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La participation à toutes les sauces

Cela a bougé sur le front de la participation citoyenne ces derniers mois. La Wallonie a des ambitions, via sa déclaration de politique régionale. Et à Bruxelles, des commissions mixtes citoyens/parlementaire vont voir le jour. L’occasion de revenir sur la production – riche – d’Alter Échos dans la domaine.

© Benoît Gréant

Cela a bougé sur le front de la participation citoyenne ces derniers mois. La Wallonie a des ambitions, via sa déclaration de politique régionale. Et à Bruxelles, des commissions mixtes citoyens/parlementaires vont voir le jour. L’occasion de revenir sur la production – riche – d’Alter Échos dans le domaine.

Il ne se passe plus une législature sans qu’une initiative vienne proposer un peu plus de participation des citoyens dans le processus de décision politique. Aux dernières nouvelles belges dans ce domaine, c’est en Wallonie et à Bruxelles que les choses bougent tout doucement. La déclaration de politique régionale wallonne prévoit en effet la création d’une assemblée citoyenne du futur, composée d’élus et de citoyens tirés au sort sur la base d’une méthodologie universitaire garantissant la représentativité du panel. Cette assemblée aurait pour rôle de réfléchir aux enjeux de long terme, dépassant largement le cadre d’une législature.

Plus limitée dans le temps, la déclaration prévoit aussi la création de commissions parlementaires mixtes composées d’élus et de citoyens tirés au sort qui siégeraient pour une période limitée. Une étape que Bruxelles vient de franchir en avalisant fin 2019 la création de commissions réunissant 45 citoyens tirés au sort et 15 députés. Elles débattront d’une thématique, suggérée par 1.000 citoyens ou par le Parlement, avant de formuler des recommandations…

«On sent bien qu’il existe dans la population une insatisfaction par rapport au système démocratique, jugé lent et inefficace.» Jean Faniel, dans Alter Échos, avril 2019.

Mais pourquoi tant d’enthousiasme pour la participation? En septembre 2015 déjà, Olivier Bailly notait dans nos pages qu’«à parcourir la littérature sur le sujet, la participation n’aurait jamais été autant réclamée. Pour le politologue français Loïc Blondiaux, cette tendance s’expliquerait par le profil de nos sociétés, de plus en plus complexes, divisées, réflexives, indociles, défiantes et… ingouvernables. À cette longue liste de raisons s’ajoute l’affaiblissement des relais entre citoyens et politique. L’homme de la rue, individualiste, se retrouverait de moins en moins dans les partis politiques, les syndicats, les associations diverses et veut dialoguer directement avec le pouvoir» (relire notre dossier «La participation, piège à cons?», AE 409, septembre 2015).

Court-circuité…

Il n’y a pas qu’à Bruxelles et en Wallonie que les choses bougent. Du côté de la Communauté germanophone, le parlement a voté le 25 février 2019 un décret institutionnalisant un modèle délibératif permanent d’assemblées citoyennes. Les assemblées de citoyens siégeront «à côté» de l’assemblée parlementaire. Ce qui ne veut pas dire qu’elles serviront à décorer. «Les assemblées citoyennes gardent un caractère consultatif comme ailleurs. Mais le décret oblige aussi les députés et les ministres à réagir et à rendre des comptes sur toutes les propositions des panélistes. Tout rejet demande justification et ‘il y aura une certaine pression sur le ou la ministre s’il ou elle ne prend pas en compte une recommandation des citoyens’», précise Christophe Niessen – NDLR: chercheur à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), écrit Alix Dehin en 3 mai 2019 (Lire: «Le tirage au sort: une solution face à la crise de nos démocraties représentatives?», AE 473, mai 2019).

«L’homme de la rue, individualiste, se retrouverait de moins en moins dans les partis politiques, les syndicats, les associations diverses et veut dialoguer directement avec le pouvoir.» Olivier Bailly citant Loïc Blondiaux, politologue, dans Alter Échos.

