La pratique de l’art et de la culture en prison offre l’occasion aux détenus d’acquérir des compétences dont, auparavant, ils ignoraient souvent tout. Utilesen prison, ces compétences s’avèrent primordiales à la libération, que ce soit sur le plan privé ou professionnel. Les activités culturelles agissentainsi en complémentarité avec les activités éducatives classiques qui visent à améliorer leur employabilité et à réduire les risques derécidive. Mais au delà de la réinsertion, l’expérience artistique permet surtout de se réaliser en tant qu’être humain. Ceci étantposé, la pratique se confronte souvent à la réalité de notre système pénitentiaire.
« Il est clair que l’art, comme toute forme d’ »évasions » d’ailleurs, n’a pas vraiment sa place dans une prison. L’administration pénitentiaireestime avoir d’autres priorités, comme la discipline et la sécurité. Paradoxalement, il est parfois plus facile de se faire la belle, dans ce genre de chapelle, que decréer un atelier pour apprendre à mettre quelques couleurs dans sa vie ou dans son ciel. »1 Ce témoignage de Serge, ex-détenu, est confirmépar le réseau Art et prison : « Souvent sous pression, les agents pénitentiaires sont sceptiques quant à l’utilité des pratiques artistiques en prison. Cetapprentissage leur semble trop « libéral », contraire à la discipline ou à la sécurité. Ils omettent ainsi l’effet dynamique, canalisateur et constructif queles arts peuvent avoir sur ceux qui les pratiquent. Si les programmes d’expression artistique sont souvent encouragés par les services pénitentiaires et les ministres, ils sontrégulièrement arrêtés ou mis de côté par le personnel pénitentiaire, à la faveur de programme formation/emploi qui semblent plusimmédiatement « utiles » mais qui provoquent aussi moins de changements en profondeur dans la personne du détenu. »
Persévérer…
Un constat globalement partagé par les différents intervenants de la rencontre organisée, le 7 octobre, par le Centre de théâtre action, le réseau Art etprison et Culture et démocratie sur le thème : « Du théâtre en prison… et après ? ». À la prison d’Andenne, par exemple, unepremière tentative d’atelier théâtre a été proposée aux détenus mais a échoué faute de combattants. À la deuxièmetentative, le projet baptisé « boule de neige » décolle enfin. « Le projet était au départ axé sur la prévention toxicomanie et MST, confieBruno Hesbois de la Compagnie Buissonnière2, mais très rapidement, les prisonniers ont détourné les thématiques « prévention » pour parler de laréinsertion, de leur vie en prison. Changement qui a nécessité l’assentiment de la direction, laquelle a été invitée avec la cellule animation àassister aux répétitions. Au final, le spectacle a été présenté trois fois : une fois pour les détenus, une fois avec des invitésextérieurs et une troisième fois avec la famille des détenus. Le fait que du public extérieur vienne en prison assister à la représentation était l’undes objectifs de départ et revêt une grande importance. »
Amir Orojalizadeh qui a participé au projet raconte son expérience : « Au départ, nous étions douze, pour terminer à six ou sept. Comme toujours, il y ades abandons en cours de route. Moi, quand on m’a proposé de faire l’acteur, je me suis dit : « je ne vais pas aller me ridiculiser sur scène. En plus, je vais devoir melaisser pousser les cheveux comme les artistes, porter des vêtements bizarres et parler de manière étrange ». Et puis, ça vient tout seul. Je n’improvisais pas surscène, je racontais ma vie. Le rôle du policier, je pouvais facilement le faire, parce que je passais plus de temps, avant mon incarcération, au commissariat qu’à lamaison. Je vous le garantis : une fois sur scène, on s’évade vraiment. Le problème, c’est qu’après la première représentation, on a dûtrès rapidement regagner nos cellules et, là, vous passez de la lumière aux ténèbres, littéralement, la transition est rude… Mais le bonheur queça vous donne quand vous êtes sur scène, c’est magique. C’est pour cela que maintenant que je suis libéré, je continue à l’extérieur.»
Une volonté de persévérer dans le théâtre qui n’a pas été facile pour Amir, même si aujourd’hui, il y trouve son bonheur. «Ainsi, raconte Bruno Hesbois, il a été libéré avec un bracelet électronique. Or les répétitions pour les cours de théâtre étaientloin de son domicile, il n’avait pas de véhicule, il devait justifier tout retard par rapport à la centrale de surveillance, ça n’a plus été possible decontinuer, sans compter les trajets très coûteux. Et après six ans de prison, Amir n’avait plus un sou devant lui. »
« Aller faire le clown »
À la prison de Nivelles, autre projet mais mêmes écueils. Ici, c’est la Funoc qui est aux commandes avec son dispositif d’insertion socioprofessionnelle «Passerelle vers la liberté »3. Objectif : permettre, à l’aide d’ateliers, de se mettre dans une démarche de « remobilisation/redynamisation» dans le but d’acquérir des compétences sociales et de recréer du lien. En bref, de retrouver, via des activités ludiques, culturelles et créatives,l’envie d’être un citoyen parmi d’autres. « Nous avons dû faire face à des difficultés structurelles pour notre atelier théâtre,témoigne Shirley Maes du projet « Passerelle vers la liberté ». D’abord les locaux : nous avions une pièce avec une fenêtre centrale, par laquelle tout le monde pouvaitnous voir. Ensuite, nous avons été confrontés à la résistance des agents pénitenciers qui n’avaient pas toujours envie d’aller chercher lesdétenus dans leur cellule et se moquaient d’eux : « tu vas aller faire le clown ». Très vite, ça a tourné à la bagarre animateurs/agents pénitentiers.Les animateurs ne comprenant pas pourquoi certains détenus n’étaient pas appelés, d’autres punis et privés de leur atelier. L’expérience a doncéchoué et, à la demande des prisonniers, l’activité théâtre s’est transformée en atelier d’art plastique, ce qui suscitait moins demoque
ries de la part des agents et des autres détenus. »
Mais malgré les aménagements d’horaires et la diversité des ateliers artistiques proposés, les difficultés ne s’arrêtent pas au théâtre.« Ils sont demandeurs d’activités qui vont pouvoir directement servir pour leur réinsertion, du type « cours d’anglais », poursuit Shirley Maes. Il est difficile defaire comprendre que l’artistique peut aussi ouvrir des portes après. L’improvisation, pour citer un exemple, peut ainsi servir devant le tribunal d’application des peines.Le théâtre est transformateur à partir du moment où on le pratique mais a priori faire du théâtre, tout le monde s’en fout. »
La culture, une soupape de sécurité ?
