En juillet 2018, la Chambre a approuvé un projet de loi faisant passer la TVA sur les tampons, les serviettes hygiéniques, les protège-slips et les coupes menstruelles de 21% à 6%. Un premier pas vers une gratuité des produits périodiques féminins? De nombreuses femmes dans le besoin, lassées par un tabou incessant autour des règles, ne le voient pas du même œil.
Le tabou autour des règles a-t-il assez duré? Les protections hygiéniques féminines pourraient-elles un jour devenir gratuites? Nul doute que la plupart des femmes menstruées se sont déjà posé ces questions. Mais, en 2019, les règles sont toujours évoquées avec honte, parfois même avec un certain dégoût. Lorsque les menstruations apparaissent, le silence prend généralement le dessus. Chaque mois, pendant environ trente ans, le cycle menstruel touche la moitié de la population mondiale. Très rapidement commercialisées, les serviettes hygiéniques lavables sont devenues les principales protections contre les écoulements de sang provenant du vagin. Pour les femmes précarisées, cette période est particulièrement redoutée.
«Il est très difficile d’estimer une dépense moyenne précise. Il y a autant de flux qu’il y a de femmes.» Veronica Martinez, BruZelle
«On estime entre 5 et 15 € les dépenses mensuelles des femmes en protections hygiéniques», indique Veronica Martinez, cofondatrice de BruZelle, qui distribue des protections aux femmes sans abri. Au-delà du prix des serviettes hygiéniques, des tampons ou des coupes menstruelles, des visites gynécologiques sont parfois nécessaires. S’ajoutent à cela une utilisation et une sensation physique et mentale différentes en fonction de chacune d’entre elles. «Il est très difficile d’estimer une dépense moyenne précise. Il y a autant de flux qu’il existe de femmes. La consommation en protections varie donc d’une femme à l’autre. Dans la rue, les femmes se retrouvent obligées de confectionner leurs propres serviettes, en déchirant bien souvent leurs propres vêtements.»
Les sans-abri non sans aide
«Il ne fait pas bon d’être une femme dans la rue», ajoute Veronica Martinez. Peur du viol, masculinisation, se procurer ou bien même évoquer le besoin de produits d’hygiène féminins peut s’avérer particulièrement difficile. À l’initiative de BruZelle, DoucheFLUX ou encore Rolling Douche à Bruxelles, ainsi que dans de nombreux centres d’hébergement, à travers le royaume, les femmes sans abri peuvent s’approvisionner en protections hygiéniques.
Des initiatives associatives et citoyennes qui «font le travail à la place des pouvoirs publics». Mise à part la baisse sur la TVA, aucun projet de loi visant la distribution gratuite pour femmes dans le besoin n’a vu le jour aussi bien au niveau fédéral qu’au niveau communautaire. «C’est quand même triste que, dans un État aussi développé que la Belgique, les protections hygiéniques ne soient pas gratuites dans les universités», ajoute «Belges et Culottées». Le collectif prend exemple sur la récente mesure prise en Écosse. À partir d’août, les protections périodiques seront gratuites dans chaque établissement scolaire écossais. Dans ce seul pays à avoir réellement pris une telle décision, cette initiative viendrait en aide à plus de 400.000 jeunes femmes.
«La baisse de la TVA, c’est bien, la gratuité, c’est mieux»
À l’image du collectif français Georgette Sand, les jeunes femmes de Belges et Culottées ont milité avec succès pour la fin de la «taxe tampon». Épaulées par l’association belge de consommateurs Test-Achats, ces activistes ont abouti à une baisse de la TVA de 21 à 6% en juillet 2018. Une victoire? «Au final, bien que ces produits ne soient plus considérés comme des produits de luxe, leur démocratisation est loin d’être atteinte. Ils représentent toujours un coût élevé pour de nombreuses personnes en difficulté financière. On pourrait se demander pourquoi ils ne seraient pas tout simplement offerts gratuitement dans les établissements scolaires, dans les prisons, dans les refuges pour personnes sans abri, dans les centres de planning familial, et même dans les toilettes publiques. Car, à l’instar du papier toilette, on ne peut pas s’en passer», indiquent les étudiantes.
Selon le collectif, la gratuité des protections périodiques féminines permettrait une économie de 1.500 € à 2.000 € dans la vie d’une femme. En France, Georgette Sand envisage un passage de la TVA à 2,1%, au même taux que les médicaments remboursables par la sécurité sociale. Chez nos voisins, le remboursement est souvent évoqué. La mutuelle des étudiants (LMDE) est devenue la première à rembourser les protections hygiéniques utilisées par les étudiantes. Si ce remboursement prend en compte un large panel – coupe (cup), tampon, serviette lavable et culotte de règles –, les jeunes femmes ne bénéficient pour autant que de 20 à 25 € de protections remboursées par an. Comme pour les dépenses, il est cependant difficile d’établir une base de remboursement. Une restitution qui serait différente d’une femme à l’autre est alors difficile à mettre en place.
D’abord en finir avec les tabous?
«Je ne pense pas qu’il faille faire quoi que ce soit avant la gratuité des produits menstruels, c’est une mesure qui pourrait s’appliquer tout de suite, indique le collectif Belges et Culottées. Le fait de laisser en libre-service des produits menstruels à la vue de tous dans les toilettes publiques, les plannings familiaux, les pharmacies, les maisons médicales, les universités, pourrait avoir un impact positif à ce sujet.» Lassées par ce rejet historiquement et naturellement ancré dans nos sociétés, les jeunes belges verraient, dans l’éducation, un moyen d’uniformiser le sujet dans les deux genres. «Il faut que, le plus tôt possible, la question des menstruations soit abordée sans complexe. Les entreprises pourraient mettre ces produits à disposition dans leurs toilettes, la culture populaire pourrait cesser de faire semblant qu’elles n’existent pas ou les représenter de manière tout à fait irréaliste.»
