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Regard critique · Justice sociale

Edito

La vague de la honte

Dans les hôpitaux, les maisons de repos, les communes et les CPAS, la deuxième vague de coronavirus est celle aussi du bénévolat. Cet appel massif pour répondre à la crise sanitaire pose problème.

© flickrcc telomi

Évidemment, il ne s’agit pas de blâmer l’engagement formidable de milliers de citoyens dans un contexte aussi difficile, mais, quand même, il y a dans cet appel quelque chose de cynique… Faire appel au bénévolat après avoir réduit depuis des décennies le personnel infirmier et lui avoir imposé des rythmes de rentabilité inhumains! Faire appel au bénévolat pour mieux occulter qu’une série de tâches essentielles font de plus en plus l’objet de conditions de travail dégradées, précaires et souvent mal payées! Mais doit-on s’en étonner quand le Premier ministre de ce pays, Alexander De Croo (Open VLD), lance que nous sommes «une équipe», fondant toute la stratégie contre cette pandémie sur la «responsabilité individuelle» et la «charité»?

Derrière le bénévolat, il y a toute une tension, celle d’un État qui n’a cessé de restructurer ses champs d’intervention pour être moins «providentiel», mais plus «actif». Dans un tel contexte, le bénévolat ne peut être que détourné de son sens. Raison pour laquelle, devant ce cynisme, il faut refuser cet enrôlement qui doit nous obliger collectivement à exiger des autorités, peu importe le niveau, qu’elles assument leurs responsabilités en n’inscrivant pas cet engagement volontaire dans l’élaboration d’une politique sociale. Le bénévolat devrait constituer non pas un palliatif aux ratés du système, mais un ajout à ce que nulle politique ne saurait donner, à savoir un rapport direct et gratuit entre les citoyens.

Derrière le bénévolat, il y a toute une tension, celle d’un État qui n’a cessé de restructurer ses champs d’intervention pour être moins «providentiel», mais plus «actif».

Et ce rapport est rendu vain dans le contexte actuel. Pour preuve ce témoignage de Yannis, bénévole dans un service d’accueil à Bruxelles. C’est un mardi soir, en plein deuxième confinement, et le bénévole s’attendait à ne voir que peu de monde, vu le couvre-feu et la présence accrue de la police dans les rues. «Mais c’est l’inverse qui se produit, nous sommes rapidement dépassés par les demandes», écrit-il sur Facebook. La soirée continue, et il faut chercher un endroit où dormir pour plusieurs personnes. «Mais je sais que cela ne sert à rien, que le Samusocial est saturé, que la Croix-Rouge aussi. Je ne peux rien faire d’autre que donner des couvertures de survie […]» Seule satisfaction, celle d’avoir trouvé une place pour la nuit à deux enfants de 14 et 15 ans. «Mais nous en avons laissé tellement sur le carreau, c’est une victoire au goût amer.»

Le bénévole rentre chez lui la rage au ventre, en pensant à ces décideurs «qui coupent dans les budgets de la santé, de l’éducation, du social». «Tout est question de choix: l’argent et les ressources mis dans des F-35 pourraient être mis dans la santé, l’argent et les ressources mis dans le maintien de l’ordre pourraient être mis dans le social […] Pour ma part, j’ai honte, honte de participer au fonctionnement d’un système qui me répugne, honte de m’habituer à cette misère, honte de n’être qu’un pansement sur une jambe de bois, honte de ne pas pouvoir faire plus. C’est à l’État de remplir ces missions, et les associations n’ont ni vocation ni les moyens de se substituer à l’État.» Honte, le mot est lâché, et, avec lui, la sensation insupportable qu’elle est visible de partout. Comme un tsunami.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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