La Commission européenne organisait, ces 11 et 12 juin, une conférence sur la pauvreté en milieu rural. Cristallisant la pauvreté en Hongrie et dans les autresÉtats membres de l’UE, la population rom était au centre des débats. Mais les mesures prises par Bruxelles pour lutter contre l’exclusion sociale et lapauvreté sont encore loin, très loin, de porter leurs fruits.
Le village de Szomolya se trouve à 145 kilomètres de Budapest, du mauvais côté du comté de Borsod-Abaúj-Zemplén. Car les premiers kilomètresaprès la sortie de la nationale sont goudronnés, traversant une zone rurale, avec de solides bâtisses, des châteaux médiévaux, des sites touristiques et deschamps bien entretenus. Mais, une fois le comté de Borsod-Abaúj-Zemplén franchi, le goudron s’arrête et la route ne conduit plus qu’à la localité rom.Szomolya est à vingt minutes, au bout d’un chemin plein d’ornières et de nids-de-poule. La vie pour les 1 700 habitants du village, dont environ 340 sont des Roms, estdifficile.
En bordure du cimetière, sur une petite colline de rhyolite, 26 habitations improvisées, creusées à même la roche, déchirent le paysage. Ici vivaient desfamilles roms, désormais relogées dans de véritables maisons. Car en guise de logement, sept personnes partageaient une chambre à coucher, dans un deux-piècestroglodytique, pendant que les poulets gloussaient dans l’autre. La saleté et la puanteur, l’absence d’eau courante, d’électricité, de tout-à-l’égout et detéléphone, tout évoque ici un pays du tiers-monde. Plus loin, sur la pente douce de la colline, apparaît le « shanty town » de Szomolya. Au total,trente-trois personnes vivent dans huit baraques au sol de terre battue qu’elles ont construites de leurs mains. Mais trois familles logent encore dans des « maisons caves ».Elles seront bientôt relogées, dans le cadre d’un programme de lutte contre la pauvreté du ministère des Affaires sociales de Hongrie. À l’imaged’autres endroits en Hongrie et dans les pays de l’Est, l’administration communale refuse de voir cette population, présente depuis des siècles sur cette terre,s’installer au cœur de la ville. Mendiants, souvent analphabètes, ils donnent une image difficilement tolérable de la misère humaine.
« Bruxelles » comme levier
Pour les 4 à 12 millions d’Européens désignés en général sous le nom de Roms ou de Tsiganes, la vie se résume à ceci : ils sontparqués dans des zones qui les placent physiquement et psychologiquement en marge d’une existence normale, tandis que le fossé qui les sépare de la modernité se creuse aulieu de se réduire. Les statistiques sont effarantes : selon un rapport publié en 2005 par l’Unicef, 84 % des Roms en Bulgarie, 88 % en Roumanie et 91 % en Hongrievivent en dessous du seuil de pauvreté. Plus forte minorité en Hongrie, avec un demi-million d’individus (sur 10 millions d’habitants), les Roms connaissent plus qued’autres minorités des difficultés d’intégration en tous genres. Leur espérance de vie est inférieure de dix à quinze ans à celle du restede la population.
Dans les villages du nord-est de la Hongrie, l’une des régions les plus pauvres du pays, l’Union européenne soutient des actions d’aide à la population rom depuis plusd’une décennie. Ces dernières années, les associations roms se sont structurées et fédérées au niveau européen, prenant conscience queBruxelles pouvait être un levier puissant pour obtenir des changements. Une nouvelle génération d’activistes a vu le jour, qui parle l’anglais, maîtrise lesarcanes européens et revendique ses origines. Par l’intermédiaire des fonds structurels, de programmes ciblés et avec l’action sur le terrain des collectivitéslocales, certains résultats positifs ont déjà été obtenus dans le cadre des partenariats de développement. En particulier en matièred’éducation, de logement, de santé, d’emploi et d’accès à la justice et à la culture.
En Hongrie, le gouvernement fait face à la pression d’opinions publiques pour lesquelles la « question rom » est d’abord un problème desécurité. La hausse de la criminalité, une perspective économique médiocre sur fond de crise et la montée en force de l’extrême droite constituentactuellement un terrain fertile à l’amplification de l’animosité envers les Roms. Et le discours populiste de Viktor Orban, chef du parti Fidesz (opposition de droite, arrivée entête des élections européennes en Hongrie avec 56,37 % des voix), partenaire du parti d’extrême droite Jobbik (14,77 % des voix), dans plusieursmunicipalités, contribue au malaise.
