Alors que plusieurs colloques et séances d’information se sont dès à présent tenus à Bruxelles sur la réforme du Code de la famille au Maroc,c’est dans une ambiance festive que le service AMO Jeunesse maghrébine1 lançait le samedi 11 février dernier, une campagne d’information, desensibilisation et de débat autour de la « Moudawana ». Ainsi, à travers le slogan « Les Saveurs de l’égalité », le texte juridique de laréforme du Code de la famille marocain (mis en œuvre en 2003 au Maroc) sera expliqué à nombre de jeunes femmes et femmes d’origine marocaine et de Marocaines vivantsur le territoire belge.
Les Saveurs de l’égalité trouvera ensuite son prolongement dans une vaste campagne d’information et de sensibilisation dans les écoles, les associations et lesplannings familiaux. Des dessins didactiques et un spectacle humoristique spécialement conçus par Zidani et l’acteur Ben Hamidou pour l’événement plaideront lacause de la Moudawana. C’est que, s’il faut aborder un sujet aussi sérieux que délicat, autant y mettre le sel de l’humour.
Selon Chantal Massaer, directrice de Jeunesse maghrébine, le texte fait « progresser de manière incontestable l’égalité homme-femme, tant au plan juridiquequ’au plan symbolique, au Maroc ». Mais pas uniquement là, puisque, en vertu du « Code de droit international privé »2, ce sont des milliers de jeunesfemmes et femmes (belgo-)marocaines qui pourront en bénéficier dans toute une série d’aspects de leur vie de couple et familiale. Passons les principaux points enrevue.
Innovations majeures ou révolution ?
Tout d’abord, la « tutelle matrimoniale » (wilaya) ne peut désormais plus être imposée d’office. En résumant, explique l’association, ils’agit d’une « institution qui pouvait se résumer dans l’idée que la femme ne pouvait exprimer elle-même son consentement au mariage. Il fallait passer parun mandataire. Ce mandataire était obligatoirement un homme ». Désormais, « la femme pourra, dès sa majorité, être maîtresse de ses choix, exercersa propre volonté et son libre consentement (…), même si – précise-t-on – pour certaines familles, les mentalités seront sans doute longue àévoluer, en théorie, les femmes ont maintenant la force de la loi pour elles ». Finis, en principe, les mariages arrangés ou forcés. Quant à larépudiation (l’homme a la possibilité de renvoyer son épouse de façon légale et unilatérale), elle ne se trouve pas abolie mais limitée,c’est-à-dire judiciarisée. Elle est encadrée par des lois pour protéger la situation sociale des femmes. En cas de répudiation, des compensationsfinancières sont dès lors obligatoires, dans le but d’éviter que les hommes abusent de leur « droit de répudiation ».
Quant à la polygamie, « elle est interdite lorsqu’une injustice est à craindre envers les épouses », dit le texte. Ainsi, bien qu’elle perdure, dansles faits elle est rendue pratiquement impossible. Autre changement de taille : la fin de l’obligation d’obéissance de la femme envers son mari : « Pour tout ce qui toucheà la vie du couple, les époux sont donc maintenant considérés comme partenaires égaux. » Avec pour corollaire que « la gestion des affaires familiales» sont une « obligation commune des deux époux ». Théoriquement, il y a égalité pour l’âge du mariage. Pour une jeune femme,l’âge est désormais de 18 ans minimum (au lieu de 15 auparavant), déjà obligatoire pour le jeune homme. Reste que des exceptions sont envisageables et que « lapossibilité d’interprétation subjective de la part du juge » est réelle. Quant aux « mariages mixtes », ils sont toujours restreints du côtédes femmes puisqu’elles doivent obligatoirement épouser un musulman. Les hommes, s’ils veulent, peuvent étendre leur choix aux « gens du Livre » (musulmane,juive ou chrétienne).
Limites du texte
Malgré l’enthousiasme considérable que génère ce bouleversement juridique, il importera qu’il soit appliqué et que, au Maroc, les femmes aient lacapacité de faire valoir leurs nouveaux acquis dans un meilleur accès au savoir et à l’éducation grâce à l’amélioration du tauxd’alphabétisation. C’est ainsi que les organisateurs de la journée remarquaient qu’une des limites de la Moudawana venait du fait qu’elle « limitait» ou balisait certaines pratiques, sans pour autant les abolir totalement. Le chemin vers l’égalité totale reste encore long. Mais, de l’avis des femmesd’associations féminines marocaines et belges ainsi que des autorités politiques, il s’agit d’un sérieux pas dans la bonne direction.
Son application en Belgique
Pour l’heure, il fallait encore que ces nouvelles règles puissent être transposées et appliquées en droit belge. La chose est rendue possible depuis la mise enroute du « Code international de droit privé » 2, entré en vigueur le 1er octobre 2004. Lequel « détermine les conditions dans lesquellesune décision judiciaire étrangère ou un acte authentique étranger peut recevoir effet en Belgique » 3, soit auprès d’un officier del’état civil, soit devant un juge. Dans le but d’informer tant les citoyens que les travailleurs de terrain concernés par des problématiques relevant de la «confrontation » entre codes juridiques étrangers et belges, des « points d’appui juridiques» sont en création4 (cf. à ce propos, l’article surce sujet dans le même n°).
1. Jeunesse Maghrébine AMO, bd Barthélémy, 35 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 218 27 27 – jmamoasbl@hotmail.com – contact : Chantal Massaer.
2. Pour les personnes qui souhaitent approfondir, lire : Le Code marocain de la famille. Incidences au regard du droit international privé en Europe , Marie-Claire Foblets &Jean-Yves Carlier, éd. Bruylant, Bruxelles, 2005, 400 p, 35 €
3. Voir ici : www.notaire.be
4. Auprès de l’Association pour le droit des étrangers (ADDE), rue de Laeken, 89 à 1000 Bruxelles – tél. :02 227 97 51 – helene.englert@adde.be