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Regard critique · Justice sociale

Tête-à-tête

«La transversalité, c’est mon leitmotiv»

Santé, Environnement, Droits des femmes, Égalité des chances, Action sociale… N’en jetez plus: avec ses nombreuses compétences, Yves Coppieters (Les Engagés) est LE ministre du social en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles. Alter Échos est allé à sa rencontre afin de voir comment il comptait s’y prendre.

Clara Van Reeth et Julien Winkel 03-12-2024 Alter Échos n° 520

Alter Échos: Vous êtes une sorte de super-ministre du social. Comment allez-vous jongler avec tous ces portefeuilles?

Yves Coppieters: Quand on m’a proposé ces compétences, j’avoue que ça m’a étonné en termes de charge de travail, de poids des portefeuilles, des différentes thématiques pour un seul cabinet, une seule équipe. Mais la cohérence est venue assez vite. Enfin, on avait l’occasion de lier santé et affaires sociales, ce à quoi on est assez habitué en général, mais aussi d’y ajouter l’environnement, dans sa dimension physico-chimique bien sûr, mais aussi notamment dans sa dimension sociale. J’ai trouvé que le fait d’enfin faire de la santé environnementale, c’est-à-dire agir sur les déterminants environnementaux qui influencent la santé ou le bien-être des individus, c’était une sacrée opportunité. Les principaux déterminants de notre santé, outre l’environnement, ce sont les conditions sociales: conditions de vie, de logement, la non-précarité, les conditions économiques, le fait d’appartenir à une vie sociale riche. L’autre chose positive, c’est que l’on va enfin mettre en œuvre une notion qui me tient à cœur et qui est la santé au cœur de toutes les politiques.

AÉ: Comment?

YC: En convainquant mes collègues de mettre en place des évaluations d’impact en santé/bien-être de toutes les politiques publiques que nous allons valider à l’échelle du gouvernement wallon. L’autre sacrée évolution pour moi – parce que la crise de la Covid-19 nous a appris que si on ne changeait pas notre fusil d’épaule dans la gestion des crises environnementales, on n’allait pas s’en sortir –, c’est la possibilité de faire «one health»: une seule santé animale, humaine et des écosystèmes, même si je n’ai pas la charge de tous les écosystèmes. On pourra amener de nouveaux acteurs – de la santé animale, de la santé environnementale – au sein des futurs plans de promotion de la santé.

J’ai trouvé que le fait d’enfin faire de la santé environnementale, c’est-à-dire agir sur les déterminants environnementaux qui influencent la santé ou le bien-être des individus, et pas de la santé et de l’environnement, c’était une sacrée opportunité.

AÉ: L’idée est de dire que la santé de l’écosystème exerce une influence sur la santé humaine?

YC: Mais bien sûr. Regardez les Pfas. On n’a pas encore parlé de la santé animale par rapport aux Pfas, mais l’intoxication est exactement la même. Or on mange cette viande. Tout est dans tout. La crise de la Covid-19, c’était exactement la même chose. Autre chose très intéressante, c’est qu’avec cette multitude de compétences, on parle de transversalité. Je prends l’exemple du plan de lutte contre la pauvreté, qui est un plan transversal qui était auparavant porté par le ministre-président. Je ne sais pas pourquoi la déclaration de politique régionale a confié ça à un seul ministre (à Yves Coppieters, NDLR), ce n’est pas une bonne idée parce que la lutte contre la pauvreté est systémique et je n’ai pas toutes les composantes de ce système. Mais même si aucune décision n’a été prise et que la presse a pris ça pour argent comptant, je pourrai dire à mon collègue François Desquesnes que s’il décide de remettre en cause la gratuité des abonnements TEC, notamment pour les étudiants, nous avons aussi un Plan de lutte contre la pauvreté à mettre en place, que la précarité étudiante est une réalité et qu’il faut alors voir ce qu’il peut alors mettre en place comme mesure cible pour des groupes plus particuliers. La transversalité c’est mon leitmotiv. On a mis en place deux cellules transversales dans mon cabinet: une cellule dédiée à la santé environnementale et une cellule méthodologique, dans laquelle nous voulons mettre en place une culture de l’évaluation de nos politiques publiques. Il faut qu’on priorise ce qu’on est capable de faire et de modifier en cinq ans.

