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Regard critique · Justice sociale

Culture

La culture à l’heure du management

Limiter les dégâts budgétaires, tout en renouvelant le secteur, c’est le souhait pieux de Joëlle Milquet. Si l’on évite les coupes drastiques en Fédération Wallonie-Bruxelles, les artistes continuent de se mobiliser contre la paupérisation de toute une profession.

"besoin d'argent pour des fournitures artistiques, dieu vous bénisse" © Len_Matthew

Limiter les dégâts budgétaires, tout en renouvelant le secteur, c’est le souhait pieux de Joëlle Milquet. Si on évite les coupes drastiques en Fédération Wallonie-Bruxelles, les artistes continuent de se mobiliser contre la paupérisation de toute une profession.

On connaît les coupes drastiques qu’a dû subir la culture au niveau fédéral, avec des restrictions budgétaires qui l’ont frappée de plein fouet comme elle ne l’avait jamais été jusqu’ici. En Flandre, le ministre de la Culture, Sven Gatz, a décidé de diminuer les budgets de 5% en moyenne. De son côté, Joëlle Milquet semble avoir limité les dégâts pour la Fédération Wallonie-Bruxelles à 1% d’économie au lieu des 3% par diverses mesures d’économie qui ne dépassent pas 3,3 millions euros.

Ces économies sont rendues possibles, notamment, grâce à un étalement des investissements financiers dans les infrastructures et à une réduction de 3% des frais de fonctionnement de l’administration… Concrètement, les institutions liées par conventions ou contrats-programmes, comme les centres culturels, seront les premières visées par ces économies. Sans parler de Mons 2015: la part octroyée à la capitale européenne de la culture est de 8,5 millions d’euros cette année, soit 1,5 million de moins que prévu. Pour la première fois depuis 2006, la Fondation Mons 2015 contribue à l’effort budgétaire global.

Pas de moratoire non plus. On suivra la logique des enveloppes fermées. Une mesure qui concernera les musées, l’action associative dans le champ de l’éducation permanente, les bibliothèques, les centres d’expression et de créativité (CEC) et les centres culturels.

Une des priorités de la ministre est de réinvestir dans la création et le soutien aux artistes, avec, par exemple, le renforcement de la culture à l’école. Le soutien à la création artistique bénéficiera d’un budget augmenté de 450.000 euros dans toutes les disciplines.

Un secteur peu rassuré

On évite donc ou presque les coupes drastiques. Tout cela devrait rassurer le secteur, et pourtant, c’est loin d’être le cas. Sur le terrain, qu’ils soient musiciens, acteurs ou plasticiens, artistes et créateurs continuent de se mobiliser contre la paupérisation de toute une profession. C’est qu’au fil des années, le secteur s’est littéralement dualisé, au point de prendre les allures d’une guerre des pauvres, entre institutions financées par les pouvoirs publics et jeunes artistes sur le marché en quête de reconnaissance, mais aussi d’espaces de travail et de subventions.

Jusqu’ici le budget de la culture n’avait pas été drastiquement touché, du moins sur la durée des deux mandats de Fadila Laanan. De 2004 à 2013, le budget culturel avait d’ailleurs très fortement augmenté (+ 30%) et bénéficié d’une manne exceptionnelle qui risque bien de rester un fait historique unique. Mais cela n’a pas suffi, malgré une croissance de 9% entre 2009 et 2013, les moyens alloués à la création artistique, et donc aux créateurs, n’ont pas été une priorité des politiques, notamment dans le domaine théâtral où ils ont même été diminués.

En 2015, la ministre de la Culture se retrouve aussi face à plusieurs gros dossiers: d’abord, celui des contrats-programmes des différentes institutions culturelles qui ne seront pas négociés avant cette année alors qu’ils ne sont plus indexés depuis 2009, ce qui rend difficile l’engagement d’artistes, la création d’œuvres originales ainsi que le fonctionnement des institutions. Le second, celui des centres culturels, qui doivent toujours attendre les moyens financiers pour assumer leurs nouvelles missions prévues dans un décret voté à la fin de la législature précédente.

