La réforme de la procédure d’asile, attendue depuis de nombreuses années, est aujourd’hui en voie de finalisation. Un comité ministériel restreint (« kern ») s’estpenché le 6 décembre 2005 sur les textes rédigés par le ministre de l’Intérieur Patrick Dewael1. Le PS laissait récemment entendre qu’il n’avaitpas tous ses apaisements face aux intentions du ministre VLD, réclamant même par voie de communiqué une procédure « plus efficace et plus humaine ». Le texte aété largement retravaillé depuis, au cours de réunions intercabinets, et ses aspects « imbuvables » en ont été gommés. L’accord entre superministressemble donc à portée de main et le Conseil des ministres du 23 décembre devrait entériner la réforme.
Objectif principal de la nouvelle procédure : les candidats réfugiés doivent être fixés sur leur sort endéans l’année de l’introduction de leurdemande d’asile. Les instances d’asile sont substantiellement modifiées. Ainsi, l’Office des étrangers, qui réalise aujourd’hui le premier interrogatoire des candidats et seprononce sur la recevabilité des demandes (plus de 80 % de refus…), n’interviendrait plus dans la procédure elle-même. L’Office conservera quelques compétences marginalesen vue de la constitution du dossier, mais ne décidera plus rien. Il enregistrera ainsi les premières déclarations sur l’identité et l’itinéraire suivi parl’arrivant et vérifiera si la Belgique est bien compétente pour examiner la demande d’asile.
Désormais, ce sera le Commissariat général aux réfugiés qui examinera les demandes et accordera ou refusera la reconnaissance de la qualité deréfugiés. En cas de contestation, les déboutés s’adresseront au Conseil du contentieux des étrangers (à créer), une juridiction administrativeindépendante (qui remplacera la CPRR, la Commission permanente de recours des réfugiés). Le juge se basera sur les pièces écrites mais aura le droit d’interrogerl’intéressé, qui pourra invoquer d’éventuels nouveaux éléments. En cas de refus, le débouté aura un dernier recours, en cassation administrative,devant le Conseil d’État.
Le cas des demandeurs d’asile ressortissants de l’Union européenne est plus particulier. Leur demande pourra être examinée dans les cinq jours par le CGRA, mais il n’y aura pasde recours suspensif en cas de rejet de la demande.
Les socialistes : une procédure plus efficace et plus humaine
Le 21 novembre, les socialistes francophones2 ont tenu à rappeler leur position en matière d’asile à l’issue d’une rencontre entre leur président, Elio DiRupo, et différentes associations de défense des étrangers et des réfugiés, dont le Ciré. À toutes fins utiles…
Le PS réclame ainsi une procédure d’asile plus efficace et plus humaine. Les candidats réfugiés doivent être fixés sur leur sort endéansl’année de l’introduction de leur demande d’asile: il devient inhumain de faire exécuter des ordres d’expulsion lorsque la décision de refus intervient plusieurs annéesaprès la demande, insiste le PS. Cette amélioration de la procédure d’asile exige que les demandes soient examinées par le Commissariat général auxréfugiés et aux apatrides (CGRA), « sans l’intervention de l’Office des étrangers », précisent les socialistes. En cas de contestation, les déboutéss’adresseraient au Conseil du contentieux des étrangers (à créer), une juridiction administrative indépendante, compétente pour tous les recours intentéscontre des décisions individuelles prises dans le cadre de la législation relative aux étrangers; le recours auprès de ce Conseil doit être suspensif et de pleindroit, insiste le PS. Enfin, il s’agit de réformer le Conseil d’État en vue de résorber son arriéré judiciaire.
Le PS demande par ailleurs que les directives relatives à la protection subsidiaire et au regroupement familial soient transposées dans les meilleurs délais (cf à cesujet l’encadré ci-dessous).
Réactions écologistes
« Alors que le gouvernement arc-en-ciel a mené une politique humaine et ferme, dont la décision phare fut le processus de régularisation de milliers de sans-papiers, legouvernement actuel se contente d’une politique dure, où l’essentiel reste de faire du ‘chiffre’ en matière d’expulsion ». Fermeté, fermeté, et encore fermeté, c’estainsi que l’opposition écologiste3 définit la ligne « Dewael ». La preuve par les chiffres : le budget des expulsions a crû de 158 % depuis 2003, atteignant en 2006 les13 millions d’euros (chiffres avancés au Parlement par le ministre de l’Intérieur lui-même).
Les verts francophones attendent par ailleurs de pied ferme les projets gouvernementaux visant à améliorer et à accélérer la procédure d’asile. »Indispensable et urgent. » D’une part à cause du retard considérable accumulé dans les demandes : il y a ainsi encore 13.385 dossiers en retard au CGRA et 10.000 dossiers setrouvent à la Commission permanente de recours. Mais aussi à cause du retard considérable que connaît le Conseil d’État, et pas seulement au niveau du contentieuxdes étrangers que l’on peut attribuer au manque d’effectifs. Le contentieux des étrangers ne mobilisant, rappelle Ecolo, ‘que’ 20% du personnel du Conseil d’État. « Dans lesréformes envisagées par le Ministre, il n’y a pas de moyens nouveaux pour résorber le retard », note-t-il encore.