AÉ: Vous avez l’impression qu’on n’évaluait pas les politiques publiques auparavant?

YC: Non, j’en suis convaincu. On évalue des processus, mais on n’est pas dans des politiques qui incluent l’évaluation d’impact systématique.

On a mis en place deux cellules transversales dans mon cabinet: une cellule dédiée à la santé environnementale et une cellule méthodologique, dans laquelle nous voulons mettre en place une culture de l’évaluation de nos politiques publiques.

AÉ: Évaluer l’impact d’une politique après seulement quelques années, c’est possible?

YC: Non, pas toujours, mais je travaille pour des politiques à long terme. Je sais que je ne peux mener des politiques à court terme dans aucune de mes compétences. Nous n’allons faire que lancer les réformes. On va m’embêter pendant cinq ans sur les Pfas, mais ce que nous mettons en place maintenant est fait pour générer des diminutions dans cinq, dix, quinze ans.

AÉ: La DPR évoque une revalorisation, au sein des allocations familiales, du supplément dédié aux familles monoparentales. Pouvez-vous nous dire ce qui est encore prévu?

YC: Le futur statut des mamans ou papas de familles monoparentales est dans la déclaration de politique régionale et il était dans le programme des Engagés. On prévoit entre autres une augmentation des allocations familiales proportionnelle à certaines caractéristiques. Mais les modalités ne sont pas encore du tout définies: on n’a pas encore défini ce qu’est une famille monoparentale, ce n’est pas juste une maman ou un papa seul avec ses enfants; il y a mille scénarios. En lien avec cela, il y a la suppression du statut de cohabitant, qui est aussi un enjeu de cette législature et fait partie du plan de lutte contre la pauvreté. Ce statut est tout à fait pénalisant sur le plan fiscal.

AÉ: En tant que médecin, vous avez dit que vous vouliez faire de la santé une priorité. Or c’est justement sur la question des soins de santé que les différences de programmes sont les plus marquées entre les Engagés et le MR. Le MR est le seul parti francophone qui ne souhaite pas augmenter la norme de croissance au-delà de la croissance du PIB. Même si cela ressort du fédéral, comment allez-vous gérer cela au niveau régional et communautaire?

YC: En tout cas, c’est une sacrée victoire, déjà, au niveau de la Wallonie, de doubler le budget de la prévention et de la promotion de la santé, qui est passé à 80 millions. Certes, c’est un budget minime proportionnellement à tout ce qu’il faut faire en santé mentale, dans la prévention de l’obésité, des cancers, mais on y est arrivé, et le partenaire de majorité l’a accepté. Quant aux négociations sur la norme de croissance au fédéral: la loi la définit à 2,5% par an. On ne l’a jamais atteinte, on est à 2,3% actuellement. On fait toujours 700, 800 millions d’économies sur cette norme, ce qui n’est pas acceptable. Les besoins sont énormes. Dans notre programme, sur la base des projections du Bureau du Plan par rapport au vieillissement de la population et aux besoins de santé accrus, nous avions dit que nous voulions une norme de 3,5%. Maxime Prévot a accepté de descendre jusqu’à 3%, soit une augmentation de 0,5%, mais pas plus bas, c’est la ligne rouge du parti. Je suis bien conscient que si cette augmentation ne se fait pas, il y aura des répercussions pour la Région et sur la Fédération Wallonie-Bruxelles dans ses dimensions santé.

AÉ: Le gouvernement wallon prévoit un plan «santé mentale», pouvez-vous le détailler?

YC: Le plan de promotion de la santé actuel en Région wallonne comprend un axe santé mentale, qui s’ajoute à toute une série de financements complémentaires depuis la crise de la Covid, notamment aux psychologues de première ligne, aux aides à domicile et aux soins palliatifs. L’idée est de regrouper ces ressources «dispersées» au sein d’un seul plan: est-ce qu’on va l’ancrer dans le futur plan «promotion de la santé» ou est-ce que ce sera un plan à part? Je n’ai pas encore la réponse. Mais quoi qu’il en soit, on doit aller un tout petit peu plus vite pour la santé mentale que pour le reste.

