La huitième enquête (depuis 1986) du Bureau européen de l’OMS, sur la santé des jeunes, vient d’être publiée sous deux volets distincts : la santé engénéral et les assuétudes. L’objectif est d’outiller les décideurs et les acteurs de la promotion de la santé avec des données objectives afin de mieuxcibler les politiques de prévention.
« Mieux vaut être riche et en bonne santé que pauvre et malade. » Au risque de paraître cynique, l’aphorisme mérite d’êtredécliné : « Pour être en bonne santé et bien dans sa peau, mieux vaut être riche, vivre dans une famille unie et suivre des études d’enseignementgénéral. » Ou encore : « Quand les parents boivent, les enfants trinquent », ou « Quand papa est au chômage, les enfantsfument. » On s’en doutait, les facteurs socio-économiques, familiaux et scolaires déterminent de façon évidente la qualité de l’alimentation, du sommeil,des activités physiques pratiquées, de l’estime de soi et des assuétudes. Élémentaire, encore faut-il chiffrer ce que les disparités sociales peuventproduire d’injustices en termes de santé et de bien-être. Depuis 1986, l’Organisation mondiale de la santé préconise l’organisation d’une vaste étude sur « lasanté et le bien-être des jeunes ». Menée régulièrement (tous les 2 ou 4 ans) dans une quarantaine de pays ou régions, elle a étéréalisée par l’École de santé publique de l’ULB pour la Communauté française sous forme de deux études statistiques et analytiques1. Leschiffres sont éclairants et, une fois encore, ils confirment bien que les inégalités sociales ont un impact négatif précoce sur le bien-être et ledéveloppement des jeunes.
La pression sur les filles
Ce qui ressort de la première étude concernant la santé et le bien-être de manière générale, c’est que certaines catégories de jeunes sontsignificativement plus défavorisées que d’autres. Au niveau des genres, d’abord : les statistiques montrent que 53,2 % des filles (pour 27,9 % des garçons) n’ont pas oupeu confiance en elles et que 42,5 % des filles (pour 28,2 % des garçons) se sentent peu capables de s’en sortir2. De même, alors que les filles ont globalement un moded’alimentation un peu plus sain que les garçons et présentent moins de surcharge pondérale (11,9 % contre 16,1 % chez les garçons), elles sont environ une surdeux, entre 13 et 22 ans, à se considérer comme « un peu ou beaucoup trop grosses ». Un taux d’insatisfaction qui augmente avec l’âge (de 36,8 % entre 9 et 12 anset jusqu’à 55,5 % entre 18 et 22 ans). Ceci explique qu’une jeune fille sur quatre suivait un régime au moment de l’enquête, pour un garçon sur dix3.L’étude note sans surprise que les filles sont soumises à une « pression bien plus grande de l’idéal corporel », ce qui explique la mauvaise image de soi et lapropension à suivre des régimes ou à sauter des repas… « Mais les garçons ne sont pas non plus épargnés par les messages médiatiques,seulement, l’idéal pour eux s’apparente plus au corps athlétique qu’à la minceur ; ils pratiquent d’ailleurs davantage d’activités physiques que les filles.»4 Les auteurs suggèrent donc de mener des campagnes de prévention ciblées, notamment pour encourager la pratique sportive chez les filles et une hygiènealimentaire plus saine pour les garçons.
