Une justice plus largement accessible et entièrement gratuite fondée sur le système de tiers-payant de la Sécurité sociale. Cette idée est celle desmembres de la plateforme « Justice pour tous »1, venus la détailler le 8 décembre à la Maison des Parlementaires à Bruxelles. Leur constat ? Si la loi du 23novembre 1998 sur l’accès gratuit à l’aide juridique de première ligne (premiers conseils) et seconde ligne (recours à un avocat) des personnes les plus précaires,se situant en dessous du salaire minimum garanti (1 219 euros) a constitué un progrès pour la Belgique, elle ne répond plus à la réalité sociale de 2007, nià l’explosion du nombre de dossiers.
Cette inflation de demandes, la sénatrice Clotilde Nyssens (CDH) s’en était déjà inquiétée en octobre 2005, pointant à l’époque uneaugmentation de 62% du nombre de dossiers traités par les bureaux d’aide juridique entre 1999 et 2004, passant de 60 806 à 99 008 dossiers. Elle craignait déjà « que lesystème n’implose ». Au cours des trois premiers trimestres 2004, les barreaux francophones et germanophones avaient ainsi vu le nombre de demandes d’assistance croître globalement de30%. En 2006 ? Difficile, voire « impossible », d’obtenir des chiffres précis, « car aucune véritable étude n’est réalisée », explique l’avocat Steven Gibens, membre dela Plateforme. Certains pensent toutefois que la situation n’a qu’assez peu évolué depuis la fin 2003, au temps où Laurette Onkelinx déplorait le fait que « 75% de lapopulation n’a pas accès à la Justice et ne peut supporter les frais d’un procès » », quand cela était, a contrario, parfaitement possible et « facile » pour une petite frangede « 10 % de justiciables ».
Autre constat, dressé aussi bien par les associations membres de la Plateforme que par les avocats impliqués: « la Belgique est très en retard par rapport à ses voisinseuropéens », dit Cécile Mangin, du Service Droit des jeunes. La preuve : quand la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas dépensent dans ce domaine entre 20 et 24 euros par tête etpar an, la Belgique, elle, n’en dépense que 2,8 euros. Et la Plateforme de réclamer ainsi une augmentation plus nette du budget fédéral accordé à l’aidejuridique, de même qu’elle souhaiterait voir se créer, dans la foulée de son projet de « sécurité sociale », un Fonds pour l’accès à la Justicealimenté de manière suffisante par la fiscalité directe ou indirecte mais aussi par une participation des justiciables proportionnelle à leur aisancematérielle.
Une proposition utopique ?
Mais voilà, « le projet n’est pas du tout dans l’air du temps, reprend Cécile Mangin, surtout pas au moment où l’on pense que la Sécurité sociale coûte tropcher et où la Flandre souhaite une scission du système ». Et si les plafonds de revenus donnant le droit à l’aide juridique gratuite ou partiellement gratuite ont bienété relevés en 20042, « toute une partie des justiciables situés dans les classes dites moyennes, car au-dessus de 1 200 euros net par mois, ne peuvent pas pourautant se payer un procès », poursuit la jeune femme. « Un système de solidarité de type Sécurité sociale pourrait ainsi rétablir l’égalité desarmes et la non-discrimination du justiciable par rapport à un autre justiciable plus fortuné, citoyen, société commerciale ou organisme public », expliquait encore le 8décembre l’avocat Philippe D’Haeyere, membre de la Plateforme. Mais l’homme sait lui aussi que pour les politiques, « le projet est irréaliste ».
Utopique? Si le terme n’est pas retenu tel quel par le cabinet de la ministre, il n’est en tout cas pas jugé « pertinent », la porte-parole de la ministre rappelant que « ce système detiers-payant avait un moment été envisagé par le gouvernement mais abandonné car n’étant pas la solution la plus appropriée ». Et la porte-parole de renvoyer,en réponse aux revendications de la Plateforme, « aux efforts réalisés par le gouvernement depuis 1998 », entre l’augmentation du seuil d’accès à l’aide juridique depremière ligne, gratuite pour tous, la généralisation du recours à la médiation plutôt qu’au procès, l’incorporation obligatoire del’assurance recours en justice dans l’assurance familiale et enfin, à la hausse du budget accordé. En 2003, le budget était de 25,6 millions d’euros. En 2005, il sesituait à plus de 43 millions d’euros.
