« Humaniora –», une devise qui invite à « devenir plus humain », celle des Bénédictins de Bruges auprès desquels Patrick Masureel a suivides études secondaire. Devenu juriste, il la déclinera en s’associant à un bureau d’avocats qui privilégie le travail avec une clientèle de quartierpopulaire, à Schaerbeek.
« J’ai pratiqué beaucoup le droit des étrangers durant les premières années. Aujourd’hui, je m’occupe aussi des suites des accidents de roulage,de droit familial y compris international, et de logement », explique celui qui se présente d’emblée comme un généraliste.
Une vocation sociale qu’il explique par « une volonté de départ : aider les gens », qui préside au choix des études en droit. Et suffisammentancrée par la permanente « recherche du sens » distillée durant ses humanités pour survivre au matraquage universitaire. « Durant nos études, on nousservait un seul modèle : celui des gros cabinets d’affaires. Il n’y avait pas d’autre information sur les métiers d’avocat. »
Comprendre et faire comprendre
Chevillé à son envie, il s’est formé sur le tas à tout ce qui relève des « compétences relationnelles », pas moins absentes desfacultés, comme « répondre avec des mots simples qui traduisent les notions juridiques ». Un point commun avec les travailleurs sociaux de l’asbl « Les services sociauxdes quartiers 1030 », dont il est administrateur, qu’il rencontre tous les quinze jours pour répondre à leurs questions d’ordre juridique. « C’est un acquisprofessionnel important chez eux, cette capacité à être sur la même longueur d’ondes que les usagers. Parfois même le sont-ils un peu trop. J’essaie alorsde les amener à prendre un peu de recul et à comprendre les raisons, les motivations de telle ou telle règle juridique. »
Ces échanges le confirment dans son sentiment que les juristes ne sont pas du tout formés à la communication : « En matière de surendettement, lesproblèmes de communication sont énormes entre les personnes surendettées et les médiateurs, la plupart du temps des notaires, des avocats,… Il y aurait là unaspect structurel à réformer dans la loi sur le règlement collectif des dettes, notamment à travers la formation initiale et des formations complémentaires.»
Prendre du recul peut aussi aider à éviter le découragement. « Dans le droit des étrangers, on endosse l’histoire des gens ; face aux trèsfréquents refus de l’administration [de régulariser ou d’octroyer l’asile], on finit par éprouver un sentiment d’injustice. » Aujourd’hui,Patrick Masureel pratique moins ces dossiers, ou les délègue à son collaborateur.
« Pour de nombreux clients, le seul fait d’avoir mieux compris leur situation et d’avoir été entendus par quelqu’un qui parle en leur nom devant un jugeprocure une grande satisfaction, même s’ils perdent leur procès in fine. » Et si les tarifs sont adaptés à la bourse de chaque client, c’est lareconnaissance qu’ils témoignent généralement à leur conseil qui met du beurre dans ses épinards.
Le client, ni plus ni moins !
Son mémoire de master en 1996 à Leicester comparait les systèmes d’aides légales belge et britannique. Au Royaume-Uni, l’aide aux justiciables estalors généralisée depuis longtemps – grâce au principe de tiers payant appliqué à un très large public – et constitue un pilier del’État social. La Belgique d’alors ne dispose encore que du système du pro deo commis d’office parmi les stagiaires du barreau. Avec l’introduction desbureaux d’aides juridique (BAJ) en 1999, le champ des bénéficiaires s’élargit et le budget pour rémunérer les avocats augmente. De nombreux avocatsconfirmés s’inscrivent dans le système et en vivent. Pas lui. « Certains font cela très bien ; pour quelques autres, j’ai des doutes. C’est humain :lorsque l’on est payé par l’administration, on risque d’aller moins loin dans la défense des intérêts subjectifs du client. » Pendant ce temps, aupays de Tony Blair, l’ampleur du dispositif a été réduite parce qu’il était devenu impayable et que des dérives du type surconsommation leplombaient.
Défendre les intérêts subjectifs du client est devenu un leitmotiv pour celui qui affirme avoir peu de temps pour réfléchir à des solutionsstructurelles. « J’avais un certain goût pour cela durant mes études et mes premières années au barreau ; aujourd’hui, je me concentre sur les solutionspour mes clients. » Loin des grands débats publics, ce qui ne l’empêche pas d’avoir quelques petites idées pour améliorer le système.
Ainsi, de l’administration de l’Office des étrangers, dont la façon impersonnelle et impitoyable qu’elle a trop souvent de traiter les dossiers le choque. Pour uneadministration plus humaine, l’avocat plaide « en faveur d’une plus grande réduction des délais de procédure afin de réduire l’incertitude des demandeurs». Même s’il est conscient du risque de voir bâcler un plus grand nombre de demandes.
Juste, au milieu
Choquante aussi… « la légèreté avec laquelle certains demandeurs d’asile agissent. J’en connais qui ont fondé une famille ici presque dans leseul but d’être régularisé. » Autant il comprend les motivations économiques de certains migrants, autant il peut « se retrouver » dans laréglementation existante en Belgique en matière d’asile « dès lors qu’on ne peut pas adopter une politique de « frontières ouvertes ». » Même postureen matière de droit de bail : « Mes clients sont tant des locataires que des petits propriétaires ; je défends aussi des agences immobilières sociales contre deslocataires qui abusent du système conçu pour les aider. » En somme, l’abus est de tous les bords et la règle, la boussole la plus légitime.
À défaut d’avoir choisi un camp, l’avocat défend l’éthique de son métier : « si juridiquement, il y a un point à défendre, jevais jusqu’au bout » ; et l’assortit d’un penchant : « ce qui me correspond, c’est l’aide individuelle » ». Pour cela, il préfère ne rien devoir à personne. Doncgarantir son indépendance.