L’action en cessation est une procédure judiciaire qui contraint un propriétaire à mettre fin à la vacance immobilière de son bien. D’application à Bruxelles depuis 2009 et en Wallonie depuis 2017, son recours reste pourtant très limité.
En octobre, la Ville de Huy a décidé de lancer une action en cessation pour lutter contre les immeubles inoccupés d’un propriétaire foncier actif dans la région. Celui-ci, depuis un certain temps, laisse à l’abandon une partie de son patrimoine, soit une vingtaine de logements. Pour les autorités communales, les bâtiments sont source de nuisances. La Ville en a d’ailleurs muré l’accès à la suite de la visite de pompiers ayant jugé les lieux dangereux. Cette décision est surtout une première en Wallonie. La commune s’appuie sur un décret du 1er juin 2017 réformant le Code wallon du logement et de l’habitat durable pour mener cette action. La procédure judiciaire permet au tribunal de constater l’inoccupation d’un logement et d’ordonner des mesures visant à y mettre fin. Le tribunal pourrait par exemple contraindre le propriétaire à faire le nécessaire afin d’assurer l’occupation de ses bâtiments ou de les revendre.
S’il s’agit d’une première en Wallonie, plusieurs actions en cessation ont déjà été lancées à Bruxelles où la procédure existe depuis 2009. «Confrontée à une vacance immobilière persistante, que ne sont pas parvenus à éradiquer les différents mécanismes adoptés à cet effet (réquisition fédérale, droit de gestion régional, taxes communales), la Région bruxelloise a décidé voilà huit ans de promulguer une ordonnance fondatrice, qui à la fois érigeait l’inoccupation en infraction administrative, amende à la clef, et instaurait une action en cessation», explique Nicolas Bernard, professeur de droit à l’Université Saint-Louis.
«La procédure a été assez longue, alors qu’en principe, vu qu’il s’agit d’une action en référé, cela dure deux jours.» Anne Bauwelinckx, RBDH
Ouverte à tout opérateur immobilier public ainsi qu’à une série d’associations agréées, l’action en cessation permet au juge de requérir du propriétaire du bâtiment abandonné qu’il «prenne toute mesure utile afin d’en assurer l’occupation dans un délai raisonnable», de quelque manière que ce soit (occupation personnelle, mise en location, vente, etc.). Cette procédure recèle une double vertu, selon Nicolas Bernard: «La rapidité puisqu’elle s’instruit comme en référé, dans les deux jours donc, et son pouvoir dissuasif, dès lors que le juge est libre d’assortir sa décision d’une astreinte, somme d’argent à payer par jour de retard mis à s’exécuter.»
Trois cas en huit ans
En 2012, la Ville de Bruxelles se lançait la première dans une telle action contre un propriétaire. Grâce à cette procédure, l’immeuble fut remis en état en deux mois. Plus récemment, en juin dernier, la commune de Molenbeek faisait condamner un propriétaire à rénover et occuper ses logements vides dans les six mois.
Mais les associations jouent aussi un rôle en la matière. En novembre 2014, le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH) a introduit une action en cessation afin de faire réoccuper un immeuble de logements vides situé à Ixelles. Le jugement avait fini par ordonner au propriétaire de réaliser les travaux nécessaires et d’assurer cette occupation sous peine d’astreintes. Résultat: quatre adultes et trois enfants sont désormais domiciliés à cette adresse.
Si cette procédure dispose théoriquement de deux avantages – simplicité et rapidité, dans les faits, les choses n’ont pas toujours été aussi simples. Dans le cas du RBDH, près d’un an s’est écoulé entre la mise en demeure initiale et le jugement, sans que la situation évolue réellement. «À chaque fois, le propriétaire promettait toute une série de travaux, sans les exécuter. La procédure a été assez longue, alors qu’en principe, vu qu’il s’agit d’une action en référé, cela dure deux jours. Dans notre cas, le tribunal a permis à deux reprises au propriétaire un délai de plusieurs mois pour terminer des travaux prétendument entamés. Dans les actions menées par Bruxelles et Molenbeek, le tribunal a été bien plus rapide», reconnaît Anne Bauwelinckx, du RBDH.
