D’après un rapport d’enquête du médiateur fédéral, remis au Parlement à la mi-janvier 2019, le fisc procéderait de manière assez stricte dans le cadre des procédures de recouvrement des dettes fiscales, avec pour objectifs principaux l’efficacité et l’efficience. Sans toujours tenir compte des situations délicates dans lesquelles se trouvent certains contribuables en difficulté.
Chaque année, quelque 200 contribuables s’adressent au médiateur fédéral pour faire état de difficultés liées au recouvrement de leurs dettes fiscales: ils espèrent trouver un accord sur un plan de paiement ou se plaignent des poursuites engagées à leur encontre. Autre donnée pertinente: le service de conciliation fiscale, service autonome au sein du SPF Finances, a traité en 2017 1.614 demandes en conciliation, toujours concernant ces mêmes recouvrements. La même année, l’Administration générale de la perception et du recouvrement (AGPR), dont la charge est de collecter et de recouvrer l’impôt, avait effectué 191.144 poursuites indirectes (saisies sur salaire ou auprès du contribuable) et confié 135.374 dossiers aux huissiers de justice pour récupérer les impôts impayés. Voilà pour les chiffres.
Pour ce qui est des pratiques de terrain, en janvier 2014, la Cour des comptes avait rendu un rapport préconisant des mesures fiscales en faveur des contribuables en difficulté de paiement1. Ce rapport s’appuyait sur une diminution de la responsabilité pécuniaire personnelle du receveur, permettant de mettre en place des procédures et d’établir un droit subjectif en faveur du citoyen en matière de plans de paiement, plutôt que de s’en remettre aux seules faveurs du fonctionnaire en charge de son dossier. En effet, avant 2011, le receveur détenait la compétence exclusive d’accorder ou de refuser des facilités de paiement. Le fisc a partiellement entendu cette demande en établissant des procédures de récupération valables pour tous. Mais celles-ci ont été essentiellement basées sur le caractère impérieux de récupérer les sommes dues endéans les douze mois (voir encadré: «Quelle politique de recouvrement?»), vu le caractère cyclique annuel de la dette et le constat statistique qu’au-delà d’une année, le taux de récupération des créances diminue drastiquement. Des notions telles que le datamining, permettant de déterminer la mesure de recouvrement la plus adéquate, le «Delphi score» attribuant à chaque contribuable un profil de solvabilité sur douze mois ou les indicateurs de performance (ou «key performance indicator») ont fait leur apparition dans le vocabulaire du fisc.
Une réorganisation de l’administration fiscale
De profondes mutations ont été implémentées au sein de l’administration fiscale, ces dernières années. Selon le rapport d’enquête du médiateur fédéral, l’AGPR, confrontée à des restrictions budgétaires et au non-remplacement du cadre, a mis en place une organisation orientée «Processus» et «Résultats», qui ne rime pas forcément avec «prise en compte des situations individuelles». Les points de contact ont été réduits et l’accent a surtout été mis sur les prestations de service numérique.
Les premiers changements datent de janvier 2014, avec la mise en place du Centre de perception et de Centres régionaux de recouvrement, traitant tous les types d’impôts (IPP, TVA, recouvrement non fiscal des créances alimentaires et des amendes pénales). Des Teams Perception ont été créés en janvier 2015 pour collecter l’impôt et des Teams Recouvrement, en juillet 2015, afin de récupérer l’impôt impayé.
Désormais le contribuable ne doit plus se présenter qu’auprès d’un seul bureau de recouvrement pour toutes ses dettes fiscales, dans une approche plus «orientée citoyen».
En 2017, onze Infocenters ont été mis sur pied constituant le premier point de contact du citoyen pour la plupart de ses démarches auprès de l’administration fiscale.
Pour une égalité de traitement différenciée
S’inquiétant du sort des contribuables qui veulent, mais ne peuvent pas payer leurs impôts, le médiateur fédéral a procédé à une enquête, menée en 2018, visant à éclairer la façon de procéder de l’AGPR. Deux questions principales ont guidé ces travaux: y a-t-il un équilibre entre les objectifs d’efficience et d’efficacité du recouvrement, la préservation des intérêts du citoyen et les coûts sociétaux du recouvrement? La politique de l’AGPR apporte-t-elle des solutions adéquates aux situations particulières rencontrées par certaines catégories de contribuables? Nous avons rencontré Catherine De Bruecker, médiatrice fédérale francophone, pour en savoir plus sur les réponses apportées à ces deux questions, ainsi que sur les recommandations émises par son service.
