Les travaux d’aménagement du nouveau centre fédéral fermé pour mineurs délinquants qui devait être ouvert à Saint-Hubert pour larentrée ont pris du retard. S’il est vraisemblable qu’il ne sera pas prêt à temps, le directeur, lui, est déjà désigné.
Il y a huit mois, le ministre fédéral de la Justice Jo Vandeurzen sabrait le champagne et partageait les petits fours avec les ministres en charge de la Jeunesse dans lescommunautés néerlandophone, francophone et germanophone. Motif des réjouissances : un accord de coopération pour la création de nouvelles places ferméespour les enfants coupables de faits de délinquance. Pour rappel, les Communautés sont en charge du volet « encadrement pédagogique » au sein de ces prisons pourjeunes, les autres aspects étant gérés par le fédéral. Avec une certaine fierté, ce 3 novembre 2008, la ministre Fonck (CDH) avait donc insisté sur letriplement des places disponibles d’ici à 2012 et, déjà, l’ouverture d’un nouveau centre fédéral fermé pour l’été 2009dans une aile spécialement aménagée de la prison de Saint-Hubert pouvant accueillir une cinquantaine de jeunes francophones1.
Juin 2009, au cabinet de la future ex-ministre de l’Aide à la jeunesse, c’est le branle-bas de combat… post-électoral. Plus grand monde dans lesbureaux, les uns font leurs caisses, d’autres sont déjà partis au bout du monde pour se remettre de leurs émotions, quelques-uns assurent la transition avec plus ou moinsd’enthousiasme. Où en est-on pour Saint-Hubert ? « Ça a pris un peu de retard », confesse un premier interlocuteur. Le centre sera-t-il prêt pour larentrée de septembre, comme prévu ? « Tout est mis en œuvre pour qu’il le soit, mais il faut compter avec les aléas de la construction », préciseplus diplomatiquement Cindy Russo, attachée au cabinet pour les matières Aide à la jeunesse. « Le défi est réel. D’abord parce que l’implantationde ce nouveau centre est assez éloignée de Bruxelles, d’où provient la moitié des jeunes. Ensuite, il s’agit de constituer une toute nouvelle équipe,puisque la majorité du personnel francophone d’Everberg n’a pas souhaité continuer à Saint-Hubert. » Ainsi, Jean-Yves Charlier, l’actuel directeur de lasection francophone d’Everberg ne poursuivra pas l’aventure, « pour des raisons d’ordre privé ».
Le recrutement du nouveau personnel concernerait au moins les deux tiers des 118 équivalents temps plein nécessaires à l’encadrement et au fonctionnement du centre. Pourceux qui ont choisi de s’adapter aux nouvelles conditions de travail, les incertitudes quant au déménagement ne sont pas sans susciter un peu de stress. Officiellement, onparle toujours d’une ouverture de Saint-Hubert à l’automne 2009 mais certains y voient un vœu pieux : « les aménagements ont pris tellement de retard quel’ouverture ne se fera peut-être pas avant la fin de l’année, voire début 2010… ». Pas de quoi rassurer ce membre du personnel francophoned’Everberg qui dit « n’être au courant de rien ».
