Différentes manières de se former à l’agriculture existent en Wallonie. Chacune semble avoir sa philosophie. Mais, au final, ce sont souvent les mêmes questions qui reviennent sur la table.
L’endroit a des allures de carte postale. Aux limites d’un village perdu, quelques bâtiments reposent dans un petit vallon, inondés de soleil. Près de la bâtisse principale, un arbre se balance doucement. L’ombre de ses branches balayées par le vent sert de refuge à quelques chiots, presque de grosses peluches, le temps d’un petit roupillon. À peine sont-ils dérangés par le chant du coq ou le bruit plus insistant d’un bélier en train de passer ses nerfs sur la végétation environnante. Nous sommes à la Chèvrerie du Moulin du Wez, située à Mierchamps, dans la province de Luxembourg. Et pour peu on s’attendrait à voir débarquer Laura Ingalls et ses tresses.
Être agriculteur, ce n’est pas facile
En lieu et place de Laura, c’est Margot qui accueille le visiteur. Son père, Bernard Moreau, est l’homme par qui tout a commencé. En 1982, il s’installa dans cette ferme pour y produire des fromages de chèvre bio. Il y a cinq ans, il se lança aussi dans le maraîchage. En ce début d’après-midi, il est d’ailleurs occupé «en haut», à quelques centaines de mètres de là, près de ses légumes et de ses fruits.
Pourtant, Margot n’est pas seule. D’autres personnes, plutôt jeunes, s’activent autour d’une table à la préparation du dîner. Toutes et tous sont là pour une raison bien précise: se mettre en contact avec les métiers de la ferme. La Chèvrerie du moulin du Wez est en effet une des quatre fermes-écoles mises sur pied progressivement par le MAP (Mouvement d’action paysanne) depuis 2001. Elles font partie de ce qu’on appelle l’École paysanne indépendante.
Dans peu de temps, deux ou trois nouvelles fermes-écoles devraient voir le jour. Leur objectif est simple: accueillir, le temps d’une saison (de mars à novembre), des apprenants en immersion un jour ou deux par semaine. Car si on parle de fermes-écoles, un détail a tout de même son importance: il s’agit avant tout de fermes qui, un jour, ont décidé d’accueillir des apprenants. Lorsque ces derniers ne sont pas présents, elles continuent de vaquer à leurs occupations. Des occupations placées sous le signe d’une certaine philosophie: souveraineté alimentaire, agroécologie, autonomie alimentaire et énergétique. Le tout chapeauté par une vision que Bernard Moreau a faite sienne par le biais d’une devise: «Small is beautiful.» Sa ferme ne fait en effet que 10 hectares. «Tous les agriculteurs veulent s’agrandir, ce qui n’est pas forcément bien, explique -t-il. Moi je voulais que cette ferme soit maîtrisable. L’École paysanne indépendante entend d’ailleurs promouvoir cette petite agriculture familiale, peu exigeante en termes d’intrants. Nous essayons d’aller vers l’autosuffisance dans la limite des moyens humains et des surfaces disponibles.» D’après notre homme, il est d’ailleurs possible de «faire petit» et de s’en sortir financièrement. «Il faut produire des biens que l’on peut proposer à manger, pas que des céréales ou du lait. C’est possible parce qu’il existe aujourd’hui des gens qui ont pris conscience qu’il fallait accompagner ce genre de démarche. C’est une donnée nouvelle», explique-t-il. La ferme fonctionne d’ailleurs à l’aune de cette philosophie. Le lait des chèvres – au nombre de cinquante – est produit, récolté et transformé en fromage à la ferme. Ce dernier y est aussi vendu, de même que sur des marchés. Idem pour les légumes et les quelques fruits. «Le maraîchage permet une grande valeur ajoutée sur une petite surface. Mais il faut beaucoup de travail, de matériel», prévient Bernard Moreau.
La formation dispensée au sein de la ferme-école entend d’ailleurs mettre les apprenants en face des réalités: être agriculteur, ce n’est pas facile. Une fois les livres de comptes ouverts, les apprenants s’en rendent d’ailleurs bien vite compte. Et restent assez réalistes. «Mon objectif, au début, c’est l’autonomie alimentaire, explique Johanne, l’une des apprenantes qui entend elle aussi se lancer dans le secteur de la chèvrerie. Je ne sais pas si vendre sera faisable au départ. Le discours actuel nous dit qu’il faut affronter le marché mondial. Je serais déjà heureuse si je peux affronter les trois villages autour de moi», lâche-t-elle en rigolant. Avant de lister ses futurs problèmes, d’ailleurs épinglés par tout le monde: difficultés d’accéder à la terre si l’on ne vient pas d’un milieu agricole, investissements de départ parfois importants, même pour de petites exploitations. Quand ce ne sont pas les banques qui, a contrario, rechignent à prêter de tout petits montants. «J’ai parfois l’impression que tout est fait pour faciliter les reprises de fermes par les gens du milieu», peste Johanne.
Parmi les apprenants à qui nous avons parlé, beaucoup n’étaient d’ailleurs pas issus de la paysannerie. Dans ce contexte, le compagnonnage et la vie en commun rencontrés dans les fermes-écoles semblent très importants. Et constituent un must pour des jeunes qui, pour beaucoup, sont en recherche. Comme Xavier, qui affirme avoir envie «d’autre chose». La vie en communauté à la ferme lui a en tout cas donné la chance de nouer des contacts. D’ici à deux ans, il entend lancer son projet – production de viande de chèvre – en habitat groupé avec deux autres apprenants rencontrés à la Chèvrerie du moulin du Wez. Un moyen pour lui de ne pas se retrouver «otage» de ses animaux, un autre des problèmes soulignés par beaucoup de monde.
