Un document pointe du doigt les mineurs étrangers non accompagnés d’origine maghrébine. Leur attitude ferait atteindre à la fonction de tuteur ses dernièreslimites. Derrière les déclarations à l’emporte-pièce, des difficultés existent. Ces mineurs qui migrent pour des raisons économiques n’acceptent pas toujoursle suivi d’un tuteur. Il faut dire qu’ils subissent de multiples discriminations.
Petite devinette. Qui a écrit, à propos de jeunes Maghrébins : « Ils espèrent trouver du travail et s’installer chez nous sans autre forme deprocès », « tous veulent gagner de l’argent (facile !) », « en Belgique, leurs rêves (fille, fric, frime) s’écroulent »? Réponse : l’association A&A, comme Aide et assistance aux mineurs étrangers non accompagnés et à leurs tuteurs1, à propos des Mena non demandeursd’asile d’origine maghrébine.
Lorsqu’on évoque la dérive un tantinet stigmatisante d’un tel discours, Claude Fonteyn, fondateur de l’association, assoit ses dires sur un hypothétique principe deréalité : « Je ne veux pas rentrer dans un système de stigmatisation, mais sur le terrain c’est ce que les jeunes disent. Quand certains commettent des délits,c’est pour du vol de fringues ou de voitures (et des BMW). » Ces assertions font bondir d’autres acteurs impliqués auprès des Mena. Anne-Françoise Béguin, de laplate-forme Mineurs en exil2, dénonce de « grandes stigmatisations aussi dangereuses les unes que les autres ». Quant à Bernard Georis, directeur duService des tutelles3, il insiste sur la multiplicité des parcours : « Une étude a été réalisée au Maroc sur le départ demineurs non accompagnés. Les profils sont variés. Il y a des mineurs de la rue, en rupture familiale, il y a des jeunes plus aisés qui veulent voyager et il y en a d’autres quipartent pour envoyer de l’argent à la famille. » Si personne ne nie que la migration de ces jeunes est essentiellement motivée par des raisons économiques, leur vie,en Belgique, n’est pas de tout repos, comme l’affirme le tuteur Arthur Baes : « Beaucoup de ces Mena doivent trouver un peu d’argent pour survivre, tout simplement. Ils vivent dans dessquats, avec peu d’hygiène, sans vêtements propres, c’est l’horreur… » C’est ce que confirme Bernard Georis : « Quand il y a de la délinquance, c’estsurtout de la débrouille. »
Ces Mena non demandeurs d’asile qui subissent des discriminations
Derrière les commentaires à l’emporte-pièce d’A&A, un vrai problème est soulevé. Celui des Mena non demandeurs d’asile, et en particulier d’originemaghrébine, qui vivent souvent dans des conditions déplorables et dont les relations avec les tuteurs peuvent s’avérer problématiques.
On le sait, la crise de l’accueil des demandeurs d’asile est interminable. Les Mena non demandeurs d’asile en font les frais. Ils ne sont plus accueillis nulle part à moins que leurstuteurs n’introduisent une requête unilatérale devant le tribunal du travail. Dans ce cas, c’est dans un hôtel qu’ils seront accueillis, sans accompagnement social. De plus, cepublic n’a pas de réel droit au séjour en Belgique. Il est « toléré », comme nous l’explique Léon Janssens, vice-président del’Association des tuteurs francophones4 : « Ces Mena reçoivent des obligations de quitter le territoire (OQT) qui ne sont pas appliquées par l’Office desétrangers. Mais à 18 ans, on les met à la porte, ils n’ont pas de perspective de séjour. » Ces Mena subissent donc des discriminations, et notamment àl’école : « Les jurys d’intégration dans les écoles n’acceptent que des Mena demandeurs d’asile, les non-demandeurs d’asile sont obligés d’aller dans leprofessionnel, sinon ils n’auront pas d’équivalence », s’épanche Léon Janssens.