L’art de (bien) se recaser
Pour autant, l’avenir de ce nouveau centre fermé n’est pas totalement flou puisque son directeur a d’ores et déjà été désigné depuisquelques semaines. Comme le sous-entendait déjà lourdement Benoît Van Keirsbilck, rédacteur en chef du journal Droit des Jeunes, dans le numéro d’avrildernier2, le profil de fonction aurait même été créé « sur mesure » pour une personne en particulier, Marc Coupez, responsable de la celluleAide à la jeunesse au cabinet Fonck, pour ne pas le nommer. Secret de Polichinelle qui a déjà fait pas mal de bruit dans le landerneau, et qui nous a étéconfirmée de sources diverses depuis au moins un mois. Certains points spécifiques du profil de fonction ont mis la puce à l’oreille du trublion de la jeunesse : lesconditions requises sont extrêmement exigeantes, mais pour ce qui concerne la possession de titres universitaires, ils peuvent être remplacés, au besoin, par « uneexpérience d’au moins dix ans dans une fonction de directeur d’une institution du secteur de l’Aide à la jeunesse ». Pour Benoît Van Keirsbilck, le profilest tellement exigeant que peu de personnes peuvent y prétendre, « même pour l’ancien directeur de l’aile francophone d’Everberg qui avait pourtant fait sespreuves » ; en revanche, « disposer d’un diplôme de type universitaire était problématique pour Marc Coupez. Ce qui est un peu dérangeant ici, c’estque celui qui rédige le profil de fonction est justement celui qui est susceptible d’être engagé. »
Pour Cindy Russo, cette interprétation est un procès d’intention. « Il y a eu un appel à candidatures et cinq personnes ont remis un dossier, dont Marc Coupez quia été reçu pour passer des épreuves comme les autres candidats. Le profil est très exigeant, on demande notamment quinze années d’ancienneté. Ceposte demande d’assumer des responsabilités énormes et de faire valoir des compétences solides en Aide à la jeunesse. Par la force des choses, peu de personnespeuvent y prétendre. »
Outre ce possible « arrangement » qui reste encore à étayer – Marc Coupez étant actuellement à l’étranger, il n’a pas eu lapossibilité de s’expliquer sur la question – la personnalité de l’intéressé ne laisse pas indifférent. Dans le secteur de l’Aide à lajeunesse, de nombreux acteurs ne sont pas loin de penser que le virage sécuritaire bien amorcé sous cette législature lui est dû en grande partie, bien plusqu’à la ministre. Une orientation qui étonne au vu du parcours professionnel de Marc Coupez. Éducateur de formation, il a longtemps prôné la pédagogienon punitive. Il a dirigé de nombreuses années – avec compétence et savoir-faire, reconnaissent d’ailleurs ses détracteurs – un Centre d’accueilspécialisé3. Dans ce cadre, il a aussi misé sur la prévention et la « réparation » avec des jeunes en difficulté, notamment àtravers l’organisation de séjours de rupture à l’étranger4.
Son passage par le cabinet l’a-t-il rendu plus « autoritaire, moins ouvert au dialogue et à la critique », comme le suggère Benoît Van Keirsbilck, etprédestiné à prendre la tête, avec intransigeance, d’une prison pour jeunes ? Ou bien faut-il voir dans
sa nomination, la volonté de donner une orientationplus pédagogique que punitive à cette prison, sur base du passé d’éducateur de Marc Coupez ? Gageons que la question sera rapidement tranchée : lesassociations de défense des droits de l’enfant garderont à coup sûr un œil attentif sur l’organisation de cette nouvelle prison pour jeunes, et sur la gestion deson directeur.
Concrètement
Pour rappel, la capacité du centre fédéral d’Everberg passera de 50 à 126 places et deviendra exclusivement néerlandophone alors qu’actuellement, il serépartit en 24 places pour les néerlandophones, 24 pour les francophones et 2 pour les germanophones. Les délinquants francophones et germanophones seront logés dans unnouveau centre fermé basé à Achêne, dans la province de Namur, disposant de 120 places. En attendant que le centre soit fonctionnel et qu’Everberg soit agrandi, lesmineurs seront placés dans les prisons de Tongres (dans le Limbourg) pour les néerlandophones et de Saint-Hubert (province de Luxembourg) pour les francophones, ce qui permettrad’accueillir respectivement 34 et 50 mineurs, après aménagements. À l’horizon 2012, cela signifie qu’il y aura 160 places pour les néerlandophones (126 +34) et 170 pour les francophones et les germanophones (120 + 50) en centres fédéraux fermés.
1. Voir Alter Échos n° 262, « D’Everberg à Achêne, les nouvelles prisons pour jeunes ».
2. Journal Droit des Jeunes n° 284, avril 2009. Dossier sur l’enfermement, « Enfermer les jeunes, un projet de société », par Benoît Van Keirsbilck. Articleégalement paru dans la Revue nouvelle de janvier 2009. Le dossier reprend dans son intégralité le « Profil de fonction de directeur pédagogique communautaireau Centre fédéral fermé de Saint-Hubert ».
3. Les Centre d’accueil spécialisés (CAS) sont régis par l’Arrêté du gouvernement de la Communauté française du 15 mars 1999. Ilsorganisent l’accueil collectif de jeunes nécessitant une aide urgente et spécialisée eu égard à des comportements violents et agressifs, des problèmespsychologiques graves, des faits qualifiés d’infraction.
4. Marc Coupez s’était longuement exprimé sur l’intérêt de ces stages de ruptures dans le n° 265 d’Alter Échos, « Six mois de rupture pour permettre à des jeunes deraccrocher ».