Des propositions de loi qui inquiètent la Plateforme
Des efforts que tous saluent au sein de la Plateforme mais qui laissent pourtant beaucoup d’autres questions en suspens. Parmi elles : la capacité des plus faibles à souscrireà une assurance, d’une part, et la rémunération « juste » des avocats intervenant dans l’aide de seconde ligne, pas suffisante actuellement pour assurer une bonne défense aujusticiable précaire (voir encadré). Comme elle s’inquiète des propositions de loi en cours, à savoir le projet de Mmes Onkelinx et Van Den Bossche decréer une assurance protection juridique pour tous, à hauteur de 12 euros par mois. Un projet concocté avec Assuralia, l’Union professionnelle des entreprises d’assurances, « quidevrait faire l’objet sous peu d’un arrêté royal », indique encore la porte-parole du cabinet de la Ministre. Et qui « réglera le problème »…
Un optimisme que ne partage pas du tout la Plateforme, « la capacité à payer 12 euros par mois n’étant pas donnée à tout le monde », poursuit Cécile Mangin.Qui s’interroge également sur l’avenir d’une autre proposition de loi en discussion portant sur la répétibilité des honoraires des avocats. Traduire: la possibilitépour la partie succombante d’avoir à prendre en charge tous les frais de procédure de la partie gagnante. « Un véritable frein à la Justice qui retiendra les plus faiblesd’y recourir de peur d’y perdre encore plus d’argent », disent encore Cécile Mangin et la Plateforme. Qui, quoi qu’il arrive, interpelleront prochainement tous les partis politiques sur leursrevendications, histoire de voir ce qu’ils ont « dans le ventre ».
Une rémunération aléatoire
Davantage de moyens aux bureaux d’aide juridique et une revalorisation de leur rémunération, c’est en substance ce que réclame l’Ordre des barreaux francophone et germanophonede Belgique (OBFG)3 depuis 10 ans. Si l’OBFG salue lui aussi les efforts entrepris depuis 1998, il bloque pourtant toujours sur le système d’indemnisation des avocats. Leproblème ? Leur rémunération par point d’une valeur de 24-25 euros.
Une valeur qui dans « le cadre d’une enveloppe budgétaire fermée, augmente ou diminue en fonction du nombre des affaires traitées », explique l’OBFG. Car larémunération des avocats se fait ainsi : une affaire, selon sa nature, donne un certain nombre de points à l’avocat. « À la fin de l’année, on comptabilise le nombretotal de points des avocats du pays et l’on divise ensuite le budget par ce total ce qui donne une valeur de point aléatoire, en fonction du nombre d’affaires traitées ».
Et ce système, « s’il n’est pas encore trop mauvais », a ses travers : mener les avocats à une course aux affaires au détriment de la qualité et, surtout, éloignertotalement les avocats de l’aide juridique, trop peu rentable. L’OBFG souhaiterait ainsi comme le Service Droit des jeunes une stabilisation de la valeur du point, indexée chaque annéeainsi qu' »une enveloppe budgétaire qui, elle, puisse bouger en revanche et s’adapter au nombre des affaires traitées », comme l’explique Cécile Mangin.
1. http://www.liguedh.be/pdf/CommJustice_PlateForme.pdf.
2. Le vendredi 21 novembre, le Conseil des ministres a approuvé la réforme proposée par Laurette Onkelinx, ministre de la Justice, pour améliorer l’accèsà la justice. Le résumé estdisponible sur le site du gouvernement.
3. OBGF c/° La Maison de l’Avocat, av. de la Toison d’Or, 65 à 1060 Bruxelles – tél. : 02 648 20 98 – courriel :info@avocats.be.