 2007, qui est de confier toute l’action sociale au CPAS, et non à la commune. «Il n’y a pas d’échevinat des affaires sociales, un service social pour les ‘riches’, et au CPAS, un service social pour les ‘pauvres’. Parfois, c’est la tendance à laquelle on assiste dans certaines communes. Notre choix n’a pas été celui-là. On veut un CPAS accessible à tous pour mener un véritable travail de prévention», explique Natacha Verstraeten, présidente du CPAS. Si la visée est préventive, l’autre volonté est de déstigmatiser le CPAS. «Dans une commune comme Chaumont-Gistoux, cela a particulièrement son sens parce que c’est un territoire où les personnes ont des difficultés à venir vers un service comme le nôtre.»

Un tel développement permet aussi des économies d’échelle, en n’ayant pas des compétences éparpillées en matière d’action sociale. C’est souvent là l’objectif premier d’une coordination sociale, en améliorant la (re-)connaissance entre les organismes et associations qui offrent des services sociaux à la population d’un même territoire, en relevant les besoins et les demandes de celle-ci en matière sociale et de santé, en favorisant la concertation entre les intervenants et en améliorant la circulation des informations afin de développer des collaborations et des partenariats.

Un tel développement permet aussi des économies d’échelle, en n’ayant pas des compétences éparpillées en matière d’action sociale. C’est souvent là l’objectif premier d’une coordination sociale, en améliorant la (re-)connaissance entre les organismes et associations qui offrent des services sociaux à la population d’un même territoire.

Mieux compris des citoyens

Le CPAS a profité des transformations de son bâtiment pour accueillir une série d’associations en 2019 et donner un coup de fouet à la coordination sociale en la transformant en pôle social. Dominique est bénévole à l’asbl Le Train, une boutique solidaire présente au sein de ce pôle. «‘Pôle social’ est mieux compris, mieux accepté que ‘CPAS’ pour de nombreux citoyens. Souvent, leur première réaction est que cela reste une institution réservée aux pauvres, mais en expliquant le travail qui y est mené, on parvient à convaincre. Une fois qu’on y vient, on porte un regard différent sur l’action sociale, simplement parce qu’on est tous parvenus à créer ici un lieu de convivialité. C’est un peu toute une commune qui se retrouve au sein de ce pôle social. Cela prend du temps pour échanger, se rencontrer, mais cela en vaut la peine. Quand les gens viennent s’installer pour bavarder, se poser, évoquer leurs problèmes, c’est qu’on a réussi notre travail.»

Face aux difficultés inhérentes que rencontrent les CPAS, Chaumont-Gistoux semble avoir trouvé la parade pour résister. «Coûte que coûte, on veut donner du sens au travail social à travers les relais mis en place dans le cadre de cette coordination. C’est un outil indispensable. Les CPAS qui fonctionnent uniquement sur le contrôle et la sanction sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Je peux comprendre la pression des grands CPAS qui ont beaucoup de demandes et où, parfois, la facilité serait d’accepter moins de monde, en étant plus restrictif, mais ce n’est pas cela l’action sociale. À nous d’aller au contact des citoyens. Le CPAS doit être un lieu d’émancipation, et une telle coordination le permet», lance Natacha Verstraeten. 

Un constat partagé aussi par le président de la Fédération des CPAS wallons, Luc Vandormael: «Face au tumulte du quotidien, vecteur de pression psychosociale, la coordination figure certainement parmi les pratiques propres à permettre aux assistants sociaux de trouver un espace de réflexion, d’évaluation partagée et de construction de projets dans une approche globale et intégrée.»

Une recette pour le futur donc, même si elle n’est pas neuve. C’est en 1976 que la coordination sociale apparaît à l’article 62 de la loi organique. Comme le rappelle Luc Vandormael, il faut attendre les années 80 pour que les premières initiatives de coordination se développent. «Elles étaient souvent le fait de groupes spontanés animés par des travailleurs sociaux désireux de travailler en réseau face à la montée d’une exclusion sociale multidimensionnelle. Et ces rencontres n’étaient pas toujours bien vues par leurs institutions…»

À côté de cela, si un financement était prévu à cette époque avant de disparaître, du moins en Wallonie, l’élan s’est étiolé au fil du temps. «En effet, dans les années 90, la Région a lancé de nouveaux plans partenariaux, dont le dernier en date est le plan de cohésion sociale. Compte tenu de la juxtaposition des deux dispositifs, plusieurs CPAS ont abandonné l’organisation de leur coordination sociale, ajoute Luc Vandormael. Par ailleurs, l’activation d’un comité de coordination sociale est en effet une mission non obligatoire pour un CPAS et cela constitue une autre cause de la parcimonie actuelle.»

