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Regard critique · Justice sociale

Rond-point Schuman

La droite européenne lance l’offensive contre les ONG

Des députés de la droite européenne trouvent choquant que des ONG, surtout les plus actives dans la défense de l’environnement, utilisent des fonds européens pour des activités de lobbying. L’extrême droite boit du petit-lait. Quant aux ONG, elles craignent pour leur avenir… et pour la démocratie.

(c) EP Plenary session - Council and Commission statements - Presentation of the programme of activities of the Hungarian European Union, Attribution, via Wikimedia Commons

Le 23 janvier, à Strasbourg, des députés européens de droite et d’extrême droite prennent successivement la parole, visiblement en colère. Sander Smit, député finlandais du Parti populaire européen (droite), n’y va pas de main morte. «La Commission européenne a engraissé pendant des années des activistes pro-environnement avec l’argent des contribuables. Un ‘lobby vert’ a influencé le Parlement européen pour soutenir le Pacte vert.» Le député veut dévoiler ce «scandale vert» à l’Europe entière. Kosma Zlotowski, un député polonais du PIS, du groupe des «conservateurs et réformistes européens», au sein duquel siège la N-VA, mais aussi la droite extrême française d’Eric Zemmour, abonde: «La Commission donne de l’argent à des organisations environnementales pour influencer les institutions et soutenir un agenda vert qui endommage l’économie européenne.» Bien sûr, des députés verts, de gauche et des centristes tentent alors de trouver la parade. Christophe Clergeau, socialiste français, rétorque: «Le seul scandale ici, c’est de vouloir museler la société civile.»

La bataille est rude, car le grand parti de droite, le PPE, est sorti renforcé des dernières élections européennes. Et même s’il a constitué une majorité avec les socialistes et les centristes pour adouber la deuxième commission d’Ursula von der Leyen, elle aussi issue du PPE, le groupe de droite n’hésite plus à nouer des majorités alternatives avec l’extrême droite, en fonction des sujets, lorsque l’occasion se présente. S’il y a bien un sujet qui cristallise le mécontentement commun des députés du PPE et d’extrême droite, c’est l’environnement. «Il existe une alliance entre la droite et l’extrême droite pour détricoter le Pacte vert», estime Marie Toussaint, du groupe écologiste au Parlement européen.

«La Commission donne de l’argent à des organisations environnementales pour influencer les institutions et soutenir un agenda vert qui endommage l’économie européenne.»

Kosma Zlotowski, député polonais du PIS

Le «Pacte vert», c’est le nom de ce vaste corpus législatif adopté lors de la précédente législature qui fixe comme horizon la neutralité climatique au sein de l’Union européenne en 2050. Il fait figure d’épouvantail pour une partie de la droite… qui pourtant a voté la majeure partie de ses textes. Ce «retour de bâton» avait déjà commencé avant les élections de mai 2024, sur les sujets agricoles et de biodiversité, et il se poursuit aujourd’hui, notamment à travers cette offensive contre les ONG. Ces dernières n’en reviennent pas et dénoncent une «attaque contre la démocratie». Ces mots ont été prononcés plusieurs fois, lors d’une conférence de presse commune de huit ONG, dont Transport et Environnement, le Bureau européen de l’environnement, WWF, Les Amis de la terre ou Transparency International, qui s’est tenue à Bruxelles le 3 février. Ariel Brunner, le directeur de «Birdlife», dénonçait alors une «vendetta politique, un scandale créé de toutes pièces», où les fausses informations viennent polluer le débat. «Le but est de nous déstabiliser et de nous affaiblir», confirme Faustine Bas-Defossez, du Bureau environnemental européen.

Des contrats secrets!

Depuis l’automne, le PPE dénonce l’utilisation par des ONG de défense de l’environnement de subventions européennes à des fins de lobbying politique. Selon les députés à l’origine du «scandale», la Commission européenne aurait piloté en sous-main les ONG pour qu’elles défendent son «Pacte vert» auprès des institutions européennes, allant même jusqu’à leur donner des objectifs ciblés de «lobbying» au sein du Parlement. Ce récit, considéré comme un summum de désinformation par de nombreuses ONG, a trouvé de multiples échos dans la presse conservatrice européenne. Concrètement, le courroux des députés conservateurs s’est focalisé sur le programme européen «Life», instrument financier doté de 5,4 milliards d’euros pour la période 2021-2027, dont le but est la défense de l’environnement et l’action pour le climat.

Sur ces 5,4 milliards, seulement 15,6 millions sont distribués à environ 35 associations, qui touchent au maximum 700.000 euros par an. Ces subventions de fonctionnement servent à soutenir le travail structurel des ONG, elles sont intégrées dans le budget des associations, et il est difficile de flécher avec exactitude le détail de leur utilisation. La Commission européenne a confié à l’Agence européenne pour le climat, l’infrastructure et l’environnement (Cinéa), le soin de sélectionner les ONG soutenues en fonction d’appels à propositions, de contractualiser le lien entre ces associations et l’Union européenne, et de vérifier l’utilisation des fonds. Ce sont ces contrats dits «secrets» qui ont attiré l’attention de la Commission du contrôle budgétaire de Parlement européen, et plus particulièrement de Monika Hohlmeier, eurodéputée allemande du PPE qui, dès le mois d’octobre 2024, a passé au crible ces documents et en a déduit qu’ils fourmillaient de «guidances pour effectuer des activités de lobbying, ce qui contrevient au principe du respect mutuel des institutions».

Les ONG dénoncent une «attaque contre la démocratie».