«La culture populaire pourrait cesser de faire semblant qu’elles n’existent pas ou les représenter de manière tout à fait irréaliste.» Belges et Culottées
La question de l’éducation est souvent remise en cause dans le tabou existant autour des règles. Et pourtant, elle n’est pas à prendre à la légère. Lisa Schirinzi, étudiante à Bruxelles, le ressent depuis l’apparition de ses propres menstruations. «Avant mes 11 ans, je n’avais aucune idée de ce que les règles ou menstruations voulaient dire. Jusqu’à ce qu’une de mes camarades de classe les ait eues pour la première fois.» Lorsqu’une fille demande à ses parents pourquoi elle saigne de sa partie la plus intime, la réaction d’une mère ou d’un père varie souvent d’une famille à l’autre. Croyances, religions, politisation, éducation, de nombreux facteurs alimentent le tabou autour des règles au sein des foyers. «Je me rappelle ma mère essayant de m’expliquer pourquoi cette amie venait de saigner, sans vraiment le faire de manière claire et précise. Elle m’a simplement assuré qu’il s’agit du moment où l’on devient femme.»
Pour l’ensemble de ces femmes précaires, plus qu’une simple baisse de la TVA, les règles doivent être comprises et non délaissées dans un univers obscur en dehors de la société. «Les femmes ont droit à la reconnaissance d’un phénomène naturel qui n’est pas une faiblesse. Les règles font partie de notre vie et la société ne doit pas fermer les yeux là-dessus», ajoute «Belges et Culottées».
Veronica Martinez: «Si les règles avaient été une affaire d’hommes, on n’en serait pas là»
Récolter des produits périodiques féminins et les redistribuer gratuitement aux femmes précarisées: c’est le pari de BruZelle, lancé il y a trois ans par Veronica Martinez et Valérie Machiels. L’association a déjà installé une quinzaine de boîtes dans des lieux publics bruxellois. Une fois par mois, les femmes sans abri profitent de la maraude pour s’approvisionner en serviettes hygiéniques.
Alter Échos: Comment a été perçu ce projet de boîtes dans des lieux publics bruxellois?
Veronica Martinez: Au départ, nous étions mal perçues. Nous avons rencontré beaucoup de difficultés à trouver des partenaires. Puis nous nous sommes concentrées sur des lieux symboliques: centres culturels, maisons communales, pharmacies, plannings familiaux. Les boîtes sont relativement discrètes, et elles ont rapidement été demandées. Naturellement, les gens y déposent des produits périodiques. J’insiste sur le fait que nous souhaitons uniquement collecter des serviettes hygiéniques. Compte tenu du physique et de la religion de chacune, les tampons ou coupes menstruelles ne sont pas forcément adaptés. Quand un bac est plein, Valérie, qui pilote les maraudes, vient le vider. Elle ramène ensuite la collecte chez elle et effectue un tri. Avec des proches, nous confectionnons des trousses en tissu. À l’intérieur, on y met une vingtaine de serviettes hygiéniques et un flyer expliquant à la bénéficiaire notre service. Le but est évidemment d’aider le plus de femmes possible. Via d’autres associations, nous arrivons à venir en aide à des sans-abri ou des étudiantes à Namur, Mons et Liège.
AÉ: Les règles sont-elles encore plus taboues chez les femmes sans abri?
VM: Pour une majeure partie des femmes, parler des règles est tabou. Évidemment, la société phallocrate dans laquelle nous vivons ne favorise pas la sensibilisation autour des règles. Si les règles avaient été une affaire d’hommes, on n’en serait pas là. La précarité menstruelle ne touche pas seulement les femmes sans abri. Elle atteint aussi les étudiantes, les femmes seules avec ou sans enfants, souvent travailleuses à mi-temps. Dans la rue ou les centres d’accueil avec lesquels nous travaillons, comme l’asbl DoucheFLUX, les femmes ne sont pas gênées quand elles demandent des serviettes. Lors des maraudes, les sans-abri nous sont très reconnaissantes. Parfois, elles veulent nous donner de l’argent. Nous leur expliquons alors pourquoi les produits périodiques féminins doivent devenir gratuits. Cependant, il est souvent difficile de trouver des femmes dans la rue. Elles, qui craignent pour leur sécurité, se «masculinisent» un maximum.
AÉ: Des pouvoirs publics inactifs au sujet des règles?
VM: C’est simple: l’État ne fait rien. Certains parlent de cette baisse de la TVA à 6% sur les produits hygiéniques féminins approuvée par la Chambre en juillet 2018. Honnêtement, je ne vois aucune répercussion sur les prix. Aujourd’hui, l’initiative citoyenne est la clé. Ces protections sont des produits de première nécessité, au même titre que l’eau et la nourriture. Cependant, il s’agit d’un produit vital uniquement pour les femmes. Même s’il est encore difficile d’établir une stratégie viable, je pense qu’un système de distribution gratuite, à la manière des préservatifs dans les rues, est envisageable. J’envisagerai cette distribution dans des maisons médicales, dans les plannings familiaux. Je pense qu’il n’est pas impossible d’avoir une accessibilité gratuite, discrète et 24 h/24. Viendra un moment où nous ne pourrons plus assurer seules cette distribution. Je pense que les élus locaux sont compréhensifs face à cette question de gratuité et de précarité menstruelle. Mais avant de pouvoir en faire un problème de santé publique au niveau fédéral…