 

Lutter contre le morcellement des services

Si on peut parler de parcimonie en Wallonie, à Bruxelles, par contre, la coordination sociale est un outil bien plus développé avec un soutien régional plus poussé qu’au sud du pays, quoique limité face à l’ambition d’un tel projet. Sur le terrain, cette coordination recouvre d’ailleurs des réalités très diverses. À Schaerbeek, cette réalité s’appelle la CASS pour Coordination de l’action sociale de Schaerbeek, un partenariat entre le CPAS et… la coordination sociale, rassemblant une cinquantaine d’acteurs de terrain œuvrant dans le domaine social, médico-social ou socioculturel. Cette association de fait, née à la fin des années 70, à l’initiative du CPAS, se donnait pour mission de lutter contre le morcellement des services, des personnes et des compétences afin de répondre de manière plus adéquate aux besoins des personnes. Une mission toujours aussi primordiale aujourd’hui! Mais les évolutions politiques locales dans les années 80 mettront à mal cette coopération. Il faudra attendre 2004 pour qu’une nouvelle coordination émerge.

«Face au tumulte du quotidien, vecteur de pression psychosociale, la coordination figure certainement parmi les pratiques propres à permettre aux assistants sociaux de trouver un espace de réflexion, d’évaluation partagée et de construction de projets dans une approche globale et intégrée.» Luc Vandormael, président de la Fédération des CPAS wallons

Ce partenariat est né suite à la proposition de la Cocom qui souhaitait permettre aux CPAS de renforcer leur travail de coordination avec les associations de leur commune, en proposant une intervention financière pour soutenir la mise en pratique de cette fonction. «Les premières années n’ont pas été simples pour rassembler CPAS et associatif autour de la table. Il y avait un certain climat de méfiance, de reproches aussi, se souvient Nathalie Soete, coordinatrice à la CASS. Mais les années ont prouvé tout le potentiel de la coordination comme lieu de co-construction, de réflexion qui peut mener vers des recommandations, des pistes d’action ou des interpellations, en ayant toujours le souci de récolter la voix des bénéficiaires.»

La CASS est donc un lieu qui fait sens pour un travailleur social d’où qu’il vienne, que ce soit à travers les assemblées mensuelles tenues par la coordination sociale, les rencontres thématiques, mais aussi et surtout dans les groupes de travail. Tout un mouvement généraliste et transversal qui permet de produire de la connaissance et surtout de l’action collective dans le but d’améliorer les moyens de lutte contre la pauvreté, la précarité. Ainsi, une recherche-action a été menée auprès des primo-arrivants afin de connaître leurs besoins primaires. Cette enquête a également été réalisée auprès de différents acteurs professionnels. Les conclusions ont servi à la mise en place sur le territoire de la commune du BAPA, le bureau d’accueil pour primo-arrivants. Même chose au niveau des victimes de violences conjugales. La CASS, fort sollicitée sur cette problématique ces dernières années, a réalisé un outil à destination des victimes de violences conjugales centré sur l’offre de services à Schaerbeek. Les travailleurs sociaux ont exprimé leur besoin d’être mieux outillés dans l’accompagnement de victimes de violences conjugales, ce qui a amené à la mise en place de formations sur cette thématique. Et ce ne sont là que quelques exemples… 

Du temps pour s’impliquer

Reste que le défi continu reste l’implication du CPAS. «Même si on travaille au sein du CPAS, c’est parfois plus simple de mobiliser l’associatif que les acteurs du CPAS. Pour diverses raisons liées à l’évolution du travail social en général au sein de cette institution», constate la coordinatrice. 

