Il est présenté comme le « document suprême ». Le nouveau Schéma de développement de l’espace régional (Sder) entame sa dernière ligne droite avant son adoption définitive par le gouvernement au printemps 2014. Il innove, notamment en matière de lutte contre l’étalement urbain. Mais reste aussi fragile, tant la Wallonie peine à faire émerger une vision commune pour l’avenir de la Région.
Dans les 25 ans à venir, où construire les 320 000 logements nécessaires pour faire face à l’augmentation de la population wallonne ? Comment organiser les réseaux de trains et de bus ? Où implanter en priorité les activités économiques ? Voilà le genre de questions auxquelles un Schéma de développement de l’espace régional (Sder) a pour vocation de répondre. Ce document stratégique dessine les grandes orientations à suivre en matière d’aménagement du territoire, de l’habitat aux transports, en passant par l’environnement et la gestion du patrimoine. Il se destine à être la couche suprême de ce millefeuille qu’est la réglementation urbanistique en Région wallonne, faite d’innombrables plans et prescrits. Il n’a pas de valeur contraignante mais, comme le note Inter-Environnement Wallonie, son caractère indicatif oblige en principe tous les porteurs de projet à en respecter la philosophie.
Exercice compliqué
Depuis le début de cette législature, ce document, dont la version précédente datait de 1999, est réactualisé. C’est que les défis ont changé. Démographie, mobilité, énergie, cohésion sociale, emploi, climat : une nouvelle approche était nécessaire. C’est la deuxième fois dans son histoire que la Wallonie se prête à cet exercice de prospective territoriale. Yves Hanin, directeur du Centre de recherches et d’études pour l’action territoriale de l’UCL (Creat), rappelle que l’idée de créer une vision régionale remonte aux années 70, mais qu’il a fallu attendre la fin des années 90 pour que le premier Sder soit produit. « Le Sder de 1999 était en réalité le quatrième essai, ce qui montre bien la difficulté. »
Construire une vision commune de l’avenir du territoire wallon n’est pas une mince affaire. Yves Hanin pointe le manque de culture urbanistique de la population. « Le Wallon est anti-urbain. Il est très pris dans les préoccupations de sa rue, de son quartier. Sa culture urbanistique est défensive et négative. Elle se résume à : pas dans mon jardin ! On le voit avec la question des éoliennes et les levées de boucliers systématiques lors des grands chantiers urbanistiques. » Le directeur du Creat évoque aussi la difficulté, au niveau politique, de sortir d’une vision sectorielle de l’aménagement du territoire. « Certains mandataires considèrent encore que l’aménagement du territoire consiste uniquement à délivrer des permis. Au lieu de le voir comme un instrument de politique globale qui intègre les questions d’environnement, d’agriculture, de mobilité, d’économie. »
Le cabinet du ministre wallon de l’Aménagement du territoire, Philippe Henry (Ecolo), a dû composer avec ce contexte spécifique pour piloter le processus d’élaboration du nouveau Sder. Le projet s’est construit avec l’appui d’une multitude d’acteurs impliqués de manière formelle et informelle à différents stades : des chercheurs de la Conférence permanente du développement territorial, qui ont élaboré un diagnostic territorial ; l’Institut Jules Destrée, qui a réalisé des scénarios prospectifs ; des bureaux privés, qui ont participé à la rédaction de rapports intermédiaires et du document final ; sans oublier les communes, les Commissions consultatives en aménagement du territoire (CCATM), les administrations régionales…
Dynamique citoyenne
Fait important, la population a également été sollicitée en 2011, à travers « les ateliers du territoire », une vaste campagne de sensibilisation et de consultation. Environ 1 200 personnes ont pris part à cette action, la grande majorité via les questionnaires, les autres en participant à des ateliers citoyens organisés par les maisons de l’urbanisme. En dehors de ce cadre, des associations, parmi lesquelles Inter-Environnement Wallonie, le Mouvement ouvrier chrétien, l’Union wallonne des entreprises ou encore le Conseil wallon de l’égalité hommes-femmes, ont également remis des avis assortis de propositions.
Si l’évaluation a montré que c’était surtout des personnes déjà sensibilisées aux enjeux territoriaux et environnementaux qui ont participé, cet effort du ministre en matière de participation est assez unanimement salué. « Il a mis en place, assez tôt dans le processus, une démarche d’information et de consultation. C’est un élément remarquable par rapport à d’autres procédures similaires où elle arrive toujours trop tard », constate Pierre Fontaine, de l’Institut de gestion de l’environnement et de l’aménagement du territoire (ULB). Chez Inter-environnement Wallonie, Benjamin Assouad confirme : « Depuis des années, nous menons un combat contre l’urbanisme de cabinet. C’est une initiative heureuse d’impliquer le public, même si la participation aurait pu être poussée plus loin. » Il déplore ainsi que les associations aient été écartées des discussions lors des derniers stades de production du Sder. Du côté du cabinet, on reconnaît une difficulté à maintenir cette dynamique citoyenne sur la longueur, « compte tenu des différentes étapes et de la complexité de la matière ».
Lutter contre l’étalement urbain
Le résultat de tout ce processus est un document d’environ 200 pages, proposant des objectifs, des mesures pour les mettre en oeuvre et plusieurs cartes présentant la structuration future du territoire. Le Sder est porté par une idée centrale : la lutte contre l’étalement urbain, un véritable mal wallon qui plombe les finances publiques, détruit les paysages et encourage l’usage intensif de la voiture.
