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La fédération wallonne des CPAS dénonce les atteintes à la vie privée commises au nom de la mise à l’emploi

En Région wallonne, la signature des premiers contrats crédit insertion (CCI), intervenue depuis la toute fin de l’année 2006, se présente comme laconcrétisation du décret Diisp (Dispositif intégré d’insertion socioprofessionnelle) du 1er avril 2004 : ces contrats devraient faciliter le parcoursd’insertion de ceux qui les signent, simplifier les passerelles entre opérateurs et individualiser l’accompagnement. Mais, de l’aveu même de Forem Conseil, son maître d’œuvre,le dispositif a pris du retard et l’objectif assigné par le Contrat de gestion du Forem (3000 CCI en 2006) sera loin d’être atteint1. À ces retardsopérationnels, s’ajoutent les critiques de la Fédération des CPAS à l’égard d’un dispositif qu’elle considère comme potentiellement attentatoire à lavie privée, et d’un processus de concertation décrit comme peu ouvert. Au centre de ses critiques, un document : la synthèse de bilan personnel et professionnel (sbpp).

02-02-2007 Alter Échos n° 222

En Région wallonne, la signature des premiers contrats crédit insertion (CCI), intervenue depuis la toute fin de l’année 2006, se présente comme laconcrétisation du décret Diisp (Dispositif intégré d’insertion socioprofessionnelle) du 1er avril 2004 : ces contrats devraient faciliter le parcoursd’insertion de ceux qui les signent, simplifier les passerelles entre opérateurs et individualiser l’accompagnement. Mais, de l’aveu même de Forem Conseil, son maître d’œuvre,le dispositif a pris du retard et l’objectif assigné par le Contrat de gestion du Forem (3000 CCI en 2006) sera loin d’être atteint1. À ces retardsopérationnels, s’ajoutent les critiques de la Fédération des CPAS à l’égard d’un dispositif qu’elle considère comme potentiellement attentatoire à lavie privée, et d’un processus de concertation décrit comme peu ouvert. Au centre de ses critiques, un document : la synthèse de bilan personnel et professionnel (sbpp).

Ce bilan personnel et professionnel est réalisé lors d’un entretien réalisé chez l’opérateur auprès duquel le demandeur d’emploi se présente pourla première fois : Forem, Carrefour Emploi Formation, ou un des partenaires du dispositif (CPAS, organismes d’insertion socioprofessionnelle, écoles de promotion sociale, etc.). Lasynthèse de cet entretien, ou sbpp, reprendra dans un document unique des informations telles que le projet professionnel du demandeur, ses compétences en lien avec ce projet, maisaussi, des informations « à prendre en compte pour la réalisation du projet » et portant sur la santé, la mobilité et la situation personnelle. Dans cettedernière catégorie, les cases « cochables » sur le document actuellement utilisé par le Forem portent sur des difficultés sociales, familiales ou encored’alphabétisation ainsi que sur la « situation administrative à régulariser ». La critique émanant de la part de la Fédération des CPAS wallonsne porte pas tant sur le document lui-même – dont la réalisation est un préalable indispensable à la conclusion d’un CCI – que sur son caractèretransmissible. Une fois signé, ce document, et les informations personnelles qu’il comporte, sera en effet transmis à chacun des opérateurs auquel le demandeur aura affaire aucours des deux années que dure un CCI.

Partager le secret ?

D’après Christophe Ernotte, directeur général de la fédération des CPAS2, cettetransmission pourrait bien tomber sous le coup de l’article 458 du code pénal relatif au secret professionnel. Il ajoute qu’en matière de secret professionnel partagé, lajurisprudence – on ne peut parler que de jurisprudence car il n’y a pas de base légale à cette notion – conditionne le partage de l’information à au moins deuxéléments. Primo, il faut que le partage soit dans l’intérêt de la personne. « Or, constate Christophe Ernotte, on voit mal comment des informations relatives,par exemple, à des maladies pourraient bénéficier à l’usager. » Secundo, il faut obtenir l’accord de la personne pour partager des informations relevant dusecret professionnel et, en l’occurrence, cet accord n’est pas demandé. Du côté des CPAS, on voudrait donc qu’une charte vienne préciser les conditions de ce partage dusecret et rappeler les principes fondamentaux en matière de vie privée3 !

