Nichée sur les coteaux de la Citadelle, la Ferme de la vache du CPAS de Liège1 se trouve à mi-pente de la rue Pierreuse, au cœur d’un ancien quartierouvrier qui s’ouvre sur l’impressionnant site de Favechamps, classé en zone verte depuis 1998. On comprend aisément que le CPAS de Liège ait pensé à ydévelopper un projet d’insertion sociale qui concilie jardinage de type biologique, développement communautaire de quartier et valorisation d’un site classé.
Depuis 1998, la Ferme de la vache met sur pied des actions d’insertion sociale et de citoyenneté, tout en développant un partenariat actif avec le réseau associatif duquartier. « La découverte de la culture potagère permet aux « jardiniers en herbe » de se reconnaître non seulement comme acteurs, mais aussi comme producteurs etconsommateurs, peut-on lire dans la brochure de présentation de la ferme. Notre but est de favoriser la découverte de la nature, le respect de l’environnement, l’approche dela culture de type biologique, le bon usage du compostage ainsi que la cuisine des légumes du jardin. Tout en valorisant les personnes, nous favorisons les rencontres et les échanges enles incitant à participer à d’autres activités. La Ferme de la vache fait également partie du réseau des « Jardins et fermes solidaires Wallonie-Bruxelles ».Des journées d’études sont organisées sur ce thème et, qu’ils soient publics ou privés, les différents intervenants tentent d’apporterleurs contributions dans un domaine qui englobe non seulement des paramètres socioéconomiques mais également de santé, d’environnement, de développementdurable… »
Un service d’insertion sociale et professionnelle
En tant que service du CPAS de Liège, la ferme veille bien évidemment à favoriser l’insertion sociale et professionnelle de ses allocataires. C’est pour cela quel’équipe, forte de onze personnes, est composée pour moitié de travailleurs sous un contrat Article 60 dans le cadre de l’insertion socioprofessionnelle. Ce n’est pastoujours facile à gérer car l’équipe bouge constamment. En effet, dès qu’une personne arrive à la fin de son contrat – lorsqu’elle aété mise au travail par le CPAS le temps nécessaire pour récupérer son droit au chômage, – il faut la remplacer.
Mais ce n’est pas la seule difficulté à laquelle est confronté le service. « Comme la moitié de l’équipe est en réinsertionsocioprofessionnelle, cela veut dire qu’au sein de notre équipe, nous devons encadrer nos propres collègues, note Nathalie Segalla, assistante sociale. La plupart du temps,ça roule. Parfois, c’est plus chaotique. » Pour Gilles, animateur, « le roulement du personnel implique de devoir s’adapter constamment au changement. Parfois,c’est lourd : à chaque fois, il faut remettre les gens au courant. En même temps, c’est positif parce que cela amène du renouveau. On a la possibilité detravailler avec des personnes de profils très différents. »
Du changement, disions-nous
Mais les changements dans l’équipe ne sont pas toujours le fait des personnes en voie de réinsertion. Ainsi, Julie Croonen, coordinatrice pendant dix ans de la Ferme de la vache acédé la place à Ibrahim Aguelmin le 14 avril dernier. Tandis que la première s’en va remplir de nouvelles fonctions au sein du CPAS, le second vient de la Maison Louvrex,le service résidentiel du CPAS, agréé en tant que Service d’accueil et d’aide éducative (SAAE)2 dans le cadre de l’Aide à la jeunesse.