Les députés écolos condamnent également la politique de l’actuel gouvernement qui a accru le recours aux centres fermés pour la détentiond’étrangers ainsi que la » banalisation » de la détention d’enfants (avec les parents) dans ces centres. « Le célèbre centre 127bis a même été’aménagé’ spécialement pour les familles et quelque 66 enfants s’y trouvent (lire à cet égard l’encadré ci-dessous). La réponse du Ministre Dewaelpour justifier sa politique est toujours la même : s’ils ne veulent pas être détenus, ils peuvent quitter le pays… »
Et les verts de tirer sur les priorités du gouvernement : « relancer les éloignements et augmenter la capacité de centres fermés « ; et de réclamer uneprocédure juste et rapide, garantissant le droit à un recours effectif ainsi que la fermeture des centres fermés et, en particulier, l’arrêt de l’enfermement des enfants. »En réalité, il faut passer d’une politique de l’asile à une véritable politique des migrations », concluent-ils.
Associations et syndicats
Dans un communiqué de presse daté du 7 décembre4 et une « Carte blanche » parue dans le Soir du 6 décembre, un certain nombre d’associations et syndicat (leCiré, le MOC, la FGTB Bruxelles, la FGTB Wallonne) ont fait connaître leurs attentes par rapport à la réforme, elles peuvent se résumer en cinq points (ànoter que Vluchtelingenwerk Vlaanderen, l’ABVV et l’ACW partagent ces revendications) :
1. pas de refus pour des motifs uniquement techniques.
« Nous considérons que les instances d’asile ne peuvent décider qu’une personne n’a pas besoin de protection et donc lui refuser la qualité de réfugiée uniquementsur la base de motifs purement techniques. On ne peut rejeter une demande d’asile sans avoir effectivement examiné le besoin de protection. Il serait inacceptable que les instances d’asilepuissent renvoyer vers son pays d’origine une personne s’y déclarant en danger au seul motif qu’elle aurait introduit sa demande d’asile hors délai ou n’aurait pas réponduà temps à une lettre de l’administration. Seul un motif de refus fondé sur la conclusion que la personne n’a pas besoin de protection ou qu’elle bénéficiedéjà effectivement de cette protection dans un autre pays est acceptable. Et les instances d’asile ne peuvent correctement procéder à cet examen qu’au terme d’uneprocédure qui place le besoin de protection au centre des débats. »
2. Pas de confusion des rôles.
« Seules des instances d’asile dont l’unique mission est d’évaluer le besoin de protection des demandeurs d’asile présentent des garanties d’examen suffisantes. Nous demandons quel’Office des étrangers ne soit plus l’instance compétente dans l’examen des demandes d’asile. »
3. Une procédure simple: » une décision – un recours «
« Chaque demande d’asile examinée par une administration doit pouvoir faire l’objet d’un recours de plein contentieux devant une juridiction. Cette juridiction doit bénéficier detous les pouvoirs nécessaires pour examiner à nouveau au fond la demande d’asile. La juridiction doit entendre le demandeur d’asile et pouvoir vérifier elle-même lavéracité de ses dires. »
4. Une information correcte des demandeurs d’asile.
« La personne doit être correctement informée et accompagnée tout au long de sa procédure afin de garantir qu’elle ait pu faire valoir ses droits correctement. Ce n’est pasle cas actuellement et le projet de réforme n’apporte pas d’amélioration à ce sujet. »
5. Pas de détention des demandeurs d’asile
« Nous considérons qu’une demande d’asile ne peut être menée correctement si le demandeur d’asile est détenu en centre fermé. Il n’aura pas accès àl’information, à un avocat, aux preuves de la même manière qu’un demandeur d’asile qui se trouve sur le territoire. »
Il est également indispensable, selon les associations et les syndicats signataires, que le projet du gouvernement intègre les dispositions relatives à la protectionsubsidiaire. Actuellement, la Belgique ne protège pas les personnes qui fuient des situations de guerre ou de violences généralisées dans leur pays. Le gouvernement est entrain de discuter d’un texte de loi qui prévoirait une telle protection (la protection subsidiaire) en droit belge. Cette protection serait octroyée au terme de la procédured’asile. « Il est donc essentiel de l’inclure dès à présent dans le texte, concluent les signataires, plutôt que de devoir procéder ultérieurement à unemodification de la loi. »
On pourra par ailleurs lire les propositions alternatives des sans-papiers réunis dans l’Udep (l’Union pour la défense des sans-papiers) dans l’article qui est consacré dansce numéro à l’occupation de l’Église Saint-Boniface à Ixelles.