Face à ces défis, Joëlle Milquet n’en démord pas et veut mener une politique volontariste, y compris dans un contexte économique délicat.

Aussi, l’un des grands mots de la ministre, c’est celui de… management!

Car à l’entendre, en 50 ans de politique culturelle francophone, on aurait eu la mauvaise habitude de financer les institutions avec des frais de fonctionnement pléthoriques, pas forcément adaptés aux besoins artistiques. On aurait aussi trop joué à une politique du saupoudrage, en n’osant pas dire non à des projets qui ne tenaient plus la route… L’enjeu des prochaines années: fédérer les projets et favoriser les synergies de lieux afin de remettre les artistes et créateurs au centre du jeu. «Je veux avant tout soutenir la créativité de nos artistes. Quand les pouvoirs publics subsidient des opérateurs culturels, c’est essentiellement pour que la créativité rejaillisse sur les publics avec le meilleur management possible. En l’absence de toute manne céleste, nous devons nous employer à affecter les ressources avec discernement. Je plaide donc pour la recherche de synergies et la mutualisation des coûts de fonctionnement pour aider davantage encore les artistes et la création.»

Réduire les coûts de fonctionnement

Rien que pour les arts de la scène, l’emploi artistique ne représente que 30% des subventions. D’où la nécessité, pour la ministre de la Culture, de faire un cadastre de l’emploi et de mieux définir dans le budget des opérateurs les règles en matière d’engagement artistique. «La notion de ‘part artistique’ dans les budgets des opérateurs devra en effet faire l’objet d’engagement plus important dans les conventions et contrats-programmes de nos institutions culturelles. J’y veillerai d’ailleurs déjà en 2015 dans le cadre des contrats-programmes en théâtre. Si par des processus d’optimalisation, on peut arriver à diminuer des coûts de fonctionnement, des marges se libéreront pour la création, la diffusion ou la promotion culturelle.»

De l’aveu de Joëlle Milquet, le paysage culturel francophone doit être décloisonné, coordonné, et même réduit pour être plus efficace et correspondre à la culture du XXIe siècle. Son objectif au terme de cette législature: regrouper certaines institutions de manière plus rationnelle, rassembler plusieurs activités artistiques dans un seul lieu pour réduire les coûts de fonctionnement (par exemple les centres culturels de plusieurs communes). «J’estime en effet qu’il y a de réelles complémentarités entre certains opérateurs au niveau territorial. Les centres culturels, les PointCulture, les bibliothèques ou les théâtres doivent pouvoir mettre en commun leurs compétences pour déployer une offre culturelle cohérente en cherchant ensemble le meilleur moyen de toucher les usagers qui fréquentent ces différents lieux de diffusion, ils doivent resserrer les liens avec les écoles. Souvent la cible est la même, il est donc indispensable de viser dans la même direction mais également de travailler ensemble à sensibiliser de nouveaux publics.»

Dans le cadre de cette nouvelle politique de management prônée par la ministre, un fonds destiné à recueillir des dons ou à encourager le mécénat pour la promotion de la culture francophone a également été créé. Le soutien au développement de sources de financements complémentaires telles que le crowdfunding, le mécénat et le sponsoring est d’ailleurs une priorité de la déclaration de politique communautaire. «Et il ne s’agit pas là simplement d’une réponse au contexte budgétaire actuel, mais bien de nouvelles dynamiques de rapprochement entre secteurs et acteurs d’horizons différents, au profit de l’ensemble de la collectivité. Qu’il s’agisse d’un soutien en numéraire, en nature ou en compétences, ces partenariats constituent autant d’opportunités pour le déploiement et le rayonnement de notre offre culturelle, dans une société en pleine mutation. Le cadre de ces financements relève de l’autorité fédérale, que j’ai déjà interpellée à ce sujet et avec qui nous travaillerons de concert», explique la ministre.

Aller plus loin

Alter Échos n°389 du 30.09.2014 : Flandre: l’austérité pour unique horizon

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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