Surpopulation, manque de personnel, manque de soins… En temps normal, les prisons sont déjà au bord de la rupture. Alors, quand s’ajoute le coronavirus, la situation ne peut que devenir explosive avec des détenus confinés depuis plusieurs semaines dans une situation d’angoisse importante.
« Je fais des réclamations liées au Covid-19. » Ces paroles sont celles d’un détenu incarcéré à la prison de Jamioulx où le 29 mars dernier une vingtaine de détenus ont refusé de quitter le préau et ont bouté le feu à différentes zones de la prison. « Moi, tous les jours, je me lève avec la boule au ventre : savoir si je vais être malade, savoir si ma famille va être malade… », explique-t-il dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.
Le détenu qui a pris la parole précise que ces réclamations sont celles de toutes les personnes enfermées à Jamioulx. « Étant donné que nous avons été coupés du monde, nous ne voyons plus nos familles, nos enfants, nos mères, nos pères, nos sœurs, nos frères, nos compagnes, nos épouses. On aimerait que le téléphone soit gratuit. » Actuellement, les détenus ont droit à 20 euros de communication, contre 10 en temps normal, afin de garder contact avec leurs proches. Mais à côté du téléphone et des visites, les détenus se retrouvent aussi sans aucune activité (cours, sport ou accès aux livres). Des sections habituellement ouvertes sont passées en régime fermé. Conséquence : les prisonniers sont 23h/24 en cellule. Dans ces circonstances, dur pour les détenus de ne pas se sentir délaissés. Beaucoup se sentent abandonnés. Et prendre l’air est devenu quelque chose de plus rare. Les détenus n’ont plus droit qu’à un seul préau par jour, d’une durée d’une heure trente, aux horaires variables et en petits groupes, distanciation sociale oblige.
« Moi, tous les jours, je me lève avec la boule au ventre : savoir si je vais être malade, savoir si ma famille va être malade… »
Dans la vidéo, le détenu évoque aussi la problématique de la cantine, à savoir ce qui permet aux détenus de se procurer ce que la prison ne fournit pas, dont les coûts, à Jamioulx comme dans de nombreux établissements pénitentiaires, sont partis à la hausse à cause de fournisseurs qui n’arrivent plus à livrer les prisons.
« Nous réclamons une cantine beaucoup moins chère. Nous avions une cantine qui était vraiment bien à l’époque. Maintenant, suite à ce Covid-19, on nous a fait payer plus cher. Je ne trouve pas ça, normal, moi. »
Quant à l’hygiène, il évoque la difficulté à se procurer du savon pour se laver, mais aussi des masques, des gants et du gel hydroalcoolique. Par ailleurs, beaucoup de détenus n’ont pas accès aux soins médicaux appropriés à leur situation, les services médicaux étant débordés, alors que la population carcérale est particulièrement vulnérable en matière de santé. Les demandes de visites médicales ont explosé au point que les médecins ne peuvent plus y répondre. Concernant l’épidémie, beaucoup de détenus – et ils ne sont pas les seuls – estiment que rien n’a été mis en place suffisamment tôt pour éviter la propagation au sein de la prison. Les seules mesures rapides ont été la prise de température au laser des détenus qui entrent en prison ou le placement en isolement des détenus présentant de la fièvre. Une autre mesure annoncée par le gouvernement précise que les détenus atteints par le Covid-19 dont l’état ne nécessite pas une hospitalisation seront confinés dans l’unité médicale de la prison de Bruges disposant de 25 lits. Actuellement, 11 lits sont occupés. D’autres pistes sont à l’étude en cas de dépassement de la capacité de la prison de Bruges. La presse évoquait des travaux d’aménagement d’anciens bâtiments de l’hôpital AZ Jan Portaels à Vilvorde.
«Nous réclamons une cantine beaucoup moins chère. Nous avions une cantine qui était vraiment bien à l’époque. Maintenant, suite à ce Covid-19, on nous a fait payer plus cher. Je ne trouve pas ça, normal, moi.»