Andor Ürmös, représentant du ministère hongrois des Affaires sociales et de l’Emploi chargé des minorités roms, admet une hausse des actes criminelscommis par les Roms, mais souligne que c’est aussi dû à « l’extrême pauvreté, au manque d’éducation et au difficile accès au marché dutravail ». Près de 70 % des Roms sont chômeurs, dans le nord-est du pays ils le sont à 100 %. « Il faut du courage politique pour faire bouger leschoses », reconnaît Andor Ürmös. Mais ces problèmes peuvent être dépassés « par une action ciblée » des pouvoirspublics et de l’Union européenne. Le gouvernement socialiste a promis de doubler les financements pour améliorer les conditions de vie des Roms et éliminer leurs bidonvilles enveillant à les reloger : ils vont passer de 600 millions à un milliard de forints (3,75 millions d’euros).
Un problème de mentalité
Mais, malgré une politique volontariste visant à éliminer les discriminations et en faveur de l’intégration sociale, le malaise est profondément ancré.« Il y a un vrai problème de mentalité, explique le représentant d’une organisation rom locale. Dans les villages les plus paupérisés, lapopulation hongroise ne tolère pas la discrimination positive en faveur des Roms. Les Roms sont devenus la cible de violence raciste organisée, nourrie par le populisme politique, desdiscours de haine et des campagnes médiatiques. Ils sont aussi transformés en boucs émissaires. Des référendums sont organisés pour les écarterdes villages. »
Et de souligner : « Mais le problème vient aussi des municipalités : elles utilisent presque l’intégralité des fonds qui leur sontalloués par l’Europe pour rénover les écoles, les gymnases et les services sociaux, mais refusent d’investir le reste dans des projets d’intégration etd’insertion socioprofessionnelle des populations roms »
. Car les mesures prises par Bruxelles pour lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté sont encore loin,très loin, de porter leurs fruits. Des fonds européens sont attribués pour les matières touchant à l’éducation, l’emploi et la santé, maisles aides au logement reposent sur le budget des municipalités. Les politiques sociales demeurant largement du ressort des États membres, la Commission européenne n’aqu’un rôle d’impulsion. « Il faudrait que l’Europe attribue ses fonds sur la base de critères très stricts fondés surl’égalité des chances. Sans quoi les Roms, mais aussi les autres minorités, ne sortiront pas de la pauvreté », conclut, presque résigné,Andor Ürmös.
Réduire la pauvreté en milieu rural, pas pour tout de suite…
L’initiative de la conférence « Combattre la pauvreté et l’exclusion sociale dans les zones rurales » revient à la Commission européenneet au ministère des Affaires sociales de Hongrie. Pourquoi traiter de la pauvreté spécifiquement en zone rurale ? Parce que, en dépit des objectifs ambitieuxdéfinis par le Conseil européen de Lisbonne en mars 2000, la pauvreté se maintient à un niveau significatif en Europe1. Les zones rurales, quireprésentent 59 % du territoire de l’Union européenne, restent pourtant négligées dans la lutte contre la pauvreté.
Développer ces territoires requiert des politiques particulières. Et, hormis quelques pays industrialisés précocement, c’est là où se trouve le plusgrand nombre de pauvres. « Les inégalités territoriales ont augmenté avec la disparition du secteur industriel. Le secteur des services a créé del’emploi avant tout en zone urbaine », analyse Laszlo Herczog, ministre des Affaires sociales hongrois.
La diminution de l’emploi agricole a conduit à une baisse de vitalité de certaines zones. Dans les zones agricoles les plus marquées, les faibles revenus, lasaisonnalité du travail et la persistance d’une économie de subsistance, entraînent un risque élevé de pauvreté et d’exclusion sociale. Mais il ya comme « une invisibilité du phénomène », prévient Paola Bertolini, de l’université de Modène. Ces populations ont« une faible capacité à faire pression » sur les politiques. Et du fait qu’il s’agit de poches très localisées, c’est unphénomène « invisible du point de vue statistique ».
Thomas Bender, chef d’unité pour la coordination des Fonds structurels européens au sein de la DG Affaires sociales et égalité des chances de la Commission, souligneque « la crise économique peut amener de nouveaux pauvres, à l’instar des migrants internes qui quittent les villes vers les campagnes, en raison du coût tropélevé de la vie ».
Les interventions insistent sur le rôle des services publics. Ainsi, la chercheuse hongroise Zsuzsa Ferge, qui travaille sur la pauvreté enfantine, relève que les« regroupements d’écoles » rendent plus difficile l’accès à l’éducation. Quant au chercheur néerlandais Jan Douwe Van der Ploeg,il appelle à regarder ailleurs, en pointant le progrès qu’a constitué pour les campagnes « le développement d’un système de santé enChine » ou « le programme Faim zéro au Brésil ». La lutte pour la pauvreté en appelle vraisemblablement à d’autres politiquespubliques en Europe…
1. Pauvreté et exclusion sociale dans les zones rurales, septembre 2008 – Cette étude est disponible en ligne