Le passage de témoin a été rapide. « Je découvre encore, explique le nouveau coordinateur. Mais je peux compter sur une équipe très chouette et quifonctionne très bien. J’ai aussi un contact par semaine avec Julie Croonen pour des compléments d’information. Ce qui est nouveau pour moi, c’est le passage d’un travail socialindividuel, familial ou de groupe à une approche communautaire. C’est un niveau au-dessus, puisqu’il faut travailler à l’échelle d’une collectivité, d’un quartier. Enmême temps, c’est une évolution. Le projet est ambitieux et intéressant. De plus, le cadre de travail est idyllique. »
Insertion sociale
Parmi les différentes activités offertes par la Ferme de la vache, certaines relèvent du décret Insertion sociale :des ateliers poursuivent des objectifs trèsspécifiques vis-à-vis des personnes qui les fréquentent. Le public visé est constitué – au sens du décret – de « personnesâgées de dix-huit à soixante-quatre ans provisoirement en situation d’exclusion sociale (en difficulté) en raison de leur incapacité momentanée demobiliser leurs ressources sociales et/ou psychologiques leur permettant de s’insérer dans un dispositif d’insertion socioprofessionnelle, sans emploi et non inscrites à uneformation professionnelle mais ayant légalement accès au marché du travail ». Dès lors, les ateliers visent à :
• « permettre aux personnes de (re)trouver une certaine dynamique et la possibilité d’accroître leur compréhension, leur implication dans divers secteurs de lasociété ;
• pour améliorer leur pouvoir d’action, favoriser le développement de compétences et de connaissances ;
• les aider à se situer par rapport à leurs droits, à trouver une place valorisante dans leur environnement et par conséquent dans la société ;
• les sensibiliser au concept de « consommation » au sens large et leur permettre de développer les outils nécessaires pour mieux la gérer au quotidien ;
• promouvoir l’accès au bien-être, à une certaine qualité de vie dans une majorité de domaines ;
• développer des moments d’échanges, de rencontres pour favoriser la mixité socioculturelle, la tolérance et pour lutter contre l’exclusion,l’isolement ;
• valoriser l’autonomie de réflexion, d’action ;
• organiser des actions pédagogiques pour initier au respect de l’environnement, de son milieu. «
Les ateliers SIS
C’est ainsi qu’il existe cinq types d’ateliers « SIS » (Service d’insertion sociale) :
• L’atelier « Jardin gourmand » : « À travers l’atelier jardin, on essaie de préparer les participants à la formation ou àl’emploi, même si pour certains c’est utopique. Depuis un certain temps, ce sont surtout des personnes avec des problèmes de santé mentale », expliqueNathalie.
• L’atelier « Peinture », où l’on retrouve les plus anciens qui fréquentent la ferme parfois depuis cinq ou six ans. Au niveau des techniques, certains utilisentl’aquarelle, d’autres préfèrent la peinture à l’huile. C’est une activité plus calme et qui
demande de la concentration. Les personnes participent aussi à desactivités collectives, comme des sorties : pour des expositions, des visites dans des musées. « Chacun cotise et on organise un petit voyage par an. Les gens interviennent pour lamoitié, la ferme paie l’autre partie », précise Jean-Marie, qui anime cet atelier.
• L’atelier « Cuisine » favorise l’approche d’une cuisine créative, à petit budget, qui utilise les produits du potager. C’est l’occasionde sensibiliser aux notions de diététique et de santé, chose qui n’est pas toujours aisée. L’atelier se déroule selon un rituel bien établi, raconteNathalie : « La matinée, on papote, on fait la liste des courses. On va ensuite faire les courses avec la camionnette. Suivant le nombre de participants, certains restent pourpréparer la table et ce qu’il y a déjà sur place (éplucher les légumes, etc.). La répartition des tâches se fait naturellement, même siparfois il faut un peu re-répartir suivant les compétences. Chacun m’aide aussi un peu par ce qu’il a envie de faire, mais je veille à la rotation des tâches.Cela se passe dans la bonne humeur, même si parfois je dois faire un peu de rappel à l’ordre – c’est mon rôle : cuisiner sain, équilibré, respecterle budget (4 euros par personne) et rappeler les règles d’hygiène en cuisine… Il ne faut pas non plus les harceler tout le temps : il faut qu’ils y prennent aussi duplaisir ! »
• L’atelier « Théâtre » est plus ponctuel car il consiste en un module spécifique. Le module précédent s’est clôturé audébut 2007, après plusieurs représentations d’une création collective. Un nouveau projet a été initié au début de cette année. Ilregroupe onze personnes. « Cette fois, nous avons un partenariat avec ‘Les Acteurs de l’ombre’ qui sont plus dans le théâtre-action, explique Ibrahim Aguelmin. Pour le moment, dansla première phase, les personnes sont en formation. Ensuite, dans la deuxième, le travail sera axé sur l’improvisation et sur ce que cela apporte dans l’atelier en fonction desspécificités de chacun. Certains sont plus dans le verbal, d’autres dans le non-verbal (mime). On va leur demander de travailler les deux aspects. Cela va les aider à sedécouvrir et découvrir de nouvelles capacités. Une représentation est prévue pour la fin de l’année. Le groupe, encadré par deux animatrices enthéâtre et Nathalie, est très régulier. L’atelier se déroule à la maison de quartier dont les locaux se prêtent davantage à ce typed’activité. »
• L’atelier « Brico-Déco » est le dernier-né des ateliers SIS. Il propose une approche des techniques manuelles et décoratives avec des matériaux derécupération. « Cela débouche sur des réalisations qui sont utiles aux participants puisqu’ils peuvent les emporter chez eux pour améliorer leurenvironnement. Ils réalisent des lampes, des objets décoratifs (masques, etc.) », commente le coordinateur. Et d’ajouter : « L’idée est aussi de faire se chevaucherdes ateliers. Par exemple, l’atelier Brico-Déco va créer des décors qui pourraient servir pour l’atelier théâtre, ce qui permet aussi de valoriser les participants.»
