Elle préfère rester anonyme, mais après des années passées comme consultante en intérim, elle travaille désormais pour l’association KifKif, quilutte contre les discriminations. La réalité qu’elle a vécue dans la cadre de son travail précédent est assez éloignée des beaux discours dusecteur.
Depuis des années, beaucoup d’histoires de discriminations circulent au sujet des sociétés d’intérim, mais elles sont rarement confirmées par des personnestravaillant ou ayant travaillé au sein de ce secteur. Il y a trois ans, un des directeurs de l’agence T-Interim avait franchi le pas mais il avait aussitôt étélicencié. Cette fois, paraît dans la presse le témoignage d’une femme qui, après avoir travaillé deux ans et demi dans une des grandes sociétésd’intérim actives en Belgique, a fini par donner sa démission en raison de la politique systématique de discrimination qui y était menée. Elle travailledésormais pour l’association KifKif, dont elle constitue, selon les dires de l’organisation, l’une des quinze informatrices.
« La discrimination est monnaie courante depuis déjà des années. Les histoires qui ont filtré dans la presse sont loin d’être des incidents isolés», déclare-t-elle. « Depuis la plainte contre Adecco (qui utilisait secrètement le code « blanc-bleu-belge » pour distinguer les offres liées à uneexigence discriminante) les sociétés d’intérim sont devenues plus prudentes. Elles ne mettent plus rien par écrit. Mais cela ne veut pas dire que ces pratiques n’existentplus, seulement qu’elles sont devenues plus difficiles à prouver. »
Comment les choses se passent-elles en pratique ? « Souvent, lorsque le client téléphone, il commence par expliquer ses exigences en matière d’expérience ou dediplômes mais, assez vite, il ajoute qu’il ne veut ni Turcs ni Marocains, par exemple. L’excuse invoquée est souvent qu’ils n’ont pas trop la cote auprès de leurs futurscollègues. Les travailleurs plus âgés ne sont souvent pas les bienvenus non plus. » L’ancienne consultante affirme n’avoir jamais donné suite à ce type dedemandes : « Si je pensais qu’un allochtone avait le profil ad hoc, je l’incluais dans la sélection mais, bien entendu, il n’était jamais pris et, à ce stade-là, jene pouvais plus rien faire. » Ce type de situation se produisait plusieurs fois par mois et sa hiérarchie et ses collègues ne manifestaient qu’indifférence par rapportà cette situation. « Ils fermaient les yeux parce que le client est roi, en vertu de considérations purement commerciales. »
Cellule diversité, pour quoi faire ?
Elle ajoute : « La discrimination est vraiment une culture dans l’intérim, un système. Quels que soient les beaux discours qui sont tenus sur la politique de diversité.» Federgon a pourtant bel et bien fait des campagnes de sensibilisation sur la législation anti-discrimination mais concrètement, il n’en est pas sorti grand-chose, sinon la miseà pied de quelques brebis galeuses. « Au bureau principal de mon employeur, il y avait une cellule diversité. Une adresse e-mail avait été créée commepoint de contact et une personne était chargée de gérer les courriels qui y arrivaient. Mais je ne pense pas qu’il ait eu beaucoup de plaintes à gérer, à encroire les déclarations de Federgon qui, à l’occasion d’un reportage en caméra cachée, a bien dû reconnaître que la fameuse liste noire d’entreprisesdiscriminantes était vide. Les déclarations du secteur à cette époque tenaient de la pure offensive médiatique. Personnellement, personne ne m’a jamaisinformée de l’existence de cette liste noire, ni ne m’a expliqué comment me comporter face à des exigences discriminatoires d’un client. »
Pour elle, le secteur entier de l’intérim sous-estime ses responsabilités. Le discours dominant est que quand il y a des discriminations, elles sont dues aux clients, aux consultants,voire aux allochtones eux-mêmes.
En conclusion, pour résoudre le problème, elle suggère quelques pistes. « Peut-être pourrait-on donner une prime aux sociétés d’intérim quimettent au travail une grande proportion d’allochtones. KifKif préconise aussi depuis longtemps de faire des tests pratiques. Le problème est qu’il n’existe pas vraiment de lois ni dedirectives en la matière, sinon celles définies par le secteur lui-même. Et quand j’entends la société USG People Belgium annoncer dans une interview récentequ’elle a dû en six ans se séparer de cinq clients en tout, c’est réellement trop peu. »
D’après De Morgen et De Standaard