Sur le plan des constats, il ressort de l’analyse des dossiers que la détermination des charges du contribuable par le fisc semble peu étayée. 1.300 euros pour un isolé, 1.600 pour un couple, augmentés de 150 euros par enfant à charge: des montants forfaitaires fort limités pour l’ensemble des charges d’un ménage et surtout peu calibrés par rapport aux situations particulières (disparités géographiques et coût de l’immobilier, engagements spécifiques du contribuable). En fonction de ces montants, le fisc détermine le disponible restant pour payer ses dettes fiscales. Selon Catherine De Bruecker, «cette définition des charges détermine une capacité de remboursement très théorique, mais qui conditionne très concrètement le nombre de mois accordés par le fisc au citoyen pour régler sa dette, parfois bien en deçà de la limite des douze mois. Concernant les contribuables vivant en couple, ces barèmes de charges se révèlent particulièrement problématiques car ils sont bien en deçà du seuil des revenus saisissables d’application dans ce cas de figure. Nous recommandons dès lors l’utilisation des budgets de référence qui sont un outil qui permet de chiffrer de manière individuelle les charges d’un ménage pour mener une existence conforme à la dignité humaine et qui est appliqué dans les CPAS. Une démonstration de cet outil a été organisée en novembre dernier par le SPP Intégration sociale pour le fisc». Autre source de difficultés dans les dossiers: les circonstances particulières permettant de s’écarter des forfaits de charges, mais pour laquelle il existe une grande disparité d’appréciation, selon les agents. «Pour certains, ces circonstances se limitent à des problèmes de santé ou à une perte d’emploi; pour d’autres, l’approche est plus souple. Cette disparité de traitement est problématique et le contour de ces circonstances particulières devrait être précisé», recommande la médiatrice fédérale. Les retenues insuffisantes de précomptes professionnels, notamment pour des travailleurs qui cumulent deux contrats de travail, sont également citées comme des situations qui peuvent mener au surendettement. «Le paiement de versements anticipés ou une retenue volontaire de précompte professionnel sont deux pistes à explorer.» Enfin, concernant le règlement administratif de dettes, procédure assez restrictive qui permet de dépasser le délai de douze mois pour le remboursement d’une dette fiscale, la médiatrice fédérale préconise un meilleur accès à cette procédure, «notamment en associant les services de médiation de dettes qui devraient pouvoir suggérer le recours à ce règlement administratif de dettes et collaborer à sa mise en œuvre».
Quelle politique de recouvrement?
Les Infocenters détiennent la compétence exclusive en matière d’octroi de plans de paiement, à l’exception des dossiers où une mesure de recouvrement est déjà engagée ou ceux qui présentent une dette bloquante (une autre dette en recouvrement ou pour laquelle un plan de paiement n’a pas été accordé ou respecté). Ces dossiers-là sont traités par les Teams Recouvrement. Les demandes de plans de paiement peuvent être introduites via le portail en ligne www.myminfin.be, par mail, par courrier auprès de l’Infocenter, ou sur place (sans rendez-vous de 9 h à 12 h), mais sans possibilité de contact téléphonique.
Avant 2011, les possibilités de plans de paiement étaient laissées à la discrétion de l’administration fiscale. Des procédures très strictes ont été mises en place depuis par l’AGPR, obligeant les remboursements des dettes fiscales, endéans un délai maximal de douze mois. Pour le surplus, l’administration fiscale renvoie vers d’autres procédures comme le règlement collectif de dettes, la surséance indéfinie ou encore vers les établissements de crédit, pour réaliser un emprunt afin de rembourser ses dettes fiscales.
Alors qu’aucune exception n’était prévue à ce délai d’une année, depuis le 1er juin 2018, une nouvelle procédure de règlement administratif de dettes a été implémentée: elle ne concerne néanmoins que les contribuables présentant uniquement des dettes fiscales ou de petites dettes privées.
Beaucoup de poursuites et pas assez d’infos
Autre volet de l’enquête: les poursuites mises en œuvre pour le SPF Finances. Selon le rapport d’enquête, les objectifs de performance, voire de quotas, imposés aux receveurs les conduisent parfois à une approche trop stricte des instructions et à des poursuites disproportionnées ou préjudiciables car lancées simultanément. «Dans certains cas, les sommes exigées par l’AGPR laissent moins que le revenu d’intégration sociale aux contribuables, alors qu’il s’agit du strict minimum pour pouvoir mener une vie décente.» Enfin, dès le moindre faux pas dans l’exécution du plan de paiement, celui-ci peut être révoqué, alors qu’un contact personnalisé aurait sans doute permis de régulariser la situation. Pour Catherine De Bruecker, «il conviendrait de mettre en place un code de bonne conduite pour le recouvrement des dettes fiscales. Mais l’AGPR semble vouloir passer par la formation dispensée aux fonctionnaires ou d’autres voies en interne pour communiquer ses instructions, ce qui n’est pas forcément la méthode la plus transparente». Autre problème: l’envoi systématique d’un commandement de payer par l’huissier de justice, alors qu’un simple rappel de paiement pourrait précéder cet acte coûteux (entre 150 et 400 euros) et semble atteindre le but recherché. Toujours concernant les huissiers, les pratiques de ces derniers devraient être évaluées, notamment en termes de coûts pour les contribuables, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Quant à l’accessibilité et la communication, il semble que bien des efforts pourraient être réalisés, notamment pour les publics fragiles et peu au fait des nouvelles technologies, pour lesquels la voie numérique n’est pas la plus adéquate. À cet égard, des experts du vécu ont été mis en relation avec les Infocenters qui sont les points de contact de la population avec le fisc: ces experts du vécu sont là pour aider les contribuables mais aussi les fonctionnaires à mieux appréhender les besoins du public. L’accessibilité téléphonique, ainsi que physique, doit être renforcée, avec une plus grande publicité de toutes les procédures existantes, et notamment le règlement administratif de dettes.
À la sortie du rapport d’enquête qui comprend 20 recommandations concrètes2, le ministre fédéral des Finances, Alexander De Croo (Open VLD), a demandé que le SPF Finances se saisisse des recommandations du médiateur fédéral et propose rapidement un plan transposant celles-ci. Une audition en Commission de finances de la Chambre a eu lieu le 12 février dernier. Gageons que l’intervention du médiateur fédéral pourra mener à une meilleure prise en compte des publics fragilisés par le fisc.
- https://bit.ly/2DsgWc7
- À consulter sur le site du médiateur fédéral: https://bit.ly/2HeEkiv.