Le bracelet électronique permet d’exécuter une peine (ou une partie de celle-ci) à son domicile. Quand on n’a pas de toit, l’accès au dispositif se restreint. À Bruxelles et en Wallonie, certaines maisons d’accueil hébergent des personnes sous surveillance électronique. Mais les places sont rares et la cohabitation est parfois difficile.
Cette préoccupation pour les personnes qui sortent de prison, la maison d’accueil l’Îlot à Jumet l’a dans son ADN. Depuis sa création, elle accueille d’anciens détenus à côté de publics plus «classiques» issus de la rue. Horaires de sortie, obligations judiciaires, projet de réinsertion et revenus, entre les deux types d’habitants de la maison, tout diffère. Le suivi social à mettre en place pour les accompagner aussi, comme l’explique Henri Damas: «Les personnes qui viennent de la rue arrivent chez nous sans projet. Elles doivent se poser et réapprendre à avoir des règles. Les ex-détenus, c’est la démarche inverse. Ils ont été soumis à de très fortes règles en prison. On essaye de maintenir un cadre et de ne pas leur donner trop de liberté tout d’un coup. Certains ont déjà du mal à ce qu’on leur laisse la clef de leur chambre.»
«Cette semi-liberté est difficile à vivre, confirme Julie Turco, de la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA). Surtout quand les règles sont différentes que pour les autres publics. Les personnes ne sont pas forcément prêtes psychologiquement.» L’idéal est que le détenu puisse aller prendre la température du lieu avant sa sortie de prison au cours de ses congés pénitentiaires. Une occasion de découvrir l’espace, la vie en communauté, mais aussi le règlement intérieur de la maison.
Le règlement peut être difficile à respecter en raison des contraintes techniques liées à la surveillance électronique: les horaires, stricts, d’entrée et de sortie, et le fait de devoir demeurer dans un périmètre mesuré par les bons soins du technicien du centre de surveillance électronique (lire à ce propos «La vie sous surveillance électronique», Alter Échos n°472). Parfois l’espace autorisé ne recouvre pas l’ensemble de la maison, mais la chambre et l’étage seulement, entraînant une impossibilité pour la personne de participer à la vie collective. Ou alors il empêche de se promener dans le jardin ou dans la cour, contrariant une soudaine envie de fumer une cigarette.
«S’il n’avait pas été sous bracelet, on aurait remis en cause son hébergement. Pour lui, cela voulait dire un retour en prison.» Yaël Abdissi et Elise Pietrons, maison d’accueil Source-La Rive.
La gestion d’addictions à l’alcool, la cocaïne ou l’héroïne se révèle également plus complexe qu’avec un public «classique». «En gros, pour tout ce qui se passe en dehors de la maison, on reste tolérant, explique Henri Damas. Mais, avec le bracelet et ses contraintes techniques, cela ne facilite pas les choses.» Ces contraintes poussent les habitants sous bracelet à enfreindre les règlements. Elles encouragent, aussi, les travailleurs sociaux à ne pas appliquer les règles de la même manière.
Bien que survenant dans une philosophie de non-jugement et non répressive, certaines transgressions doivent donner lieu à des sanctions. Ici, elles peuvent être lourdes de conséquences: un retour à la case prison. «Le premier qu’on a accueilli dépassait largement les limites, se remémorent Yaël Abdissi et Elise Pietrons, de la maison d’accueil Source-La Rive à Bruxelles. S’il n’avait pas été sous bracelet, on aurait remis en cause son hébergement. Pour lui cela voulait dire un retour en prison. Nous sommes dans une position compliquée. Nous ne travaillons pas dans une politique de sanction. Mais il nous arrive d’exclure, par exemple pour 24 heures. Avec une personne sous bracelet, ce n’est pas possible d’appliquer le règlement de la même manière.»
Et Julie Turco d’ajouter aussi: «Souvent, le centre de surveillance s’attend que la maison d’accueil fasse respecter les obligations de la justice. Une maison d’accueil doit être garante du bon fonctionnement du séjour. Mais les travailleurs ne veulent pas de cette position de contrôle du déroulement de la peine.»
Un accès difficile
Cette inconfortable juxtaposition entre deux logiques, l’une sociale et l’autre judiciaire, mais surtout de nombreuses difficultés d’ordre technique ont poussé plusieurs maisons à mettre un terme à l’accueil de personnes sous bracelet électronique. Aujourd’hui, neuf maisons en Wallonie et une à Bruxelles ouvrent leur porte à ce public. Pourtant les demandes ne font qu’augmenter. «Ces personnes sont prioritaires sur notre liste d’attente, précisent Yaël Abdissi et Elise Pietrons. Mais comme la rotation chez nous est assez faible, il y a toujours un risque qu’il n’y ait pas de place et que le projet de bracelet doive être reporté.»
«Les travailleurs ne veulent pas de cette position de contrôle du déroulement de la peine.» Julie Turco, de la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA).
Les places sont limitées dans un secteur déjà saturé. En outre, le profil judiciaire de l’ex-détenu et les critères d’admission des maisons ne favorisent pas toujours l’accessibilité à ces hébergements. La durée de séjour par exemple doit correspondre à la temporalité de la peine, au risque de renvoyer la personne derrière les barreaux. Le passé carcéral du détenu peut aussi jouer en sa défaveur: impossible d’introduire une personne condamnée pour des faits de mœurs dans une maison qui accueille familles et enfants.
Autre facteur discriminant, les ressources financières des personnes sous surveillance électronique. Celles-ci ne bénéficient pas du revenu d’intégration sociale (RIS), mais d’un revenu de remplacement du SPF Justice. Le hic, c’est que celui-ci, s’il était aligné sur le RIS jusqu’en 2006, n’a jamais été indexé depuis lors. Une personne isolée se retrouve donc avec un revenu journalier de 20,85 euros pour une personne isolée. Cette maigre allocation se révèle être un frein à tout projet de réintégration dans un logement (notamment par la constitution d’une petite épargne pour une garantie locative et des meubles) mais elle est également un critère de refus de ce public dans certaines maisons, déplore Kris Meurant, coordinateur social de l’asbl Transit et président de la Fidex (Fédération bruxelloise des institutions pour détenus et ex-détenus).
Maisons de transition, une solution alternative?
Une «maison de transition» pourrait voir le jour d’ici un an à Bruxelles, a-t-on appris en décembre dernier. Projet pilote du ministre des Maisons de justice, Rachid Madrane, cette maison d’une vingtaine de places serait «une sorte de trait d’union entre la sortie de prison et la réinsertion dans la société». Des détenus tout juste libérés, mais aussi des personnes sous bracelet électronique ou en libération conditionnelle pourraient intégrer l’initiative.
«Je suis un peu sceptique sur l’aspect ‘ghetto’ du projet: ce sont tous des gens du même profil, commente Julie Turco. Dans les maisons d’accueil, on essaye de favoriser la mixité des profils. Beaucoup de maisons souhaiteraient faire plus avec ces personnes, mais n’ont pas la possibilité de le faire. Ce serait intéressant de les soutenir.»