Le 8 mars dernier, date symbolique de la journée de la femme, a été inaugurée l’exposition photographique « Transit 51 », vies de femmes au Petit-Château. Un ouvrage a également été édité. Il montre le quotidien de cinq résidentes du plus grand et vieux centre d’accueil pour réfugiés de Belgique. Jamila, 23 ans, mi-éthiopienne et mi-érythréenne, Evgenia, 44 ans, originaire d’Ouzbékistan, et Marie, 60 ans, originaire de la République démocratique du Congo, reviennent sur leur vie dans un logis pas comme les autres.
Il y a un an, Julie Weyne, collaboratrice du service socioculturel du Petit-Château1, propose aux résidentes de participer à un atelier de photographie. L’objectif : photographier son quotidien. Cette activité va permettre à ces femmes de langues et d’horizons différents de se rencontrer, d’échanger, de « stimuler leur image de soi », de « se retrouver rien qu’entre dames ». La photographe Lisa Van Damme2 anime ces rencontres et demande l’autorisation de réaliser un portrait de l’une d’entre elles. Jamila acceptera rapidement, mais elles seront finalement cinq à apparaitre sur les clichés. Une manière d’enfin mettre des visages sur celles qu’on appelle les « demandeuses d’asile », un terme mal connu, connoté et qui cache surtout des femmes à part entière.
Un premier havre de paix
Ainsi, pour la première fois dans l’histoire du Petit-Château, une photographe a pu y résider. Elle a donc suivi Jamila, Camilje, Parandzem, Marua et Evgenia. Aux histoires et parcours différents, elles vivent toutes dans l’espoir d’une vie meilleure. Que montrent ces images ? À quoi ressemblerait l’existence dans cette ancienne caserne militaire dont la façade légendaire longeant le canal n’apparait sur aucun des clichés ? Parandzem travaille à la cantine du personnel, Camilje s’atèle aux tâches ménagères et s’occupe de ses trois enfants, Jamila se pomponne, Parandzem prie à genoux et tricote… Le point commun entre tous ces portraits ne saute pas aux yeux. Au milieu de leur famille, de leurs activités, elles sont ailleurs… pensives.
Dans l’ouvrage, on découvre Jamila endormie auprès de Sofo, son nourrisson. Enfermée par sa famille, car elle était tombée enceinte sans être mariée, elle a été contrainte de s’en aller. En fuyant le Soudan, elle a été séparée de sa mère. Pourtant, ses conseils avisés auraient été utiles à cette jeune maman, toujours apprêtée et maquillée. Jamila ne s’exprime qu’en anglais : « Sofo est née au Petit-Château, il est un peu la mascotte. Au début, je ne savais pas comment prendre soin de lui, à quelles heures le nourrir, comment faire sa toilette, ce genre de choses. » Là-bas, elle a trouvé de l’aide et s’est sentie moins isolée. Aujourd’hui, elle a déménagé du centre. « Mon nouveau logement est plus convenable pour mon fils, mais je me sens plus solitaire. Le Château était ma première maison, je ne connaissais rien d’autre, mais c’était très bruyant jusque tard en soirée et sale aussi. »
Surprise à l’arrivée
Evgenia, surnommée Jane, est souriante sur la première photo qu’on entrevoit d’elle. Elle semble confiante et indépendante. Pourtant, dans son pays d’origine, l’Ouzbékistan, elle ne sortait jamais, ni ne regardait par la fenêtre. Jane est très reconnaissante. Difficile pour elle de critiquer le pays qui l’a accueillie et le centre où elle a résidé. Ses propos sont traduits par son amie Karine, originaire d’Arménie. « Les moments les plus durs sont derrière moi. J’étais très démoralisée, stressée mais étonnamment, je dormais bien la nuit. Je savais que quelque chose de meilleur m’attendait. » C’est pourtant une Jane éveillée et préoccupée que l’on découvre allongée sur l’un des clichés. « Chez moi tout était caché, ici tout est trop ouvert. Je pensais connaître l’Europe de ce que j’en avais vu à la télévision. Mais quand je suis arrivée ici, j’ai été surprise. J’ai eu peur de cette nouveauté. » Aujourd’hui, Jane a été reconnue comme réfugiée politique et ne vit plus au Château. « Je souhaite vivre tranquillement, apprendre et avoir une vie normale. »
Marie, 60 ans, originaire de la République démocratique du Congo, a quitté l’institution en mai 2012. Elle y a vécu neuf mois. Arrivée très malade en Belgique, elle a été soignée au centre. Elle a également participé aux ateliers photo. « Ces rencontres nous occupaient et ont contribué à notre épanouissement personnel. Pendant cette activité, nous pensions moins à l’attente de la demande. » L’un de ses clichés est par ailleurs repris dans les quelques pages centrales de l’ouvrage réservées aux images réalisées par les résidentes lors des ateliers. Une partie de livre trop peu exploitée. Marie est très fière de sa photographie. « J’ai aussi rédigé un poème sur le Petit-Château. »
La préface du livre a été rédigée par Hafida Bachir, présidente de l’association Vie féminine. Elle y explique que le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) base en grande partie sa décision sur la situation générale du pays natal sans s’attarder assez sur les spécificités des problèmes rencontrés par les femmes ou l’inexistence de leurs droits fondamentaux. Elle plaide pour une reconnaissance des persécutions spécifiques faites aux femmes comme motif d’octroi à l’asile.
1. Centre du Petit-Château :
– adresse : bd du 9e de Ligne, 27 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 250 05 11
– courriel : info.petitchateau@fedasil.be
2. « Transit 51 – Vies de femmes au Petit-Château », Ouvrage, édition Lannoo, Lisa Van Damme, Julie Vanstallen, Julie Weyne. Exposition au GC De Markten jusqu’au 31 mars 2013.