Des chefs d’entreprise
Cap sur l’École provinciale d’agronomie et des sciences de Ciney. Au sein de cet établissement secondaire technique et professionnel, le tableau est bien différent. Plus jeunes, les étudiants sont aussi et surtout issus majoritairement – 90 % – de familles appartenant au milieu agricole, d’après Étienne Baijot, agronome de formation et professeur en phytotechnie. Dans ce contexte, la reprise de l’exploitation familiale constitue souvent un horizon tout tracé. Une situation qui pousse certains dans le secteur bio à affirmer que les jeunes «repreneurs» ont tendance à vouloir rester dans le sillon des pratiques de leurs parents, souvent caractérisées par de grosses exploitations «conventionnelles». Un cliché? Pas vraiment si l’on en croit Étienne Baijot. «En dessous de 80 hectares d’exploitation, il est difficile de trouver une repreneur», lance-t-il. Avant d’ajouter:
Pourtant, les cours dispensés tentent de faire comprendre aux élèves que «le métier évolue vite». Lors de leurs stages, les aspirants agriculteurs – pour la plupart inscrits en technique de qualification – sont amenés à effectuer une critique systématique des choix du maître de stage. Une sensibilisation à la possibilité de se diriger vers des exploitations plus petites, plus raisonnées est également effectuée. La formation se veut également aussi «intégrée» que possible. «Auparavant, les cours étaient donnés de manière relativement isolée et théorique, explique Étienne Baijot. Aujourd’hui, tous les professeurs se consultent et l’évaluation s’effectue de manière intégrée.» Et pour cause: être agriculteur demanderait de plus en plus de compétences. «La réglementation est de plus en plus lourde, il y a énormément de choses à gérer.» Parmi elles, un phénomène encore «marginal» mais en évolution: celui des ouvriers agricoles. Face à la taille grandissante des exploitations, mais aussi à l’envie des agriculteurs d’avoir une vie à côté de leur travail, ceux qui peuvent se le permettre sont de plus en plus tentés de chercher de l’aide en dehors du cercle familial. Une tendance qui a des implications sur la formation. «On doit aussi les former à la gestion des ressources humaines, aux stratégies d’investissement. Nous formons de véritables chefs d’entreprise», détaille le professeur. Des chefs d’entreprise de 18 ans qui se retrouvent souvent à devoir gérer des montants faramineux liés au coût du matériel ou de la reprise. Une sacrée pression. «Beaucoup d’exploitants craquent, finissent en burn-out, déplore Étienne Baijot. Surtout dans les élevages.»
À mi-temps?
Et si se lancer en gardant un autre travail d’appoint était la solution pour pallier ce problème de taille? C’est en tout cas cette option qu’ont prise Sophie Deger et Jonathan Rifon. Les deux tourtereaux sont aujourd’hui en phase de lancement du côté de Saint-Hubert, en province de Luxembourg. Leur créneau: l’élevage de moutons, de porcs et de volailles en bio. La transformation à la ferme d’une partie de la production est également au programme. Le tout en essayant de combiner cette activité avec une autre. Jonathan est ébéniste. Sophie, quant à elle, dispose de son agrégation.
Mais avant de commencer à rêver à leur future activité, il a fallu passer par la case «cours». Sophie et Jonathan n’ont en effet pas de diplôme en agriculture. Si la profession n’est pas protégée, «pour obtenir les aides à l’installation, il faut pouvoir justifier de certaines compétences, comme l’obtention du CESS agricole», explique Vanessa Martin, chargée de mission formation jeunesse à la Fugea. Lorsqu’ils ne peuvent pas justifier de ces compétences, les aspirants agriculteurs sont invités à passer par un des trois centres en formation professionnelle en agriculture dispensant ce qu’on appelle les «cours A et B». Le centre de formation de la Fugea est l’un d’eux, à côté de celui de la FJA (Fédération des jeunes agriculteurs) et de l’asbl Crabe. Les 120 heures du cours «A» abordent les techniques agricoles. Les cours «B» – 100 heures – se penchent quant à eux sur les questions de droit, de gestion, d’économie, très importantes. L’ensemble du parcours est sanctionné par un examen et un stage.
Si «ces formations ne font pas de vous un agriculteur, elles font au moins la lumière, donnent une ouverture d’esprit», explique Sophie. Autre utilité: permettre de se rendre compte de la viabilité de son projet. Pour le reste, la formation se fait aussi dans les cours «C» de spécialisation – non obligatoires –, la formation continuée et les échanges avec les autres agriculteurs. Des agriculteurs qui sont en «bio» pour la plupart, si l’on en croit Vanessa Martin et Sophie Deger. «Il semble y avoir plus de solidarité dans ce secteur où la demande dépasse l’offre et où il y a donc moins de concurrence», souligne cette dernière. Notons – pour mettre ces propos en perspective – que la Fugea a aussi sa sensibilité: la structure entend promouvoir une agriculture à taille humaine, en circuit court, avec plus-value à la ferme, si possible bio. «Alors que d’autres centres de formation, comme celui de la FJA, sont plus axés sur le conventionnel», constate Vanessa Martin. Un discours qui ne passe pas très bien du côté de la FJA, justement. «C’est toujours la même rengaine, se désole Julie Lebrun, chargée de mission formation information à la FJA. Il y a beaucoup de luttes idéologiques aujourd’hui. Nous, nous défendons l’agriculture familiale, quelle qu’elle soit. Nous défendons la profession, pas les optiques des gens.» Au final, les options prises par la FJA semblent d’ailleurs rejoindre celles que nous avons pu constater chez les autres: diversification, formation continuée, respect de l’environnement. «De toute façon, on peut être le mieux formé du monde, les freins à l’installation tels que la difficulté d’accès à la terre ou encore les investissements persistent», conclut Julie Lebrun.