AÉ: En santé mentale comme en santé, les besoins sont criants, alors que la situation financière de la Wallonie est mauvaise: comment faire un plan à la hauteur des ambitions dans ces conditions?

YC: Il va falloir être inventif, avec des marges de manœuvre… je n’aime pas dire «faibles». On parle de budgets de millions et de millions d’euros. Donc dire qu’on n’investit pas en Wallonie sur ces questions, c’est faux. Les subventions publiques sont énormes. Est-ce que c’est suffisant? Efficace? Rationnel? Ce sont des questions qu’on peut se poser. Mon idée, par exemple, c’est de réorganiser la première ligne de soins, avec le plan «Proxisanté» (la déclaration de politique régionale prévoit une révision «le cas échéant» du décret consacré au plan, NDLR): cela permettra beaucoup plus de pratiques collectives, multidisciplinaires, préventives… Ce plan va nous permettre de développer la santé communautaire, afin d’inciter les gens qui ont des soucis de santé à entrer dans le système de santé. On doit trouver des solutions avec des psychologues et peut-être d’autres métiers (éducateurs, assistants sociaux…) pour certaines prises en charge préventives.

AÉ: Dans une interview donnée au quotidien «Le Soir», le ministre-président Dolimont (MR) évoquait le fait de «sortir de la politique des subsides facultatifs». Or le secteur associatif, qui dépend entre autres de ces subsides, est intimement lié à plusieurs de vos compétences. Que pouvez-vous dire pour le rassurer?

YC: L’ensemble du gouvernement doit économiser 60 millions d’euros dans les subsides facultatifs. Nous voulons sortir de cette vision annuelle des financements, qui ne donne aucune perspective à moyen terme pour les acteurs et engendre des contraintes administratives énormes, du stress pour les employés. Nous voulons développer des projets pluriannuels, sur cinq ans généralement. Les ressources seront un peu moindres mais permettront davantage de pérennisation. Dans les subsides facultatifs qu’on octroie, il y a du vrai facultatif – de nouveaux projets – et beaucoup de facultatif «semi-structurel». Certains sont financés depuis 20 ans… Ces projets-là, il faut les pérenniser. Pour les autres, on va devoir faire des choix: certains seront fâchés, déçus, mais on se basera sur une grille de critères et sur l’expertise des administrations – Aviq, IAS. On veut aussi qu’il y ait une vraie évaluation de l’effet des actions des projets financés.

Nous voulons sortir de cette vision annuelle des financements, qui ne donne aucune perspective à moyen terme pour les acteurs et engendre des contraintes administratives énormes, du stress pour les employés.

AÉ: Mais il y a déjà des grilles d’évaluation…

YC: Tant mieux s’il y en a déjà. Mais l’idée, c’est que ce soit systématique.

AÉ: Vous prévoyez de mettre en place un plan de lutte contre la pauvreté avec des «leviers d’actions simples». La DPR prévoit aussi de rendre cette lutte plus «efficace». Comment comptez-vous vous y prendre?

YC: On veut un plan ciblé sur quelques axes prioritaires. Il y aura l’accès au logement – dont la stabilisation des prix des loyers, l’accès à plus de logements sociaux… Ensuite, l’accès à la santé pour les populations vulnérables, le recours automatique aux droits de base, la mobilité, la formation et l’insertion socioprofessionnelle. On ne veut pas disperser nos efforts. Christine Mahy, du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, est d’ailleurs d’accord avec nous. On n’a pas l’ambition de dire qu’on sera meilleur que les autres, mais si on cible nos ressources sur un nombre restreint d’axes, on aura peut-être plus d’effets.

On n’a pas l’ambition de dire qu’on sera meilleur que les autres, mais si on cible nos ressources sur un nombre restreint d’axes, on aura peut-être plus d’effets.

Agence Alter

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