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Regard critique · Justice sociale

Reportage

La fratrie face au handicap

Quand un enfant est en situation de handicap, les frères et sœurs sont aussi touchés. Des frères et sœurs qui, entre perfection et discrétion, grandissent dans l’ombre d’une maladie qui prend plus de place chaque année. C’est le cas de Melyna et Ibrahim qui ont un frère soit autiste soit porteur de trisomie 21.

Marie-Eugene Djenny Cifende Malaika 30-09-2024 Alter Échos n° 519

Melyna,

Tu as un frère pas tout à fait comme toi. Ce n’est pas la couleur de vos cheveux. Vous les avez tous les deux noirs, très foncés. Ce n’est pas votre couleur de peau, on retrouve le même teint hâlé sur vos deux visages presque identiques à celui de Maya, votre maman. Peut-être votre façon de parler? Mais c’est normal si tu parles plus vite et avec plus d’assurance, tu as 8 ans, il en a 4. C’est un peu dans la forme de vos yeux, ceux de Noam sont un peu plus bridés.

«Ce qui change, c’est que nous, on a deux chromosomes et lui il en a trois. Ce qui fait qu’il en a 47 au total alors que nous, on en a 46.»

C’est vrai, Melyna. Chaque être humain possède d’ordinaire 23 paires de chromosomes. Ces paires sont constituées par un chromosome du papa, l’autre de la maman, et c’est là que l’ADN est stocké. Sur la 21e paire de Noam, il y en a trois. Mais les chromosomes, on ne les voit pas. Ce n’est pas ça qui t’a alertée quand tu avais 4 ans. À 4 ans, on ne se rend pas compte que son petit frère est différent. Mais on réalise que sa maman est beaucoup partie. Et tu lui as demandé pourquoi. Et elle t’a expliqué l’anomalie et les rendez-vous chez le médecin. Et un nouveau champ lexical a fait irruption à la maison. À ta maîtresse et à tes camarades de classe, tu parles de ton frère qui apprend plus lentement que les autres, du fait qu’il y avait une chance sur 100 qu’il soit atteint vu que ta maman l’a eu à presque 40 ans – contre une chance sur 1000 pour les femmes de moins de 30. Tu parles de chromosomes aussi facilement que tu dessines des galaxies et des étoiles sur ta feuille orange, avec ton stylo à encre bleue.

Najoua Batis, psychologue et chargée de projet de l’association Fratriha, te dirait que tu es un peu comme Bob l’éponge. Comme lui, tu absorbes beaucoup d’émotions, mais tu souris quand même. Comme tous les enfants de ton âge, tu es dans une logique verticale. Ce qui compte pour toi, c’est de faire plaisir à tes parents et à tes professeurs. Elle en a vu passer des enfants depuis qu’elle s’occupe de l’association en soutien aux frères et sœurs de personnes porteuses de handicaps. Selon elle, le plus dur, ce sera à partir de tes 12 ans, à la préadolescence et à l’adolescence. Quand tout ce qu’on veut, c’est faire partie d’un troupeau et taire les différences. Quand le regard des pairs compte plus. Quand peut-être tu auras honte de tout. De toi. De ton corps. De ton frère.

Najoua Batis, psychologue et chargée de projet de l’association Fratriha, te dirait que tu es un peu comme Bob l’éponge. Comme lui, tu absorbes beaucoup d’émotions, mais tu souris quand même.

Un peu comme Ibrahim. Tu le connais déjà Ibrahim, pas vrai? Pas besoin de te le présenter, comme toi, il participe aux ateliers mensuels de l’association. Il n’a pas 12 ans, mais la moitié + 1… Oui, 7 ans. Bravo Melyna.

Malgré son jeune âge, il ferait le calcul mental très vite lui aussi. Peut-être plus vite. Il faut dire qu’il est très doué à l’école. Un peu trop même. Quand sa maman l’aide à faire ses devoirs, sur son petit bureau blanc, entre ses livres et ses voitures, il efface ce qu’il écrit jusqu’à 30 fois.

«Non ce n’est pas parfait, ce n’est pas bien. Sa maman le rassure. Mais si, c’est du très bon travail.» Il ne s’arrête pas. Il n’y arrive pas. Il pleure.

C’est ce besoin d’être l’enfant parfait qui se manifeste. Ce besoin de compenser. De réaliser pour deux. Parce que parfois, Adam, son grand frère, crie, hurle à sa mère qu’elle n’est pas son amie et qu’elle est méchante quand elle lui dit simplement d’attendre un peu pour regarder la télévision. Parfois, Adam lèche le sol et les murs. Alors, Ibrahim, lui, ne fait pas de vagues.

Ce que tu décris là, sans le savoir, c’est ce qu’on appelle en Belgique un aidant proche. Ces personnes qui apportent une aide régulière à un proche en perte d’autonomie. Ils sont 12 % dans le royaume.