Valérie Lebrun, directrice de la prison de Namur, a, de son côté, quelque peu bousculé la vision sans doute encore très naïve de la plupart sur le travailculturel en prison. Elle a d’emblée tenu à recontextualiser. « La prison de Namur que je dirige date du XIXe siècle, le bâtiment est insalubre : pasd’eau chaude, pas de sanitaire, pas de sécurité incendie, des cellules de 9 m2 dans lesquelles les détenus s’entassent. Mais si la prison estvétuste, elle est aussi à taille humaine et c’est sans doute ce qui fait tenir les gens. Il est clair que la prison n’a pas la fonction de réinsérer mais estbien le lieu d’exclusion ultime. Maintenant, une fois cela posé, comment peut-on, comme animateur, travailler en prison ? Nous avons décidé de travailler à Namur enmilieu ouvert avec des ateliers contes, chants, théâtre, musique, arts plastique, cuisine, yoga, etc. Si j’ouvre la prison, c’est parce que, vous les animateurs, lesbénévoles qui venez dispenser ces ateliers, vous êtes la société civile, celle qui met aussi les gens derrière des barreaux. Je veux que les citoyens entrentdans les prisons. Il faut qu’il y ait du lien social. Il est trop facile de ne se préoccuper des gens qu’une fois sortis. Peu importe qu’il y ait 40 personnes audépart d’un atelier, puis seulement un ou deux. L’ouverture de la prison vers l’extérieur, c’est la mise à mal de l’enfermement, unevéritable rupture pour les détenus qui retrouvent du lien social. Venir à l’intérieur, c’est montrer à ces personnes qu’on ne les réduitpas aux actes qu’ils ont commis. Quand on est enfermé 22 heures sur 24 en cellule, les gens utilisent tout ce qu’ils peuvent pour sortir de leurs murs. Les activitésculturelles comme la came jouent le rôle de soupape de sécurité. »
En ce qui concerne le travail au sein du système pénitentiaire, Valérie Lebrun est très claire : « Il est important dans l’élaboration de cesateliers de travailler avec les agents et la direction, sinon on loupe le coche. Autre élément à souligner, la neutralité de l’animateur. L’atelier est un lieude rencontre d’échange et, très vite, les détenus vous happent dans une non-neutralité. La neutralité reste une distance nécessaire, pas par rapportaux détenus mais à l’institution, à la perversion du système pénitentiaire. Combien d’animateurs n’ont pu y résister ? Le milieucarcéral peut parfois être décourageant. Il faut partir des envies des détenus et pas venir avec un truc « clé sur porte », sinon on entre en contradiction avec lesdemandes des détenus. Certains veulent réaliser du travail pénitentiaire et, souvent, j’entends « mais ce n’est pas normal qu’on ne puisse pas réaliserdes formations qualifiantes à cause du travail pénitentiaire ». Or, si vous saviez comme il est important, ce travail ! Ce n’est pas tant l’aspect financier que le statutqu’il leur confère : ils restent ainsi des travailleurs. Il faut donc aussi du côté des opérateurs de formation, acquérir un peu plus de souplesse, notamment sur leshoraires, venir en dehors des heures de bureau, par exemple. »
Et Valérie Lebrun de rappeler aussi d’autres réalités : comme celles des locaux qui servent à la fois pour les cultes, les services psycho-médico-sociaux,les cours de langue, les ateliers… sans parler du budget (annuel) dont elle dispose pour les activités culturelles et sportives : 7 000 euros, « un budget qui n’a pasété augmenté depuis 15 ans. »
1. Extrait de la brochure Art et prison – Échos et résonances, janvier 2008, une réalisation du réseau Art et prison – contact : Alain Harford c/oOED, sentier Kleindal, 5 à 1730 Linkebeek – tél./fax : 02 380 98 93 – courriel : oedasbl@scarlet.be ou SéverineMonniez c/o Culture et démocratie, rue de la Concorde, 60 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 502 12 15 – courriel : severinecd@scarlet.be ou cultureetdemocratie@scarlet.be
2. Compagnie Buissonnière, rue Grande, 17 à 5560 Houyet – tél. : 082 66 75 86 – courriel : theatreaction@province.namur.be
3. Funoc, dispositif Passerelle, contact : Marianne Leer, rue de Trazegnies, 41 à 6031 Monceau-sur-Sambre – tél. : 071 27 06 30 – courriel : m.leer@funoc.be