Selon Claude Fonteyn, le vrai problème est plutôt que ces jeunes refusent l’aide des tuteurs. Il constate une augmentation du nombre de Mena non demandeurs d’asile originaires duMaghreb, ce que ne nie pas Bernard Georis. Selon ce dernier, 124 Mena marocains ont été enregistrés en 2008 par le Service des tutelles contre 221 en 2009, 111 algériensen 2008, pour 304 en 2009. Et encore, beaucoup ne sont pas signalés. Parmi les explications de ce phénomène, Bernard Georis évoque une observation du terrain qui demandeencore à être vérifiée : « Beaucoup viendraient d’Espagne, qu’ils quitteraient à cause de la crise économique, pour rejoindre laBelgique, pour rejoindre la communauté. » La motivation de ces jeunes étant essentiellement d’ordre économique, l’assistance d’un tuteur ne serait pas la bienvenue,car le tuteur, aux yeux de ces jeunes, représente un contrôle supplémentaire. Claude Fonteyn déplore cet état de fait : « Ces jeunes ne viennentgénéralement pas voir spontanément les organisations d’aide aux étrangers : la plupart du temps, ils sont interceptés par la police. On introduit le recours pourleur trouver un accueil. On leur dit qu’ils ne peuvent pas travailler, qu’on doit les aider à s’intégrer et qu’ils ont une obligation scolaire. Alors, ils disparaissent. Dans ces cas,le système de la tutelle a atteint ses limites. Il faut une autre stratégie. Plutôt que de désigner automatiquement un tuteur pour un Mena, il faudrait peut-êtrepasser par des structures d’accueil psychosociales avec un encadrement, peut-être dans des Services d’aide en milieu ouvert (AMO). Il faudrait des sortes de sas avec de la sensibilisationcollective, car en individuel cela crée une relation d’ordre parent/enfant qui est elle-même perturbée, et je n’ai pas envie d’endosser l’habit du pèrealgérien. »
Le tuteur est toujours pris au dépourvu
Sur le terrain, Arthur Baes confirme que beaucoup de ces jeunes disparaissent. Il aimerait que leur accueil s’organise autrement : « Le tuteur est toujours pris au dépourvu. On atrès peu de temps pour entamer des démarches. Il faudrait que le jeune soit stabilisé quelques semaines. On voudrait que l’ensemble des jeunes non demandeurs d’asilereçoivent un titre de séjour de trois mois pour qu’on prenne le temps de travailler avec eux. Pour l’instant, ils sont à peine tolérés. » Le directeur duService des tutelles, Bernard Georis, n’écarte pas l’idée d’un accompagnement de groupe, plus spécialisé, car il constate aussi que cette population disparaîtrégulièrement : « Ils disparaissent et réapparaissent. Ils vivent dans des structures alternatives. On a quelques solutions, par exemple dans des AMO, des petits trucstemporaires pour ceux qui sont plus vulnérables. Il faut une prise en charge spécialisée, comme chez Synergie 14. Il faut aussi travailler avec les pays d’origine, mais pourç
;a il faut des moyens. »
Synergie 14 est une structure qui offre notamment un accueil d’urgence à des Mena non demandeurs d’asile. Vinciane Gilet y est assistante sociale. Plutôt que de s’attarder sur lesdisparitions à répétition de ces jeunes, elle s’interroge sur leurs causes : « Il n’y a pas de place pour eux chez Fédasil. Ils n’ont pas la même chanceque les autres d’entamer des projets. S’ils étaient envoyés vers une structure pour Mena de Fédasil, avec un encadrement adapté et des perspectives en termesd’accès aux papiers, cela favoriserait quand même leur intégration. Pour l’instant, ils sont reçus avec des ordres de quitter le territoire. Certains ont un parcours de ruequi nécessite un travail spécifique, un accompagnement plus individuel, d’une plus grande flexibilité pour les aider à s’accrocher, pour ne pas sombrer dans ladélinquance. Car certes, ils sont venus pour gagner de l’argent, mais s’ils pouvaient y arriver grâce à un projet qui passe par la scolarité et les papiers celapourrait être intéressant. »
Mieux former les tuteurs
Au sein de la plate-forme Mineurs en exil, on préfère recentrer le débat sur le rôle des tuteurs. « Certains de ces jeunes ne comprennent pasl’intérêt d’avoir un tuteur (la question de l’information et de la mission de celui-ci n’est pas toujours claire pour le Mena). Une solution seraitpeut-être de mieux former les tuteurs à ces populations spécifiques, car il est important qu’un tuteur s’adapte aux pupilles. Enfin, il faut rappeler que le tuteur n’est pas unpère de substitution, son rôle, c’est de veiller au respect des droits des Mena et de les assister. »
Qu’ils viennent pour « le fric » ou pour « les filles », une chose est sûre, les Mena non demandeurs d’asile cumulent les difficultés etles handicaps et sont souvent contraints de vivre dans la précarité. Et ça, il serait dommage de l’oublier.
1. A&A :
– adresse : rue de l’Argayon, 5 à 1400 Nivelles
– tél. : 067 84 04 89
2. Plate-forme Mineurs en exil :
– adresse : rue du Marché aux poulets, 30 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 210 94 91
– site : www.mineursenexil.be
3. Service des tutelles, SPF Justice :
– adresse : place de Louvain, 4 à 1000 Bruxelles
– tél. : 078 15 43 24 ou 02 542 70 80
– courriel : tutelles@just.fgov.be
4. Association des tuteurs francophones :
– adresse : chée Reine Astrid, 104 à 1420 Braine-l’Alleud
– courriel : atf-mena@hotmail.com
5. Synergie 14 :
– adresse : rue Wéry, 92 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 646 96 70
– site : www.synergie14.be
– courriel : contact@synergie14.be