« L’aménagement de nos villes et nos villages sera tel qu’en 2020, plus de 80 % de nos déplacements de courte distance se feront à pied », promet le Sder. À de multiples reprises, l’intention est affichée de densifier les noyaux d’habitat et d’y regrouper les services, de mieux maîtriser le trafic automobile en encourageant la mobilité douce et en renforçant les réseaux de transports publics. Il propose de structurer la Wallonie autour d’un maillage de pôles, de bourgs et de villages centraux, et encourage une vision à l’échelle supra-communale, autour de « bassins de vie », où les communes pourraient collaborer et jouer la complémentarité.
Ceux qui suivent le dossier s’accordent pour saluer les avancées notables, en particulier la politique de renforcement des centralités. Ils reconnaissent aussi la volonté manifeste de vulgariser le contenu et de le rendre accessible, notamment grâce à une plus grande clarté dans la structure du document. Du côté du cabinet Henry, on se montre satisfait : « Cette nouvelle version du Sder s’est systématiquement montrée plus ambitieuse et concrète que celle de 1999, à l’exception de ce qui concerne la nature, estime David Morelle. Il est beaucoup plus opérationnel, avec des objectifs chiffrés, des cartographies plus nombreuses dans la structure territoriale. C’est un document évaluable grâce à un set d’indicateurs. »
Compromis politique
Le nouveau Sder va-t-il pour autant impulser une nouvelle dynamique sur le territoire wallon ? Rien n’est moins sûr, car le document a aussi ses faiblesses. L’association Urbagora, qui a participé à l’enquête publique, pointe une absence de priorisations claires qui déforcent le document. Alors que le nombre de terres disponibles n’est pas extensible, par exemple, le Sder ne tranche pas clairement le sort de l’agriculture. « La situation particulièrement inquiétante des exploitations agricoles devrait inciter à plus d’ambition. »
L’association met aussi en évidence le flou qui entoure le type d’économie souhaitée. Il est vrai que le Sder donne parfois l’impression de faire le grand écart entre plusieurs modèles de développement. Les ambiguïtés sont particulièrement palpables dans la partie consacrée au développement économique, où il est question d’augmenter la « compétitivité », de renforcer les aéroports régionaux, « éléments d’attractivité majeurs », et de positionner la Wallonie comme une « région d’accueil des activités de l’économie mondialisée ». Enfin, Urbagora dénonce certains tours de passe-passe sans fondements scientifiques dont l’unique but serait de ménager les susceptibilités des différents fiefs wallons. À travers le Sder, le sous-régionalisme continue ainsi à apparaître comme une composante forte de la politique wallonne.
« Oui, il y a eu des compromis, concède David Morelle. C’est normal. Le Sder concerne un grand nombre de thématiques gérées par les autres ministres. Il ne correspond pas au projet politique du ministre seul. Pour assurer la mise en oeuvre du Sder sur le terrain, il est indispensable qu’il fasse l’objet d’une large appropriation, et donc des compromis nécessaires. »
Mais en plus de la difficulté à faire émerger une vision commune, c’est aussi du côté de l’opérationnalisation du document que les questions se posent. À Bruxelles, le Plan régional du développement durable, équivalent du Sder, est porté par le ministre-président de la Région et en France, l’aménagement du territoire est une compétence qui relève du premier ministre. En Wallonie, Yves Hanin, directeur du Creat, constate une absence de cohésion politique autour du projet. « Le Sder de 1999 était porté à la fois par le ministre de l’Aménagement du territoire et le ministre-président de la Région wallonne. Ce qui n’est pas le cas cette fois-ci. On voit bien que l’aménagement du territoire est encore considéré comme une politique sectorielle, et non globale et intégratrice. » Et de souligner qu’en Wallonie, tout le monde a son plan : « Marcourt a le plan Marshall 2.vert, Nollet sa stratégie wallonne de développement durable, Demotte le plan Horizon 2022. »
L’association Inter-environnement Wallonie identifie aussi un autre problème : le manque d’outils pour faire atterrir le Sder sur le terrain. « C’est un malaise important, souligne Benjamin Assouad. De manière générale, le Sder évoque de nouvelles organisations pour lesquelles on plaidait depuis longtemps. Mais il comporte aussi des propositions qui ne correspondent parfois à rien au niveau institutionnel. On ne parle pas, par exemple, du rôle des provinces. » Il attire l’attention sur l’articulation du Sder avec le Code du développement territorial, anciennement Cwatupe, qui a également été actualisé au cours de cette législature. « Pour que les innovations du Sder puissent se matérialiser, elles doivent trouver écho dans le Code. Or, il y a un manque de cohérence entre les deux outils. » Au lieu d’être une feuille de route pour l’ensemble du gouvernement, le Sder court ainsi le risque d’être un document dans lequel on va aller piocher « quand cela arrange ». Il y a donc encore du pain sur la planche avant que le Sder puisse atteindre un véritable niveau d’opérationnalité et qu’il devienne un outil de politique globale. Reste à espérer que le défi soit relevé lors de la prochaine législature.
Alter Échos n° 359 du 07.05.2013 : Nouveau souffle pour le territoire wallon
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http://sder.wallonie.be