Dans la vidéo, le détenu de Jamioulx aborde enfin la question des congés pénitentiaires prolongés, une « faveur », à ses yeux, accordée à quelques détenus. Quelques mesures de libération ont été prises pour faire face aux risques que la pandémie de Covid-19 fait courir aux personnes qui vivent en prison. 800 personnes ont pu bénéficier d’un congé pénitentiaire prolongé jusqu’à la fin du confinement. 800 personnes sur plus de 10.000 détenus, pas de quoi dépeupler les prisons. Pour bénéficier de ces congés, seuls les détenus remplissant certaines conditions peuvent sortir : ils doivent disposer d’un endroit où loger, ne doivent pas avoir été condamnés pour des faits de terrorisme ou de mœurs, et ne doivent pas avoir écopé d’une peine de plus de dix ans. S’ils remplissent ces conditions, ils peuvent normalement sortir, et seront dehors jusqu’à la fin du confinement. Pour le reste, les permissions de sortie, les nouveaux congés pénitentiaires tout comme les sorties pour aller au travail sont suspendus de manière à restreindre les mouvements d’entrée et de sortie des prisons. En raison de l’épidémie, le parquet a décidé également de reporter le commencement de certaines peines de prison, afin de limiter les risques de contaminations. Des reports, évalués au cas par cas, en fonction de la gravité des infractions et de la dangerosité des personnes condamnées.
Pas à la hauteur de la crise
Aux yeux d’avocats et d’associations, les revendications portées par ce détenu sont plus que légitimes. « Les autorités n’ont pas du tout considéré l’ampleur de la crise. Le matériel sanitaire commence seulement à arriver », constate l’avocate Delphine Paci, membre de l’OIP, l’Observatoire international des prisons qui estime que les établissements pénitentiaires ne sont pas en mesure de faire face au virus de la même manière que pour les personnes non privées de liberté. Aux yeux de l’avocate, les détenus sont inquiets pour de bonnes raisons. « Le fait que les détenus n’aient plus de visites est problématique : ils sont seuls, ont peu d’informations de l’extérieur, et même s’ils ont un peu plus d’argent pour téléphoner, toutes les prisons ne sont pas équipées. Ils ne savent que ce qu’on veut bien leur dire de l’extérieur… »
Selon Delphine Paci, les conditions sanitaires ne sont pas idéales dans un milieu carcéral. « Les prisonniers ont droit à deux douches par semaine seulement. Et leurs vêtements ne sont pas lavés très souvent. Par ailleurs, c’est dans un milieu confiné comme une prison qu’une épidémie se répand plus facilement », poursuit-elle. Quant aux soins de santé, certains de ses clients qui ont demandé à consulter le médecin n’ont pas pu le faire parce que c’était sans lien avec le Covid-19. « Les directions, sans le dire ouvertement, font tout pour qu’aucun cas ne se déclenche sans quoi ce serait la catastrophe et elles limitent donc tout au strict minimum. Avec le risque que tout passe à la trappe : tout récemment, un client détenu à la prison de Nivelles s’est plaint de douleurs dans le dos. On a mis un mois pour l’envoyer à l’hôpital, et là, il ne remarchera plus jamais et il n’a pas 40 ans. Des cas comme ceux-là, on en a tout le temps en temps normal… Maintenant, tout ce qui ne va pas être le suivi des fiévreux, ce sera renvoyé aux calendes grecques. Tout est annulé aussi au niveau des transferts pour des suivis médicaux de longue haleine. »
« Les prisonniers ont droit à deux douches par semaine seulement. Et leurs vêtements ne sont pas lavés très souvent. Par ailleurs, c’est dans un milieu confiné comme une prison qu’une épidémie se répand plus facilement. »
