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La pauvreté, un fait d’hiver ?

Ce 21 octobre, le CPAS de Bruxelles organisait à Bruxelles un colloque intitulé « La pauvreté, un fait d’hiver ? Pratiques de la pauvreté urbaine ».Réunissant autour du sujet quatre chercheurs d’universités belges, le colloque souhaitait interpeller notre système de protection sociale, censé êtrel’un des plus performants au monde.

28-10-2005 Alter Échos n° 196

Ce 21 octobre, le CPAS de Bruxelles organisait à Bruxelles un colloque intitulé « La pauvreté, un fait d’hiver ? Pratiques de la pauvreté urbaine ».Réunissant autour du sujet quatre chercheurs d’universités belges, le colloque souhaitait interpeller notre système de protection sociale, censé êtrel’un des plus performants au monde.

Le programme des Nations unies pour le développement (Pnud) a en effet classé la Belgique au 6e rang mondial dans son rapport annuel sur le développement humain. Etpourtant, comme l’a rappelé Yvan Mayeur, président du CPAS de Bruxelles, notre pays compte aujourd’hui 460.000 chômeurs complets indemnisés, auxquels il fautajouter les « working poors », c’est à-dire les travailleurs obligés d’accepter des emplois précaires, des temps partiels involontaires, ou encore, un statut defaux indépendant. Treize pour cent des Belges vivent sous le seuil de la pauvreté (780 euros par mois). À Bruxelles, le nombre de personnes dépendant du CPAS est enconstante augmentation, ce qui oblige le service social à s’interroger sur son rôle et à développer de nouveaux services (recherche d’emploi, delogement…).

« Notre avenir ne sera pas rose », prévient d’emblée Yvan Mayeur, qui prévoit pour l’action sociale cinq formes d’évolution :
• le public des CPAS va se diversifier ; il n’y aura plus de profil type du pauvre, mais des profils socioculturels des plus divers, auxquels il faudra adapter la réponsesociale;
• des catégories entières de la population seront « larguées » (les jeunes, les vieux…);
• un public de plus en plus international vient frapper à la porte des CPAS;
• les services publics sont remis en cause (même les services sociaux);
• le modèle libéral contemporain a choisi de maximaliser les profits, sans prendre en charge les situations qu’il produit (chômage, pauvreté).

À partir de ces constats, Yvan Mayeur s’interroge sur les possibilités de travailler dans de telles conditions. Il regrette la forme d’assistanat que revêtl’aide sociale aujourd’hui. « Le concept doit être celui de l’émancipation sociale. Les individus doivent recevoir les moyens de vivre en autonomie pourqu’ils puissent s’épanouir. L’épanouissement doit reposer sur des critères sociaux (santé) et économiques (travail). Mais aussi sur descritères culturels (enseignement, formation), écologiques (dans le sens de « durable », l’action ne doit pas être à court terme), et politique (lespauvres doivent être considérés comme des citoyens ayant le droit d’exprimer leurs revendications au travers d’associations structurées). »

Le quartier des Marolles, un mini-laboratoire de diversité

Face à cette diversité sociale et culturelle, il était intéressant d’étudier la situation des Marolles, un quartier au cœur de Bruxelles où secôtoient vieux Belges et générations d’immigrants, sans-abri et jeunes yuppies. Henk Meert, chercheur à l’Institut de géographie économique etsociale de la KUL, y a mené une étude sur « L’approche territoriale de la pauvreté ». Il s’est penché sur les pratiques de solidarité qui sedéveloppent dans notre société urbaine, et parle de « culture revanchiste », qu’il définit comme une réaction violente contre des groupes enminorité dans la société (sans-abri, personnes étrangères, homosexuels…). Il a interrogé de façon approfondie 45 habitants des Marolles pourconnaître leurs attitudes vis-à-vis des sans-abri qui errent dans le quartier. Si les jeunes ménages aisés sont les plus tolérants (bien qu’ils restent passifsface au problème de la pauvreté), la plupart des autres intervenants ne sont solidaires qu’à certaines conditions. C’est le cas des « anciens » commerceset des bureaux de logements sociaux, par exemple. Les nouveaux commerces (plus chics) considèrent cette pauvreté comme un élément gênant pour leurdéveloppement économique. Arrivent alors les « éliminateurs », pour qui les sans-abri n’ont plus leur place dans le quartier : ce sont les services desécurité et les gardiens privés qui chassent les sans-abri hors de la gare du Midi. « La solidarité est de plus en plus complexe et conditionnelle », conclutHenk Meert. « Face aux gênes causées dans les espaces publics, la discipline urbaine répond par l’exclusion. »

Le travail social territorialisé

Le colloque fut également l’occasion de réfléchir à l’origine de la politique sociale. Mejed Hamzaoui, chargé de cours à l’Institut dessciences du travail de l’ULB, a rappelé que la question ouvrière du début du XXe siècle était liée aux conditions du travail (et nonà l’absence de travail). « Depuis 1980, la nouvelle question sociale ne s’inscrit plus dans la logique du travail. » C’est aussi à cette époque quele travail social s’est territorialisé, les problèmes sociaux devant être traités sur un plan local. Pour Mejed Hamzaoui, l’action sociale estterritorialisée de façon (trop) systématique. « L’aide doit cibler certains quartiers, certains publics… La mise en place d’une telle politique socialeest discriminante. En outre, certaines questions, comme celle du chômage, ne peuvent être territorialisées. Face à la mondialisation des marchés économiques,comment traiter la fermeture de l’usine de Renault Vilvorde uniquement sur un plan local ? », interroge Mejed Hamzaoui.

Il s’inquiète également des outils proposés aux travailleurs sociaux pour gérer l’aide sociale de proximité. « Ces nouveaux outils sont de typemanagérial, empruntés au monde de l’entreprise. » Que penser de la mise en place de l’implication des usagers, ou du récit de vie ? «Jusqu’où peut-on aller dans le déballage de la vie intime ? Souvent, la seule demande est un emploi. C’est une manière bizarre de faire du social sans respecter lesdroits de l’homme », conclut sévèrement Mejed Hamzaoui.

Le colloque a démontré, une fois encore, que les acteurs sociaux s’interrogent sur l’avenir de leur action. Le travail social doit inventer ses propres outils,développer de nouveaux services, s’adapter à un public toujours plus nombreux et diversifié… Face au virage libéral de notre société, les chercheursont insisté pour redéfinir l’aide sociale et restructurer les services de solidarité. « Il faut interpeller le service public, le critiquer, mais pas ledétruire », a conclu Yvan Mayeur.

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