Dans un courrier adressé en septembre 2006 à la ministre de la Formation, Marie Arena (PS), la fédération se plaignait du fait que des «bénéficiaires de CPAS se sont déjà présentés au Forem et, alors même que la charte n’a pas été formalisée, les conseillersremplissent déjà le document « synthèse et bilan personnel et professionnel ». » D’après ce courrier, « les bénéficiaires rapportent que cedocument ne leur a pas été expliqué et en outre il ne laisse pas le bénéficiaire libre. Il est obligé de le signer (sans par conséquent l’avoircompris). » Ce document serait donc désormais présenté comme obligatoire par le Forem, alors qu’il avait toujours été stipulé qu’il était libre.Par ailleurs, la fédération s’interroge sur l’étrange fiction qui fait du demandeur d’emploi le propriétaire d’un document dont il ne reçoit même pascopie…

« Nous plaidons en faveur d’un partenariat et nous nous inscrivons volontiers dans la philosophie du décret Diisp, précise Christophe Ernotte, mais nous sommes de plus en plusmis devant le fait accompli sans que nos objections soient entendues, ni même reprises dans les P-V de la Commission régionale du Diisp4. » En l’état actuel de lasituation, la fédération des CPAS menace d’y pratiquer la politique de la chaise vide. Et en cas de persistance des problèmes, Christophe Ernotte n’exclut pas un retrait dusystème, qui se traduirait par une lettre envoyée aux 262 CPAS membres de la fédération leur conseillant de ne pas entrer dans le dispositif Diisp et donc, de ne pasinciter leurs usagers à signer les contrats crédit insertion. Cette crispation sur les CCI s’inscrit d’ailleurs dans un contexte de soupçon à l’égard de ce que lesCPAS ressentent comme une volonté de « passage en force sur d’autres dossiers, tels que le Jobpass » (nous reviendrons sur cette dernière question dans un numéroultérieur d’AÉchos).

Du côté de l’Interfédération des organismes d’insertion socioprofessionnelle5, qui estaussi membre de la Commission régionale du Diisp, la présidente, Dominique Brasseur, partage les inquiétudes de la Fédération des CPAS, même si elleprécise que, pour le moment, l’Interfédé a choisi de ne pas s’inscrire dans une stratégie de rupture : « Nous faisons partie d’un groupe de travail, au sein de laCommission régionale, chargé d’élaborer un vade-mecum à destination des opérateurs de formation : il va de soi que la question de la déontologie et durespect de la vie privée sera au programme et nous souhaitons continuer ce travail. Ceci dit, la question sera à l’ordre du jour de notre prochain Conseil d’administration, et il n’estpas exclu que notre position évolue. »

La mise à l’emploi : le véritable enjeu

Du côté du Forem, Basilio Napoli, directeur général de Forem Conseil, invoque avant tout la nécessité de ne plus perdre de temps dans la mise enœuvre d’une action, qui est indispensable pour le public le plus éloigné de l’emploi : « À un moment, il faut clôturer les discussions et arrêter dedébattre. La position majoritaire est passée à la Commission régionale du Diisp et a été avalisée par le Comité de gestion du Forem. Il està noter, par ailleurs, que le dispositif lui-même et les difficultés qu’il pourrait susciter feront l’objet d’une évaluation approfondie. » Sur la question del’échange d’information, le directeur général s’en prend à un « discours idéologique uniquement centré sur le respect de la vie privée desusagers et qui ferait l’impasse sur la remise à l’emploi qui, plus que la vie privée, est le véritable enjeu pour ces publics. » Il assure toutefois que les juristes duForem se sont assurés de la légalité des outils mis en place, que la Commission de la vie privée a été sollicitée par le Forem Conseil, et que cedernier s’efforce de concilier les deux dimensions de respect de la vie privée et d’efficacité dans la remise à l’emploi.