Mineurs enfermés : la Belgique montrée du doigt
La détention par la Belgique des enfants en centres fermés inquiète le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies
Soixante-six enfants sont actuellement détenus au centre 127 bis. Ils représentent plus de la moitié des résidents du centre fermé. Pour le Haut-Commissariat auxréfugiés, la coupe est pleine et – fait rare – l’organisation des Nations unies sort de sa réserve pour dénoncer la détention des mineurs par la Belgique. « Lenombre d’enfants détenus en centre fermé ne cesse de progresser depuis le début de cette année et leur détention est de plus en plus longue », constate le HCR.
Le fait que le gouvernement songe à aménager les centres fermés de Vottem et de Merxplas pour y accueillir des familles est un motif d’inquiétudesupplémentaire. » Parmi les enfants détenus, il y a des demandeurs d’asile, qui sont sous le mandat de notre organisation. Le problème n’est pas propre à la Belgique. Ils’étend, dans toute l’Europe, alors que le nombre de demandeurs d’asile, lui, ne cesse de diminuer. » Le HCR ne cache d’ailleurs pas sa préoccupation face aux politiques de plus en plusrestrictives des États européens : même les cas les plus incontestables de réfugiés ne trouvent plus une protection en Europe.
Le Haut-Commissariat rappelle que les mineurs demandeurs d’asile ne doivent pas être détenus. Pas plus que leurs parents d’ailleurs. La détention ne peut se justifier que sicela s’avère indispensable, pour vérifier l’identité de la personne ou protéger l’ordre public. « Et dans les pays où elle est utilisée, la détentiondes mineurs doit être une mesure de dernier ressort et d’une durée aussi brève que possible », rappelle Peter van der Vaart, chef du service juridique du HCR à Bruxelles. Cequi n’est pas le cas en Belgique, où les enfants se voient en outre privés de toute scolarité durant leur détention.
D’autres solutions
Toutes les alternatives à la détention doivent être étudiées, tant dans le cas des enfants accompagnant leurs parents que des enfants non accompagnés,poursuit Peter van der Vaart. On peut par exemple les loger en centre ouvert ou exiger des contrôles de présence. Le demandeur d’asile lui-même, un membre de sa famille ou une ONGgarantirait une présentation périodique aux autorités. Le HCR évoque aussi la possibilité d’un bracelet électronique (!), tout en rappelant que lesdemandeurs d’asile n’ont commis aucun délit.
De fait, la Chambre du Conseil a une jurisprudence constante face à la détention des familles en centre fermé, enchaîne Benoît Van Keirsbilck (« Mineurs en exil »). »Elle les libère et l’Office des étrangers les (ré)enferme. » C’est précisément pour permettre un contrôle accru du pouvoir judiciaire que le PS adéposé deux propositions de loi, il y a deux semaines. Elles devraient prochainement être à l’ordre du jour des commissions de la Chambre. Le CDH5, quantà lui, rappelle qu’à de multiples reprises, il a interpellé et interrogé le ministre de l’Intérieur sur cette situation « inacceptable ». JoëlleMilquet, lors de sa dernière visite au centre 127 bis de Steenokkerzeel, ainsi qu’une délégation du CDH qui s’y est rendue récemment ont dénoncéla présence de ces enfants dans les centres fermés. Les sociaux-chrétiens soulignent encore qu’au titre de la Convention des droits de l’enfant, signée par laBelgique, l’enfermement de jeunes mineurs dans de tels centres viole les engagements de la Belgique. Le CDH interpellera le ministre de l’Intérieur la semaine prochaine auParlement.
Le regroupement familial au centre des attentions
Comme celles de la procédure d’asile, les règles du regroupement familial vont être modifiées considérablement.
La directive européenne sur le regroupement familial est plus restrictive que notre législation. Les innovations le sont donc aussi. L’âge pour le regroupement des conjoints vapasser de 18 à 21 ans. Cette mesure est présentée comme une manière de mieux lutter contre les mariages forcés. De même, le conjoint arrivant devra attendretrois ans avant d’obtenir un titre de séjour définitif. Pendant les deux premières années, l’Office des étrangers va contrôler la réalité de lacohabitation. Au cours de la troisième année, on pourra toujours mettre fin au regroupement familial s’il y a des indices de fraude. Les femmes victimes de violence pourront, elles,conserver leur titre de séjour.
Le PS était résolument hostile à la condition de revenus suffisants pour bénéficier du regroupement familial. Cette exigence ne vaudra que pour les ascendantsdes étrangers établis en Belgique. En Flandre, une polémique est née sur le « phénomène de grands-parents envoyés au CPAS peu de temps aprèsleur arrivée en Belgique ».
1. Cabinet Dewael, rue de la Loi, 2 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 504 85 13 – fax : 02 504 85 00 – courriel : patrick.dewael@ibz.fgov.be ou patrick@dewael.com
2. Communiqué de presse disponible sur www.ps.be
3. Communiqué de presse disponible sur www.ecolo.be
4. Communiqué de presse disponible sur www.cire.be
5. Communiqué de presse disponible sur www.lecdh.be