Pour Nathalie Soete, le travail en réseau demande une attention de tous les instants, un soin très particulier dont le temps est une composante essentielle. «Un temps qui ne doit pas être négligé, en étant davantage reconnu et financé. Ce travail repose encore beaucoup sur des volontés individuelles, sur des personnes qui y croient et s’investissent dans ce travail de réseau.»

Dégager du temps pour permettre les rencontres entre professionnels paraît donc une condition sine qua non d’existence de ce réseau CASS. C’est à la fois un acte politique et de militance. «Ce qui donne aussi une liberté de ton pour observer les réalités de terrain pour ce qu’elles sont et pour interpeller le politique si besoin», assure Anne Gauthier, coprésidente de la CASS. «Mais dégager ce temps est de plus en plus difficile, et notre représentation est parfois mise à mal. Cette inscription de travail en réseau dans nos services respectifs avec la multiplicité des tâches nous met de plus en plus en tension, une tension difficilement conciliable avec une vision globale du travail social.»

Amélie Applincourt, directrice adjointe du département de l’émancipation sociale au CPAS de Schaerbeek, reconnaît elle aussi cette tension face à des assistants sociaux submergés par les dossiers à traiter et une fonction toujours plus administrative. «Si, en tant qu’institution, on ne légitime pas ce travail en réseau pour discuter des pratiques avec les partenaires, si on ne légitime pas cela, les travailleurs sociaux ne seront pas convaincus de l’importance de cette coordination sociale.»

À ses yeux, on est néanmoins à l’aube d’un tournant au niveau du travail en CPAS, en levant davantage de frontières pour collaborer avec le terrain, et ce, en lien avec la volonté régionale de renforcer les coordinations sociales. En effet, l’intention du ministre Alain Maron (Écolo) est de consolider ce travail en réseau tant financièrement qu’humainement, «convaincu que les coordinations sociales sont des outils qui permettent de mieux accompagner les usagers, les bénéficiaires parce qu’elles améliorent les manières de fonctionner sur le terrain», nous explique-t-il. 

Pour cause, les moyens mis à la disposition des coordinations sociales aujourd’hui permettent à peine de financer un ETP, et encore, certains CPAS se retrouvent parfois avec 5.000 euros pour développer ce travail en réseau. Autant dire rien. En outre, la circulaire n’impose pas actuellement à un CPAS de mettre en place une coordination. Cela dépend de la volonté de ce dernier de développer cette coordination sociale et de la volonté politique locale pour apporter un financement complémentaire. Ce qui explique que cette politique ne soit pas harmonisée sur le territoire régional. 

L’intention du ministre Alain Maron (Ecolo) est de consolider ce travail en réseau tant financièrement qu’humainement, «convaincu que les coordinations sociales sont des outils qui permettent de mieux accompagner les usagers, les bénéficiaires parce qu’elles améliorent les politiques publiques et les manières de fonctionner sur le terrain».

Le ministre travaille d’ailleurs sur une nouvelle circulaire, en cours de finalisation, pour la période 2022-2026, avec la volonté de renforcer les moyens des coordinations sociales dès 2022 afin de garantir au moins un ETP par CPAS pour mener à bien cette mission. Cette nouvelle circulaire aura des objectifs un peu plus contraignants au niveau de ce mécanisme, en travaillant davantage sur des objectifs stratégiques et opérationnels, tout comme sur l’évaluation des coordinations. La nouvelle circulaire définit aussi le public cible: les bénéficiaires du RIS +25%, soit toutes les personnes en risque de pauvreté. 

Outre la lutte contre la pauvreté, l’idée est de renforcer la place de l’usager dans ces coordinations, en en faisant aussi un lieu de démocratie participative. Un objectif qui existe déjà, mais qui, dans les faits, reste peu activé sur le terrain. «Les coordinations sociales n’ont pas assez de moyens, d’outils, d’expertise pour rendre cette participation des usagers effective de manière structurelle.» L’objectif sera à l’avenir de prendre en compte davantage la parole des bénéficiaires et de faire participer ces derniers à la construction de politiques sociales sur le terrain. «Je suis en effet persuadé que la coordination sociale permet de rendre la politique publique, et à travers elle l’action sociale, plus proche des citoyens pour répondre à leurs besoins spécifiques, besoins qui sont perpétuellement en changement», conclut le ministre bruxellois.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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