La précision vaut la peine d’être écrite. Car, dès lors que l’on parle de consultation de citoyens, le risque de «participation washing» pointe à l’horizon. Voire pire… En septembre 2015 déjà, Cédric Vallet pointait dans un dossier que nous avions consacré à la participation les risques de contournement de ce type de dispositif par les pouvoirs publics eux-mêmes. Dans un article consacré aux consultations populaires, il se faisait l’écho d’une lutte ayant opposé un collectif namurois au bourgmestre Maxime Prévot à propos de la construction d’un vaste centre commercial. Opposé au projet, le collectif avait dépassé le seuil de 10% de signatures nécessaires à la tenue d’une consultation populaire. Mais «alors que le seuil des 10% de signatures nécessaires à l’organisation de la consultation est atteint, le conseil communal de Namur décide de lancer sa propre consultation au sujet du centre commercial, devançant ainsi la demande officielle du collectif. Notre mouvement était court-circuité», explique Marcel Guillaume (NDLR: le porte-parole du mouvement) (Lire «Des consultations pas si populaires que ça», AE 409, septembre 2015).

Quant aux citoyens eux-mêmes, comment être sûr qu’ils prendront une décision éclairée? Comment être sûr qu’ils ne seront pas en proie à des tentations douteuses? Ce questionnement traverse l’ensemble des travaux dans ce domaine. Dans un article publié dans le même dossier, Marinette Mormont s’était penchée sur des consultations de citoyens menées à l’initiative de l’Inami, du centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) et de la Fondation Roi Baudouin. But de l’opération: «Déterminer les préférences de citoyens en matière de remboursement des soins.» Commentant le projet, le docteur Jacques De Tœuf, président de l’Absym, l’association belge des syndicats médicaux, notait «que, oui, une organisation de patients a son mot à dire sur une politique de santé. Nous avons tout intérêt à sortir de notre tour d’ivoire. Mais si c’est pour s’entendre dire ‘Il faut soigner cette personne qui a deux mois d’espérance de vie avec un traitement qui coûte très cher et, en contrepartie, devoir fermer des lits dans un hôpital pédiatrique’, il y a des limites à l’exercice. Tout le monde vient avec ses émotions, c’est délicat» (Lire: «Remboursement des soins: place au citoyen», AE 409, septembre 2015).

En finir ou repartir

Très conscient de l’enjeu, Arnaud Bilande, de l’asbl Periferia – une structure habituée à accompagner de nombreux processus participatifs –, posait d’ailleurs la question, tout en y répondant, lors d’une interview publiée dans nos pages en 2015. «Cela dit, un débat amène-t-il forcément des solutions de qualité? C’est une prise de risque, mais elle en vaut la peine.» Pourquoi? Parce que, d’après Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp), «on sent bien qu’il existe dans la population une insatisfaction par rapport au système démocratique, jugé lent et inefficace», écrivait Martine Vandemeulebroucke dans notre numéro du 17 avril 2019 pour un article intitulé «Quels remèdes pour fortifier notre Constitution?» «Deux réactions sont possibles. Soit une démotivation avec des électeurs qui ne vont plus voter ou votent pour des partis qui veulent rompre avec la démocratie. Soit on repense la démocratie en développant la participation citoyenne. On peut aller plus loin qu’actuellement, avec des consultations populaires fréquentes ou des référendums qui seraient décisionnels. Le constat de départ est le même: on est dans un modèle à bout de souffle», continuait Jean Faniel. Avant que Martine Vandemeulebroucke ne relaie les propos d’Hugues Dumont, professeur de droit constitutionnel à Saint-Louis, qui «pense qu’il faudrait ‘oser le débat’ sur l’avenir de l’État belge, même s’il risque de faire éclater le pays. Il propose de mettre en place une enceinte composée d’élus pour discuter soit de la bonne manière de mettre fin à l’État belge, soit de reconstituer celui-ci avec une nouvelle Constitution. Bref, lever tous les tabous». Rien que ça…

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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