Certains enfants choisissent l’hypernormalité, d’autres la perfection. Ibrahim a fait son choix. Est-ce qu’il se confie à toi aux ateliers Fratriha? Quand tout est prévu par Maelle, la psychologue, pour vous accueillir? Quand il sait que tout ce qui se passe et se dit chez Fratriha reste chez Fratriha? Est-ce qu’il te parle de son père qui dit oui, parce qu’il est 17 h 30 et qu’il est encore en télétravail, quand sa maman dit non, parce qu’il faut quand même mettre des limites à son temps d’écran? C’est pour ça qu’elle l’y a emmené. Pour qu’il puisse se confier. Plus qu’il ne se confie à ses parents. Plus qu’il ne se confie aux amis de sa nouvelle école, qui ne savent même pas pour l’autisme de son grand frère. En tout cas, lui, il ne leur a rien dit. Ce n’est pas de la honte. Il réfléchit. C’est peut-être la peur qu’on se moque de son frère? Il réfléchit encore deux secondes, mais passe vite à autre chose. Syndrome de Bob l’éponge oblige. Souviens-toi.

Le Covid l’a confirmé. Combien de parents emportés par l’épidémie ont laissé des enfants démunis, impuissants et en détresse totale face aux handicaps d’un frère ou d’une sœur ? Incapables même de savoir où trouver une nouvelle chaise roulante ?

Même pour les adultes, la situation est difficile. Et parfois, sa mère lui parle de ce qu’elle, elle ressent. Si elle veut encourager son fils à libérer la parole, elle doit être la première à le faire. Elle a encore du mal à le croire. Que l’état d’Adam est définitif. Qu’il sera toujours comme ça. Que c’est la volonté de Dieu. Elle lui parle aussi de l’avenir. Avec des mots d’enfant certes, mais elle en parle quand même. Ça, tu connais Melyna. Tu en parles aussi avec ta maman. Il vaut mieux anticiper.

«Qu’est-ce qui va se passer quand je ne serai plus là, Melyna?»

«Il va un peu s’occuper de lui, mais je vais venir des fois.»

Ce que tu décris là, sans le savoir, c’est ce qu’on appelle en Belgique un aidant proche. Ces personnes qui apportent une aide régulière à un proche en perte d’autonomie. Ils sont 12% dans le royaume. Et ils ont accès à un congé de trois mois si une reconnaissance légale leur est accordée. Un mois à temps plein. Deux à temps partiel. C’est rare. De déjà aborder l’avenir avec ses parents. Najoua Batis, la psychologue de Fratriha l’a vu. Le Covid l’a confirmé. Combien de parents emportés par l’épidémie ont laissé des enfants démunis, impuissants et en détresse totale face aux handicaps d’un frère ou d’une sœur? Incapables même de savoir où trouver une nouvelle chaise roulante. «Les parents doivent penser à l’après-parent parce qu’ils ne sont pas éternels et les informations autour du handicap ne sont pas faciles à obtenir.»

Sois-en sûre, Melyna, la culpabilité fera partie du voyage. À chaque instant, elle sera ta compagne.

Mais tout ça, ce sera pour plus tard. Et sois-en sûre, Melyna, la culpabilité fera partie du voyage. À chaque instant, elle sera ta compagne. Peut-être culpabiliseras-tu d’en avoir marre de prendre soin des autres? Ou de toutes ces choses que ta santé te permettra de faire et qui ne lui seront pas accessibles? Tu culpabiliseras peut-être un jour de le placer dans un institut spécialisé ou même simplement de lui prendre une aide pour ses soins. Peut-être penseras-tu à lui au moment de choisir ton compagnon. Mais lâche prise, Melyna. À 8 ans, tu as toute une vie à vivre, tant de gens à rencontrer. Tellement d’endroits à visiter. Un tas de galaxies et d’étoiles à dessiner. À l’encre bleue sur du papier orange.

Des élèves aidants

Pour l’octroi de droits sociaux, l’aidant proche ainsi que la personne aidée doivent répondre à plusieurs critères. L’aide continue et régulière que fournit le premier doit être équivalente à au moins 50 heures par mois ou 600 heures par an. La personne aidée ne peut résider ni dans un établissement pour personnes handicapées ni dans une maison de repos. La dernière étude menée par l’asbl «Jeune Aidant proche» date de 2017. Elle a mis en évidence que 14,7% des élèves des écoles secondaires bruxelloises se considèrent comme aidants. Ils n’ont pas tous de statut légal, mais côtoient le handicap et aident régulièrement. L’antenne liégeoise parle de 20% des élèves des écoles secondaires de la province en 2023.

L’allocation majorée

À Bruxelles, 256.794 enfants de moins de 18 ans ont droit à une allocation majorée, ce supplément aux allocations familiales ordinaires octroyé par IrisCare. Pour calculer le montant, un médecin du CEAH – le Centre d’évaluation de l’autonomie et du handicap – attribue des points en fonction de trois piliers. Les suppléments viennent s’ajouter aux allocations familiales de base dont l’enfant est bénéficiaire. Les montants varient entre 102,42 € et 682,74 €. Plus le handicap crée de la dépendance, plus le montant sera élevé, jusqu’à ses 21 ans. Passé ce délai, il peut se voir octroyer un revenu d’intégration et une allocation de remplacement de revenus pour compenser celui que son handicap l’empêche d’acquérir.

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