Il y a une quinzaine de jours, les médias belges et français s’émouvaient du phénomène de la «taxe rose», à savoir le fait que les femmes paient plus cher que les hommes pour une série de produits. C’est le collectif français Georgette Sand (voir son tumblr) qui a mené l’enquête. «Le marketing genré, en segmentant le marché entre filles et garçons, véhicule des stéréotypes, pousse à la surconsommation et inflige une taxation spécifique aux femmes» peut-on lire sur son site. Alors que les femmes sont toujours, en France, moins bien rémunérées que les hommes, s’indigne le collectif. (En France, les femmes gagnent 24% de moins que les hommes; elles occupent 82% des emplois à temps partiel; le revenu moyen des hommes non salariés est de 40% supérieur à celui des femmes; la retraite des femmes est inférieure de 42% à celle des hommes, détaille Georgette Sand sur son site.)
Hema, Auchan, Monoprix… Autant d’enseignes dans le collimateur des Georgette Sand pour leur stratégies de vente «sexuée» de produits (quasi) similaires. Parfois, seule une divergence de couleur explique la vente à des prix différents. Aux États-Unis, des études auraient ainsi évalué à 1.400 dollars (1.120 euros) par an la surtaxe payée par les femmes.
Une accusation qui a amené Monoprix à se défendre: «Les références [de rasoirs jetables] pour les hommes présentent des volumes de vente largement supérieurs aux modèles pour femmes, permettant ainsi un prix d’achat inférieur. De plus, la composition du modèle femme induit un surcoût de fabrication», rapporte Paul Belleflamme, professeur d’économie à la Louvain school of management de l’UCL, dans l’article «La ‘taxe rose’: un genre de prix ou des prix de genre?».
Interdire vs informer
Paul Belleflamme, nous explique dans la revue Regards économiques parue récemment, que l’on se trouve bien dans une situation de «discrimination tarifaire». On entend par là le fait de vendre le même produit (ou des versions légèrement différentes) à différents consommateurs à des prix nets différents, explique-t-il dans son article. «Dans le cas présent, on peut sérieusement douter que le ‘surcoût de fabrication’ qu’invoque Monoprix justifie une différence de 0,19€ à l’unité (…). Ce n’est donc pas une différence de coûts qui explique la différence de prix mais bien une différence de demande: si les femmes paient plus cher, c’est parce que Monoprix s’est rendu compte qu’elles étaient prêtes à payer plus cher que les hommes pour ce genre de produits.»
Rien n’empêche les femmes d’acheter les mêmes produits destinés aux hommes, nous direz-vous? Si ce n’est que ces produits sont souvent rangés dans des rayons différents, et que les femmes comme les hommes devraient «surmonter le conditionnement culturel» dans lequel ils baignent depuis tout petits. «Cela suppose que les femmes (…) réalisent qu’un produit bleu est tout aussi efficace pour elles qu’un produit rose. Tout comme les hommes, pour les mêmes raisons mais pour d’autres produits, doivent se convaincre que le rose leur va aussi bien que le bleu», explique le chercheur.
Faut-il que l’État intervienne et impose un prix uniforme pour les hommes et femmes?, enchaîne-t-il. «Il est clair qu’un prix uniforme plaira aux femmes (qui paieront moins cher) mais déplaira aux hommes (qui paieront plus cher) et à Monoprix (qui aurait appliqué de lui-même un prix uniforme s’il l’avait trouvé profitable)». Il s’agit, pour l’économiste, de prendre en compte le bien-être de chacun. Une interdiction généralisée de la discrimination tarifaire semble excessive, conclut-il. Et de prôner plutôt une meilleure information des consommateurs «pour qu’ils puissent faire leurs choix de manière éclairée». De quoi contenter des Georgette Sand bien déterminées à combattre le sexisme à toutes les sauces?
Lire l’article de Paul Belleflamme : http://www.regards-economiques.be/index.php/index.php?option=com_reco&view=article&cid=146