By the name of Tania aborde le thème de l’exploitation sexuelle des mineures au Pérou. Un film entre le documentaire et la fiction qu’on éprouve dans sa chair.
C’est au cœur des zones aurifères que Bénédicte Liénard et Mary Jiménez ont posé leur caméra pour leur nouveau film, entre les mines d’or et les bordels. Là où la nature est pillée et les corps sont exploités. «Pendant le tournage de notre film Sobre Las Brasas en Amazonie, on entendait beaucoup parler du mythe de la poule d’or dont on ouvrait les entrailles. Le fantasme de la richesse facile était là, tout le temps. Ensuite, nous avons rencontré un journaliste à Lima qui avait été chercheur d’or. Il nous a raconté s’être dit un jour en sortant de l’eau ‘Si je ne pars pas maintenant, je vais mourir’. Il s’est enfui, s’est rendu dans le bordel pour proposer à la fille dont il était amoureux de se sauver avec elle, mais elle a refusé, car elle était endettée. Son témoignage relate le quotidien de tant d’autres hommes, addicts à l’or et au sexe, mus par un désir de richesse et rois du bordel où ils dépensent tout l’argent gagné», expliquent les réalisatrices.
Une voix off guide le film. C’est le récit en «je» de Tania, mineure forcée à se prostituer, écrit à partir de multiples témoignages réels d’adolescentes. Des documents précieux reçus par le brigadier Vasquez (personnage du film) à Iquitos, qui démantèle les réseaux de traite. «Il nous a fait confiance et nous a donné une clé USB contenant les dépositions d’une trentaine de filles qui ont pu s’échapper. C’est en écoutant tous ces témoignages qu’on a donné naissance à Tania.» Tania évoque les étapes qui l’ont conduite à perdre son identité. «Ce n’est plus mon corps», répète-t-elle plusieurs fois. «On a voulu mettre en scène le processus de déshumanisation d’une esclave à l’intérieur d’un système d’exploitation», commentent les réalisatrices.
Pour incarner Tania, elles ont évité de choisir une victime de la traite, mais ont aussi mis de côté l’idée d’une actrice choisie sur casting, sans lien avec la réalité de ces filles: «On a rencontré Lydia, qui joue Tania, dans un refuge pour jeunes filles victimes de prostitution et de violences sexuelles lors de nos repérages, et on l’a retrouvée ensuite quand elle avait 17 ans. Elle ne raconte pas son histoire mais l’histoire de Tania croise la sienne. Elle est à la fois actrice, témoin et sujet. Elle sait que tenir ce rôle, c’était aussi incarner d’autres femmes.»
On ne regarde pas ce film, on s’y plonge et s’y enfonce à mesure que Tania égrène les souvenirs de sa descente aux enfers. Bénédicte Liénard et Mary Jiménez parviennent à révéler l’horreur de la traite sans susciter le voyeurisme, à dévoiler (dénoncer?) l’exploitation sans tomber dans le piège de la démonstration. Une réussite que l’on doit à la qualité du récit de Tania, qui en dit juste assez, et à la puissance des images (de Virginie Surdej, récompensée au FIFF), qui n’en disent jamais trop, laissent la violence hors champ et font même surgir de la poésie d’une réalité dramatique.
By the name of Tania, documentaire de Mary Jiménez, Bénédicte Liénard, 84 min., coproduit par Dérives (Belgique), CBA (Belgique) et BALDR Film (Pays-Bas), Belgique, 2019. Sortie le 16 octobre.