Les journalistes ont joué un rôle central dans cette crise sanitaire sans précédents et rythmée par les incertitudes.
Les données ont été, pour eux, une manière "d’objectiver" la situation. Comment les ont-ils abordées ? Comme leur ont-ils donné du sens ?
Johanne Montay, responsable des rubriques sciences, santé, innovation et environnement à la RTBF raconte : "Face à une situation qui est très émotionnelle, difficile à comprendre, qui ne donne aucune perspective et où l’on ne sait pas où l’on va, et bien on a besoin de se raccrocher à des éléments tangibles".
Les éléments tangibles dont il est question ici, ce sont les données qui sont collectées puis transmises par l’institut de santé public Sciensano.
Les rapports publiés par Sciensano constituent une source d’information chiffrée précieuse à laquelle les journalistes ont eu largement recours depuis le mois de mars dernier.
"Les chiffres donnent toujours une impression d’objectivation. Et je dis bien “impression”, parce que ça dépend de comment on les interprète et on les analyse. Déjà nous-mêmes, à la base, avons dû nous plonger là-dedans car ce n’est pas le genre de trucs qu’on faisait tout le temps. Mais l’important c’est de pouvoir accompagner dans la lecture et donner les grilles de lecture des graphiques en accompagnement". nous confie Johanne Montay. "Au départ de cette inflation de chiffres qui arrivent, et bien, le travail journalistique consiste à bien les traiter et donner les chiffres qui sont pertinents à un moment donné. Il y a les chiffres et il y a être capable de les lire, de les analyser et de les interpréter", poursuit-elle.
L’utilisation des données permet de légitimer la parole des journalistes face à un public parfois très critique vis-à-vis des informations liées à l’épidémie.
David Domingo chercheur et président du master en journalisme de l’Université Libre de Bruxelles(ULB) explique le phénomène : "Il semblerait que, pour les journalistes, il est rassurant de mobiliser des données chiffrées car cela permet d’aborder le sujet de manière concrète alors que c’est un sujet qui est assez débordant". Il est arrivé à plusieurs reprises que des journalistes fassent des interprétations biaisées des chiffres recensés : "Un des constats c’est que les journalistes ne prennent pas assez de recul par rapport à ces chiffres. Par rapport à comment ils ont été construits et par rapport à comment ils représentent fidèlement les tendances et éventuellement justifient, ou pas, des décisions politiques",
poursuit David Domingo.
Yves Coppieters, expert propulsé sur le devant de la scène médiatique depuis le début de la pandémie témoigne depuis son
point de vue de chercheur en épidémiologie et de professeur de santé publique à l'ULB : "Je trouve que les médias on fait
des progrès énormes depuis la première vague car ils n’avaient pas la culture de l’analyse des chiffres. Ils n’avaient pas
encore des spécialistes de santé, ou des spécialistes d’analyse d’épidémie, et ils ont fortement évolué. On voit que depuis
la seconde vague, des journalistes se sont spécialisés et ont réussi à mieux expliquer la crise. Les médias se sont
professionnalisés sur un sujet qu’ils ne connaissaient pas et ne maîtrisaient pas au tout début. Par contre,
je trouve que les médias restent très ancrés dans le présent. C’est-à-dire qu’ils racontent au jour le jour les nouvelles,
et c’est leur métier, mais ils n’évoquent pas l’après Covid-19".
Ces journalistes qui se sont spécialisés et dont parle Yves Coppieters, Johanne Montay y fait aussi référence :
"Chez nous, l’expert c’est Xavier Lambert, il est à la rédaction web et publie des commentaires d’interprétation.
Un peu comme le fait Xavier Counasse à Le Soir. L’idée est de donner un peu la teneur de l’article du jour sur les chiffres".
Dans le traitement de cette crise, une place importante est également donnée à l’expertise. David Domingo
nous en explique les fondements : "Les chiffres en open data donnent du pouvoir aux journalistes pour mieux traiter le sujet, en les aidant à se poser des questions pertinentes, être autonomes et aller plus loin, mais je dirais que ça ne devrait pas leur laisser penser qu’ils n’ont plus besoin de contacter les experts. Je pense que ce regard-là (celui des experts) est très important pour apporter de la hauteur aux débats".