Des jardins pour tous…
Le site est ouvert a tous et des parcelles sont mises à disposition. C’est ainsi qu’une parcelle est occupée par l’école de devoirs Natolo (quartier d’Amercœur) ;dix-huit parcelles sont louées à des habitants du quartier qui n’ont pas de jardin (25 euros/an) ; une parcelle a été confiée à un collectif qui travailleavec des enfants non scolarisés ; deux parcelles ont été mises à disposition du Centre hospitalier psychiatrique de Liège, l’une pour le site Agora, l’autre pour lesite du Petit Bourgogne, un service des habitations protégées ; et une autre parcelle est entretenue par le Centre de jour « Li’Bricoleu », qui travaille avec despersonnes handicapées mentales adultes.
… et aussi pour les enfants
Outre la parcelle mise à disposition de l’école de devoirs Natolo, diverses animations ont été mises sur pied pour les enfants de six à douze ans de parents sansemploi ou travaillant sous le statut Article 60. Elles s’adressent aussi aux asbl qui se chargent d’enfants en difficultés sociales et aux écoles en discrimination positive.Les activités sont très diverses : apprendre à cuisiner les légumes et les plantes sauvages ; faire de petits travaux de jardinage au rythme des saisons ; réaliserdes montages floraux à partir des fleurs du jardin ; réaliser des totems à partir de matériaux naturels et de récupération ; découvrir la vie d’unemare, de sa faune et de sa flore, etc.
Les animations pour enfants se déroulent d’avril à octobre. Ils peuvent choisir deux animations et pique-niquer ou faire un barbecue à moindres frais. Les animations peuventaussi prendre la forme de stages de cinq jours pendant les congés scolaires : au carnaval (six jours avec le défilé du samedi), à Pâques, en juillet et enaoût. Il y a également des journées pédagogiques à thème, organisées sur réservation.
Développement communautaire
Pour les adultes, une table d’hôtes hebdomadaire est ouverte à toute personne habitant le quartier, qu’elle travaille ou non, qu’elle soit au chômage ou non,qu’elle soit exclue ou non. Le but est de favoriser la mixité et le développement communautaire du quartier. « La plupart des personnes qui se proposent pour préparerle repas sont du quartier ou participent à nos activités. Il faut faire à manger pour trente personnes. Les personnes qui ont un contrat Article 60 aiment aussi participerà cette activité :l’ambiance y est très conviviale. Il y a des gens du quartier qui réservent tous les mercredis ! », souligne-t-on avec plaisir à laFerme de la vache.
Dans la même optique de développement communautaire, on retiendra que :
• dix-huit parcelles sont mises à disposition des habitants du quartier ;
• l’équipe de la Ferme de la vache s’implique dans les événements locaux, tels la fête de quartier (les 24 et 25 mai cette année), la Saint-Nicolasdes enfants, le carnaval, la Nocturne des coteaux de la Citadelle ;
• un journal d’informations est publié : Le p’tit Canard de la Vache.
Enfin, le petit magasin « Oh près de la Vache… » joue le rôle de projet d’économie sociale d’insertion. Il permet aussi de vendre les légumes desaison cultivés dans les jardins de la ferme. On y trouve également des produits dérivés du jardin, comme des confitures, des gelées, des sirops, etc. Le magasinest ouvert aux habitants du quartier Pierreuse, qu’ils travaillent ou non, ainsi qu’au personnel du CPAS et aux allocataires sociaux habitant à Liège. Ces de
rniers ont droit àdes tarifs réduits, afin qu’ils puissent s’approvisionner sainement et à moindres frais. Le magasin participe, de par sa fonction, à la dynamique communautaire du quartier. Ilfournit aussi ponctuellement des produits (confitures, légumes) à l’épicerie conviviale « Djudju », une société coopérative à finalitésociale du quartier.
Avec le retour du soleil, les jardins sont déjà florissants. On se doute que les personnes fréquentant les activités de la Ferme de la vache seront d’autant plusmotivées à s’y rendre.
1. La Ferme de la vache du CPAS de Liège :
– adresse : rue Pierreuse, 113-117 à 4000 Liège
– tél. : 04 223 52 84
Voir le cahier Labiso (La Ferme de la Vache du CPAS de Liège) : http://www.labiso.be/ebooks/labiso_82/index.html
2. La Maison Louvrex assure trois missions : l’hébergement d’enfants pendant une période à la demande du SAJ (Service d’aide à la jeunesse) ou du SPJ (Service deprotection de la jeunesse), le suivi des enfants en famille et le suivi en autonomie, de seize ans jusqu’à la majorité.