Des mesures pour restreindre la mendicité sont prises un peu partout en Europe, même dans les pays où cette pratique est autorisée par la loi. Dans les pays scandinaves, les mendiants risqueront bientôt la prison. Florilège.
C’est une mesure qui fait polémique. En juin, la Norvège a décidé d’interdire la mendicité dans les lieux publics. Le texte, présenté par le gouvernement de droite, permet aux communes de la prohiber depuis l’été 2014. Il pourra être étendu à tout le pays en 2015… Le pays scandinave rétablit, en fait, une interdiction levée en 2005. À l’époque, le gouvernement de l’ex-Premier ministre social-démocrate Jens Stoltenberg estimait qu’il valait mieux avoir recours à une politique sociale plutôt qu’à une politique sécuritaire. Désormais, la mendicité sera passible d’une amende et d’une peine allant jusqu’à trois ans prison.
Pour justifier ce retour en arrière, le ministre de la Justice, Anders Anundsen, issu des rangs de la droite populiste anti-immigration, avance qu’«aucun Norvégien ne devrait avoir besoin de mendier pour survivre». Il assure que des mesures viendront en aide à ceux qui se trouveront dans le besoin. Mais quid des non-Norvégiens, et notamment des Roms, pour lesquels il n’y a pas de possibilité d’emploi? Le gouvernement promet de les aider, mais chez eux, pas en Norvège, en finançant des programmes dans leurs pays d’origine. Approuvée par une majorité de l’opinion publique, cette interdiction risque pourtant d’avoir des effets pervers, selon plusieurs associations. Les personnes qui jusqu’ici mendiaient «seront contraintes de se tourner davantage vers la délinquance», déplore Arild Knutsen, président d’une association de toxicomanes.
À quelques kilomètres d’Oslo, en Suède, la présence massive de mendiants réussit aussi à troubler les consciences d’une population imprégnée d’éthique luthérienne. Ici, pas de loi anti-mendicité, contrairement à la Norvège. Mais d’évidentes tentations. Le principal parti d’extrême droite suédois, Sverigedemokraterna, propose depuis près d’un an d’interdire la mendicité aux étrangers, sous peine de prison et d’interdiction du territoire. Au printemps 2014, lors de la campagne des européennes, ce parti a habilement exploité le sujet au moyen d’une campagne anti-Roms qui ne disait pas son nom. Dans le métro, sur des placards de 4 mètres sur 3, on lisait: «Stop à la mendicité organisée», rapporte le quotidien Dagens Nyheter. Sous-entendu: les Roms et les mafias de l’Est ne font qu’un. Jouant sur la peur des Suédois de devoir renoncer à leur modèle social généreux et sur le coût des prestations sociales pour les nouveaux arrivants, les démocrates de Suède ont récolté 13% des suffrages aux parlementaires de septembre, devenant la troisième formation du pays.
Une mode par contagion?
Une ligne vient donc d’être franchie. Mais la Norvège n’est pas un cas isolé, puisque d’autres pays européens interdisent déjà la mendicité au niveau local, voire national. C’est le cas du Danemark, mais aussi de la Grande-Bretagne où la mendicité est théoriquement interdite depuis 1824 (Vagrancy Act), mais pas punie par une peine d’emprisonnement. «Les pays profitent du vide juridique de l’Union européenne en matière de mendicité. Mise à part la loi sur la liberté de circulation des individus, rien n’empêche vraiment les États de l’interdire, relève l’ONG Human Rights Watch. La pénalisation peut aller de travaux d’intérêt général… à la peine de prison en cas de récidive.»
En France, la mendicité n’est plus un délit depuis 1994, mais de nouveaux arrêtés anti-mendicité, anti-bivouac, anti-glanage fleurissent dans certaines communes… À Paris, trois arrêtés anti-mendicité avaient été signés en 2011, sur les secteurs des Champs-Élysées, des Grands Magasins et du Louvre. Jugés inefficaces, ils n’avaient pas été reconduits en 2012. Mais une nouvelle décision de ce genre a été prise en avril dernier par le maire UMP d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, ciblant six zones de la commune, dont celle de la gare. L’objectif: décourager les quêteurs insistants, jugés «agressifs», en les exposant à des amendes. Le premier arrêté ayant expiré le 30 septembre, le dispositif vient d’être reconduit jusqu’au 30 juin 2015. Une seule donnée quantifiable existe, c’est le nombre d’amendes distribuées par la police locale: 53 verbalisations en l’espace de cinq mois, ainsi qu’«une centaine de constatations».
Durcissements à droite
Les Espagnols, eux, préfèrent tout miser sur une amende élevée. La mairie de Madrid, très à droite sur l’échiquier politique espagnol, s’est ainsi distinguée en proposant une ordonnance de «convivialité» citoyenne. Depuis 2014, la commune dresse des procès-verbaux de 750 euros à tous les sans-abri, rapporte El Pais. Elle prévoit des amendes de 1.500 euros pour tout individu qui entreprend de nettoyer le pare-brise d’un automobiliste et 3.000 euros s’il tend la main aux passants. Mais c’est, sans surprise, en Hongrie que la criminalisation de la pauvreté atteint des sommets. Dans ce pays qui compte près de 30.000 sans-abri, on peut déjà mettre en prison toute personne qui cherche de la nourriture dans les poubelles. Depuis 2010, le gouvernement de Viktor Orban s’est pourtant décidé à durcir la lutte contre la pauvreté visible. Et ce, jusqu’à modifier la Constitution hongroise, afin d’interdire aux personnes de dormir ou de mendier dans les «zones urbaines touristiques». Laissant, toutefois, aux forces de l’ordre le soin d’apprécier la définition exacte de ce terme.
En Suisse, la mendicité a été mise au pilori par l’article 11A de la Loi pénale genevoise, entrée en vigueur en janvier 2008. Depuis, l’idée de coller des amendes aux personnes qui tendent la main a séduit toute la Suisse romande, à l’exception du Jura. Ainsi, dans la ville de Lausanne, un règlement restreint la mendicité depuis mai 2013. Celle-ci est exclue des transports, des marchés, des parcs, des cimetières et à moins de 5 mètres des distributeurs de billets. Au total, pas moins de 25 communes vaudoises ont adopté cette politique. Pourtant, la mendicité à Lausanne est peu organisée, selon une étude universitaire menée par les sociologues Jean-Pierre Tabin et René Knüsel. La synthèse de ce travail montre qu’entre 50 et 60 personnes seulement mendient à Lausanne. «Cette activité est pratiquée par des groupes familiaux pour la plupart originaires de Roumanie, mais aussi de Hongrie et de Slovaquie», observe Jean-Pierre Tabin. Et d’insister: «La mendicité est transitoire, l’objectif étant de trouver un emploi. Mais depuis 2008, l’argumentaire n’a pas bougé. Nous sommes toujours en train de différencier les bons des mauvais pauvres, les nôtres et les autres toujours accusés de s’enrichir et de travestir leur véritable situation.» Au-delà des clivages politiques, cette loi est surtout jugée peu efficace et coûteuse. «Chaque fois qu’un mendiant conteste son amende, jusqu’à dix fonctionnaires sont mobilisés», relève le quotidien La Tribune de Genève.