Le Rassemblement a dû aussi collecter toute une série de preuves pour démontrer la vacance de l’immeuble, en demandant des informations à la commune et à la Région. «Ce qui rend une action en cessation menée par une commune beaucoup plus efficace, parce qu’elle dispose de nombreuses informations sur l’occupation ou pas d’un bien, éléments qu’une association a plus de mal à obtenir», poursuit Anne Bauwelinckx.
Bon outil, mais pour qui?
Le RBDH plaide d’ailleurs pour que l’action en cessation soit davantage utilisée par les communes, «mais celles-ci privilégient la concertation avec le propriétaire. Elles utilisent aussi d’autres outils plus légers, du moins qui n’engagent pas une action en justice, comme les taxes communales ou les amendes régionales», continue Anne Bauwelinckx. Rien d’étonnant à ce que l’action en cessation, malgré ses qualités, soit si peu utilisée. «Tout simplement parce que cette procédure doit s’appliquer aux cas les plus graves, et manifestement aux propriétaires de mauvaise volonté, laissant leurs logements vides depuis plusieurs années», ajoute-t-elle.
De son côté, Nicolas Bernard rappelle toutefois que «chaque fois que l’action en cessation a été mise en branle, cela s’est toujours soldé par un succès pour les autorités ou les associations avec dans le chef du propriétaire une remise du bien sur le marché».
Néanmoins, il reconnaît que toutes les communes ne se sont pas ruées sur cet outil. «Elles n’ont pas le réflexe de l’action en cessation parce qu’elles se disent que la région va intervenir. Certaines ont délégué en effet ce contrôle sur la vacance immobilière à la Région, en supprimant leurs taxes sur les logements inoccupés comme l’ont fait la moitié des communes bruxelloises au profit de l’amende régionale», relève le professeur de droit.
«Ce n’est pas une procédure qui doit être portée par le secteur associatif, mais bien plutôt par les communes., Maria Krislova, FéBul
Mais s’il y a une déception à pointer, à entendre Nicolas Bernard, c’est dans l’usage de l’action en cessation fait par les associations. «L’action a été créée pour permettre à celles-ci d’agir en justice et là, l’occasion est ratée. Cela dit, les associations sont avant tout des lanceurs d’alerte et ne sont pas toujours outillées pour traquer l’inoccupation. C’est un job en soi…», admet-il.
Ainsi, beaucoup d’associations bruxelloises se montrent attentistes quant à l’usage de l’action en cessation. L’expérience du RBDH y étant pour beaucoup. «C’est une piste intéressante, mais on se réserverait cette possibilité pour des cas emblématiques, des coups de com avec des propriétaires pour lesquels tout a été fait auparavant, sans que rien n’aboutisse», reconnaît Maria Krislova, conseillère juridique à la FéBUL, la Fédération bruxelloise de l’Union pour le logement. «Même si c’est une action rapide, cela demande beaucoup d’énergie. C’est un travail vraiment important pour une association, comme l’a montré l’action menée par le RBDH. Selon nous, ce n’est pas une procédure qui doit être portée par le secteur associatif, mais bien plutôt par les communes», continue Maria Krislova.
Que ce soit la FéBUL ou le RBDH, chacune des associations rappelle surtout que l’arsenal bruxellois pour lutter contre les biens inoccupés est plus que complet. «Mais la vraie question est celle de leur application et la volonté qu’ont les communes à lutter contre les logements inoccupés», constate avec regret Anne Bauwelinckx, du Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat.
En savoir plus
«Lutte contre les logements vides: un proprio contraint d’assurer l’occupation de son bien», Alter Échos (Web) 28 janvier 2016, Manon Legrand.