La filière scolaire influence également fortement la qualité de la santé des jeunes : ils sont quasiment deux fois plus nombreux à présenter unesurcharge pondérale dans l’enseignement professionnel que dans l’enseignement général (22,1 % contre 11,9 %)5. Des chiffres à mettre en relation avec laqualité des aliments, la régularité des repas et le type d’activités pratiquées, étant entendu que la consommation excessive de télévision estun facteur de risque supplémentaire. En ce qui concerne les assuétudes, le second rapport relève que, là encore, les jeunes issus des milieux les plusdéfavorisés et/ou suivant des filières scolaires dévalorisées ont statistiquement plus de conduites de risques. Il en va ainsi pour la consommation d’alcool ou decannabis. Notons que si la consommation globale d’alcool reste stable chez les jeunes, le phénomène de biture express ou binge drinking est en progression. À cesujet, le rapport rappelle utilement que « le tribut des décès attribués à l’alcool dans l’Union européenne est estimé à 195 000 personnespar an », dont 55 000 jeunes. Éloquent…
La famille, un facteur déterminant
En ce qui concerne le tabagisme des jeunes, il a tendance à diminuer ces dernières années mais la consommation de tabac reste toujours plus élevée chez lesadolescents inscrits dans les filières techniques et professionnelles que chez ceux qui suivent l’enseignement général. Elle est aussi trois fois plus élevée chezles jeunes qui vivent en home – et n’ont pas ou peu de liens avec leurs parents – que chez ceux qui vivent dans une structure familiale comprenant les deux parents (32,8 % contre 10,8 %).Une proportion que l’on retrouve pour l’usage du cannabis : 7,9 % d’usagers quotidiens pour les jeunes vivant en home et 2,5 % pour ceux vivant avec leurs deux parents.
Toujours au rayon des assuétudes, le second rapport relève également que 55 % des jeunes regardent la télévision au moins deux heures par jourd’école et que 16,8 % la regardent même plus de quatre heures par jour. Énorme ? Les jeunes wallons sont pourtant loin des moyennes européennes (et flamandes)où 70 % des adolescents de 13 ans regardent quotidiennement plus de deux heures leur écran ! En revanche, l’addiction aux jeux vidéo ou sur ordinateur a tendanceà croître. Là encore, le niveau socio-économique des parents, le type d’études et les structures familiales (famille unie, recomposée, mono-parentale ou vieen home) ont une influence nette sur les addictions médiatiques.
Le facteur de la composition familiale se révèle souvent très pertinent au vu des différences qui peuvent exister entre les jeunes. « Le type de famille est sansconteste un facteur qui interagit fortement avec le niveau d’aisance matérielle, de sorte que certains enfants sont manifestement en situation de cumul de déterminantsdéfavorables à la santé », estiment les chercheurs. Ils ajoutent que « le pouvoir d’achat des ménages connaît actuellement une diminution sensible, avecdes conséquences négatives prévisibles pour certaines famille
s en ce qui concerne leur capacité d’acheter des aliments favorables à la santé.»6 Dans le même ordre d’idée, une famille aisée pourra plus facilement offrir des loisirs « sains » à ses enfants – sports, coursartistiques – qu’une famille modeste, où la télévision peut constituer l’essentiel des loisirs accessibles. La boucle du cercle vicieux est bouclée.
Dans leurs conclusions, les auteurs insistent donc sur la nécessité de construire des approches différenciées de prévention en fonction notamment du genre et desfilières scolaires. « La promotion de la santé pour tous les jeunes doit se baser sur des déterminants spécifiques des inégalités sociales desanté chez les jeunes : par exemple, les campagnes contre le tabagisme ne servent à rien pour diminuer les inégalités sociales liées au tabagisme, il faut agirsur les facteurs favorables à la prévention/réduction du tabagisme dans les groupes défavorisés mais également offrir un soutien aux famillesfragilisées. »
1. Godin I., Decant P., Moreau N., de Smet P., Boutsen M., La santé des jeunes en Communauté française de Belgique et Favresse D., de Smet P., Tabac, alcool, drogueset multimédias chez les jeunes en Communauté française de Belgique, Résultats de l’enquête HBSC 2006, Service d’information promotion éducationsanté (Sipes), ESP-ULB, Bruxelles 2008. Les documents sont téléchargeables gratuitement et dans leur intégralité sur le site :
http://ulb.ac.be/esp/sipes, onglet « publications ».
2.« Santé des jeunes », p. 23.
3. Op. cit. p. 48.
4. Op. cit. p. 55.
5. Op. cit. p. 47.
6. Op. cit. p. 56.