On trouve en effet dans ces contrats des listes d’activités par association, dont des activités de lobbying, notamment auprès de députés. Mais, selon Politico, le média européen, qui a eu accès à plusieurs dizaines de ces contrats, rien n’indique, à aucun moment, que la Commission a donné des consignes aux ONG. Ces dernières martèlent qu’elles sont indépendantes. Les activités de plaidoyer sont mentionnées par les ONG, sous forme de programme d’action, pour justifier leur subvention. «Nos objectifs politiques sont décidés en interne et ne sont pas négociés avec la Commission européenne, qui ne nous donne aucune instruction», rappelle Angelika Pullen, du WWF.

Bien sûr, les ONG plaident leur cause et tentent d’influencer la couleur des législations. C’est leur job, et ce n’est un secret pour personne. Elles sont souvent en désaccord avec la Commission européenne. Les subventions du programme Life ont même été conçues comme un «contrepoids» à l’expression d’autres intérêts, ceux des lobbys d’entreprises privées et de leurs fédérations. Le programme Life, créé en 1992, régulièrement amendé depuis, a de tout temps été voté par des majorités alliant le PPE. Mais les temps changent en Europe comme ailleurs. «La majorité qui a voté le règlement Life était plus à gauche, affirme Dirk Gotink, député néerlandais du PPE. Les demandes actuelles sont l’expression d’une majorité politique qui a changé.»

Plusieurs députés du PPE, dont Dirk Gotink, disent qu’ils ne cherchent pas à «définancer les ONG», mais que leur objectif est plutôt d’éviter que l’argent du budget européen ne soit utilisé comme un «outil d’influence de la Commission européenne». Comme d’autres au PPE, il n’a pas vraiment digéré l’adoption de la loi sur la restauration de la nature, en 2024, adoptée «avec l’appui d’ONG très influentes, mieux informées, parfois par la Commission elle-même, que les députés». Il ne s’agirait donc pas de couper les vivres aux ONG, mais de mieux cadrer leurs pratiques. Monika Hohlmeier, pourtant, est allée un cran plus loin. Elle a réclamé qu’il soit «mis un terme» à ce genre de contrats, et que les ONG «rendent l’argent» lorsqu’elles le dépensent pour influencer des députés.

Et Orbàn s’en mêle

Depuis octobre, la députée allemande épluche les centaines de pages des contrats des ONG, dans le cadre du contrôle parlementaire de l’exécution du budget européen. Cet exercice, nommé la «décharge budgétaire», est plus qu’une formalité. Le rapport, qui sera voté par le Parlement européen en avril 2025 pour clôturer l’exercice budgétaire, est un levier puissant du contrôle des députés sur l’action de l’exécutif. D’ailleurs, des changements très concrets se font déjà sentir. Plusieurs sources affirment que l’agence Cinéa demande d’ores et déjà aux ONG d’effacer toute mention de lobbying dans leurs programmes d’action. En coulisses, le vent avait déjà tourné depuis quelques mois. En mai 2024, la Commission européenne avait publié des lignes directrices aux ONG listant les activités pouvant faire encourir un «risque réputationnel» à l’Union européenne. L’envoi de lettres, ou de supports de plaidoyer à des représentants d’institutions européennes, ou des rendez-vous avec ceux-ci représentaient potentiellement donc un tel «risque». À l’automne, alors que Monika Hohlmeier se lançait dans l’exploration des contrats, Cinéa demandait aux ONG de modifier, a posteriori, leurs programmes d’action pour l’année en cours, ce qu’elles ont refusé de faire.

«Le seul scandale ici, c’est de vouloir museler la société civile.»

Christophe Clergeau, député socialiste français

Très vite, l’attaque des députés de droite s’est amplifiée. Dès le mois de janvier, Niclas Herbst, député du PPE, président de la Commission de contrôle budgétaire du Parlement européen, réclamait l’obtention des contrats de financement de l’ONG Transparency International. D’autres financements d’ONG, dans le domaine de la migration, du développement, de l’agriculture, sont dans le collimateur du PPE. Pour Nick Aïossa, du bureau européen de Transparency International, la démarche des députés européens du PPE est «illogique. Car ils examinent des milliers de pages de contrats dans un secteur où il n’y a aucune indication d’infraction. C’est une approche tout à fait déséquilibrée, car seules les ONG sont l’objet de ce contrôle alors que des entreprises touchent parfois des millions de subventions. C’est donc une campagne clairement politique qui se déroule en suivant à la lettre la méthode Orbàn». Sur demande de la gauche, la Commission de contrôle budgétaire a fini par réclamer quelques contrats conclus entre la Commission européenne et d’autres institutions, comme des entreprises ou leurs fédérations.

Mais l’attention accrue sur les ONG fait des émules. La Hongrie de Viktor Orbàn a flairé le «bon coup» dans cette polémique qui gagne aussi le Conseil de l’Union européenne, donc l’institution qui représente les États membres. Le gouvernement hongrois a obtenu, le 25 février, que soit débattue en Conseil des affaires générales la question du «manque de transparence du financement des ONG».

La critique des ONG infuse dans le débat européen. La crainte de ces dernières, c’est que leurs financements soient purement et simplement coupés dans le prochain budget de l’Union européenne, qui s’étirera de 2028 à 2034, ou que leur marge d’action soit considérablement réduite. Monika Hohlmeier pousse, avec le PPE, pour que la Commission européenne propose une directive cadrant davantage le travail des ONG et proscrive, du moins en partie, les activités de lobbying des ONG.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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