Pour lui, la transmission des données a par ailleurs l’avantage d’éviter aux personnes en contrat d’insertion de devoir répéter leur parcours « parfoisdésagréable », à chacun des opérateurs auxquels elles s’adresseront. Bref, dans un dispositif centré sur le bénéficiaire et plus sur lesinstitutions qui le soutiennent, il faut bien que les différentes interventions soient articulées et, pour cela, un partage des informations et une capitalisation de celles-ci seraientindispensables. Basilio Napoli tempère cependant, en précisant que seuls les opérateurs qui seront en contact avec les bénéficiaires auront accès àleurs fiches : ces dernières ne seront donc pas accessibles à n’importe qui… Enfin, il voit un dernier avantage, collectif cette fois, à la transmission de donnéesindividualisées dans le cadre du CCI. Celle-ci devrait en effet permettre de renforcer l’appareil statistique du Forem et d’évaluer quelles sont les filières et les parcours lesplus porteurs de succès.

Au niveau politique, le cabinet de Marie Arena (PS) dit avoir rencontré les représentants de la Fédération des CPAS6 et leur avoir donné toutes lesassurances en matière de respect de la vie privée – même si on ajoute que, dans le cadre du Diisp et du Plan d’accompagnement des chômeurs, un minimum de recueil et decentralisation d’informations sur les demandeurs d’emploi est nécessaire. Pour le reste, on s’en remet à la rencontre prévue entre les représentants du Forem et de laFédération des CPAS, afin d’aplanir les différends.

Les semaines qui viennent diront donc si le désaccord de la Fédération des CPAS, qui n’avait pas été médiatisé jusqu’ici, ni mêmecommuniqué aux autres partenaires du Diisp, aura un effet d’entraînement auprès de ces derniers, ou si des solutions médianes pourront être trouvées – onévoque par exemple la possibilité que les opérateurs ne remplissent qu’une partie de la synthèse de bilan personnel et professionnel.

1. À la mi-janvier, le nombre total de contrats signés depuis le lancement du dispositif était de 535 et les chiffres exacts pour la seule année 2006 ne sont pas encoreconnus. L’objectif de 3 000 contrats annuels est néanmoins reconduit pour 2007.

2. Fédération des CPAS de l’Union des villes et communes wallonnes, rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur– tél. : 081 24 06 51 – courriel : federation.cpas@uvcw.be.
3. Pour approfondir les questions relatives au secret professionnel et aux conflits potentiels entre les nouvelles exigences de l’État social actif et la déontologie professionnelle, lelecteur pourra se référer à la toute récente publication du Centre droits fondamentaux et lien social des Facultés de Namur : « Un nouveau passeport pourl’accès aux droits sociaux : le contrat », sous la direction de H.-O. Hubert, Éditions La Charte, 2006.
Voir plus particulièrement l’article de Gaëlle Renault, La contractualisation de l’aide au regard du respect de la vie privée (pp. 183-210). Voir également l’ensembledes documents mis en ligne par le Comité de vigilance en travail social : www.comitedevigilance.be
4. Composée de représentants des partenaires sociaux, de Forem Conseil, et des opérateurs du dispositif (organismes d’insertion, enseignement de promotion sociale, Cefa,Ifapme…), cette commission a pour fonction principale d’accompagner et de superviser la mise en œuvre opérationnelle du Diisp par la formulation de recommandations etd’avis à destination du gouvernement wallon, du Comité de gestion du Forem, mais aussi à destination des Commissions sous-régionales qu’elle rassemble.
5. Interfédé, rue Marie-Henriette, 19/21 à 5000 Namur – tél. : 081 74 32 00 – fax : 081 7481 24.
6. Cabinet Arena, rue des Brigades d’Irlande, 4 à 5100 Namur – tél. : 081 32 34 23 – fax. : 081 32 35 81 – courriel : marie.arena@gov.wallonie.be

Edgar Szoc

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