Concernant les congés pénitentiaires, l’OIP estime également qu’ils créent des tensions car ils sont basés sur des critères discriminatoires. L’OIP propose aussi aux magistrats de libérer les détenus en préventive. Et rappelle qu’un tiers de la population carcérale est composée de détenus présumés innocents, placés en détention préventive. « Plus que jamais, il appartient aux juges et aux chambres d’instruction de libérer, avec un accompagnement et une aide, tous les individus dont il n’est pas démontré qu’ils présentent un danger immédiat et réel pour autrui. Il ne sert à rien d’essayer d’éradiquer le virus à l’extérieur si on en fait une culture à l’intérieur. »
Marc Nève, le président du Conseil central de surveillance pénitentiaire, indiquait dans un communiqué que la situation au sein des prisons est de plus en plus difficile, et ce, à un moment où les commissions de surveillance, censées veiller sur les conditions de détention, n’entrent plus dans les prisons pour cause de confinement. « Difficile à l’extérieur, le confinement est presque impossible en prison. Il risque, en effet, à tout moment, d’accroître fortement les tensions et de déclencher des incidents voire des émeutes. » Et d’ajouter : « Il est indispensable de recommander de réduire la population pénale à un niveau qui ne soit pas supérieur à la capacité d’accueil de chaque prison en proposant, adoptant ou suscitant toute mesure utile pour limiter drastiquement les entrées et favoriser les sorties de prison. » En outre, tant le Conseil de l’Europe que l’ONE enjoignent aux États de diminuer drastiquement leur population carcérale.
Personnel réduit et inquiet
Sur le terrain, beaucoup de prisons fonctionnent avec du personnel réduit. À Lantin, 200 agents sur près de 700 sont en congé maladie. A l’heure d’écrire ces lignes, 47 membres du personnel avaient été testés positifs. « Les agents sont, plus que jamais, en sous-effectif, le taux d’absentéisme, habituellement de 10 %, est aujourd’hui de 30%. Il y a des malades, des agents vivant dans la crainte aussi. Ils doivent venir travailler et craignent de ramener le virus à la maison, explique Grégory Wallez, secrétaire fédéral CGSP-Prisons. Des agents ont voulu venir travailler avec des masques, en prenant donc un minimum de sécurité, mais ils ont été interdits d’entrée au sein de l’établissement de peur de créer un climat de panique auprès des détenus. Heureusement, on a pu régler cette situation en fin de compte, mais c’est à l’image de la gestion de la crise au sein des établissements. »
« Les agents sont, plus que jamais, en sous-effectif, le taux d’absentéisme, habituellement de 10 %, est aujourd’hui de 30%. Il y a des malades, des agents vivant dans la crainte aussi. Ils doivent venir travailler et craignent de ramener le virus à la maison. »
Les agents pénitentiaires sont sous tension, comme les détenus. « La suppression des visites se fait ressentir. Le crédit d’appels téléphoniques de 20 euros qui leur a été octroyé ne compense pas, indique-t-il encore. Ceux qui ont des addictions sont en manque, les visites constituant une porte d’entrée pour la drogue. Ce manque-là risque, à lui seul, de peser énormément et pousser certains détenus à faire n’importe quoi. » Les agents se sont plaints aussi du manque de matériel, étant donné que les masques ont tardé à venir. « Cela faisait deux semaines qu’on les attendait. » Près de 9.000 masques ont été depuis distribués dans les établissements. Des ateliers de couture de masques sont aussi organisés dans quatre prisons. Le syndicat socialiste dénonce aussi des mesures contradictoires : «Pour le préau, on nous dit de respecter la distanciation sociale, en mettant un détenu pour 10 m2, alors que, jusqu’à preuve du contraire, ils se retrouvent à deux, trois en cellule dans 9 m2. On sent bien que le sentiment général est celui d’une grande débrouille. »
Côté politique, le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), estime la situation tout à fait « sous contrôle ». Ce dernier n’a pas souhaité répondre à nos questions.