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Regard critique · Justice sociale

L'alcool, les jeunes, la pub : petit cocktail détonnant

Martin de Duve, d’Univers santé, décrit le lien entre publicité et consommation d’alcool chez les jeunes

Univers Santé1 constate que les jeunes ont changé d’attitude vis-à-vis de l’alcool. Plus qu’avant, ils valoriseraient l’ivresse et adopteraient des comportements à risque. Pour Martin de Duve, directeur de l’association, la publicité est en partie responsable de cette situation

Alter Echos : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi Univers santé s’est intéressé à la problématique de l’alcool chez les jeunes ?

Martin de Duve : C’est en 2003 qu’Univers santé a créé un groupe de travail constitué de onze associations pour se pencher sur ce thème. A l’époque, bien peu de structures s’en préoccupaient. Un peu comme si on oubliait que l’alcool est la drogue la plus utilisée chez les jeunes. La réflexion de ce groupe tournait autour d’une idée : favoriser des contextes de consommation moins problématiques. Notre idée était de travailler auprès d’adultes relais qui font de la prévention, qu’il s’agisse d’enseignants, d’animateurs, d’éducateurs. L’autre volet de notre travail, qui, aujourd’hui, constitue l’essentiel de nos activités, est de faire du contre-lobbying sur ces questions. Une tâche très difficile face à la puissance du lobbying des producteurs d’alcool. Ces derniers font un véritable travail de sape, via la publicité, sur le travail éducatif.

Alter Echos : On entend généralement que les « jeunes d’aujourd’hui » ont des comportements bien plus extrêmes lorsqu’ils consomment de l’alcool. Partagez-vous sentiment ?

MdD : Des jeunes qui boivent de l’alcool… le phénomène a toujours existé et existera toujours. C’est son ampleur qui change ainsi que les représentations qui y sont associées. Nous sommes basés à Louvain-La-Neuve, dans un contexte étudiant. Il y a dix ans, nous avions déjà l’impression que les comportements se modifiaient, qu’ils évoluaient vers une banalisation de l’ivresse, voire vers une valorisation. Des pratiques commerciales agressives émergeaient. Les produits se diversifiaient, avec l’apparition des « alcopops », ces mélanges d’alcool et de boissons sucrées. Notre idée alors était d’objectiver ces tendances.

AE : Quelles étaient vos premières observations ?

MdD : Le premier constat était que l’alcool était le parent pauvre de la prévention en matière de drogues. Quant à la modification des pratiques de consommation, nous avons vite fait le lien avec la modification des pratiques commerciales.

AE : De quelle manière les pratiques commerciales ont-elles changé ?

MdD : Les marques sont désormais très présentes sur les réseaux sociaux. Elles font des campagnes ciblées sur les jeunes. De nouvelles techniques marketing que l’on appelle « Below the line » se sont développées. Elles ne passent pas par les médias classiques. Ces derniers ne reçoivent plus que 30 % des investissements publicitaires. Tout le reste, les 70 %, passent sur les réseaux sociaux, dans le « street marketing », la création de « buzz », le placement de produits ou le packaging.

AE : Pourquoi viser les jeunes ?

MdD : De manière générale, les gens boivent de moins en moins d’alcool. Les alcooliers doivent donc développer de nouveaux marchés. Ils ont cherché à conquérir les femmes et les jeunes. Toute une série de nouveaux produits – plus sucrés, plus colorés ou estampillés « light » – sont apparus.

Alcool et jeunes, quelques chiffres

En avril 2010, le Crioc publiait sa dernière étude sur la consommation d’alcool chez les jeunes de 10 à 17 ans. Où l’on découvrait que deux tiers du panel de jeunes interviewés avaient déjà bu de l’alcool. Une consommation qui commence très jeune. L’âge moyen du premier verre est de 11 ans et demi. C’est généralement le père du jeune qui lui a offert son premier verre.

Chez les plus jeunes buveurs, ceux de treize ans, on préfère les fameux « alcopops » – mélanges d’alcool et de boissons sucrées – juste devant la bière.

41 % des jeunes avouent avoir eu une perte de mémoire suite à la consommation d’alcool. Dans l’étude précédente du Crioc (en 2006), ils n’étaient que 15 %.

« L’alcool devient le centre de la fête »

AE : La publicité seule n’est tout de même pas responsable des comportements excessifs ou d’expérimentations qui peuvent aller de pair avec la jeunesse ?

MdD : Bien sûr, il y a d’autres éléments à prendre en compte, comme les phénomènes de mode par exemple. Mais la publicité a un impact important sur nos représentations. La mise en scène de l’alcool dans la publicité augmente ces comportements à risque.

AE : Dès lors, le rapport des jeunes à l’alcool en aurait été modifié…

MdD : On associe plus qu’avant alcool et fête. L’alcool n’est plus un élément de la fête, il en devient le centre. On ne se dit plus « Je vais passer une bonne soirée et peut-être que je vais boire un peu trop », mais « Je vais boire trop, donc je passerai une bonne soirée ». Les prises de risques sont plus importantes et notre travail est d’essayer d’enrayer ce phénomène.

AE : Ce type de message ne risque-t-il pas de faire « donneur de leçon » auprès des jeunes ?

MdD : Attention, notre but n’est certainement pas d’empêcher de boire. Mais plus simplement de s’assurer que ceux qui boivent sont conscients des risques. L’idée est aussi qu’ils prennent conscience de leurs propres compétences sociales et relationnelles. Il faut sortir de la prévention classique telle qu’elle est pratiquée depuis vingt ou trente ans, en travaillant autour de la réduction des risques. En mettant en valeur des comportements positifs et en construisant le message avec les publics concernés. Nous évitons de tomber dans l’injonction directe. La meilleure prévention chez les jeunes est de développer l’esprit critique, le bien-être, la promotion de la santé.

AE : Pourquoi n’est-il pas si évident de parler d’alcool avec les jeunes ?

MdD : L’alcool est notre drogue culturelle par excellence. Nous sommes tous consommateurs. Il n’est donc pas toujours évident de se positionner clairement. Nous avons tous une relation paradoxale et ambiguë avec le produit et avec les jeunes. Les parents se sentent parfois démunis face à la consommation de leurs enfants.

AE : La publicité en la matière n’est pas vraiment cadrée en Belgique…

MdD : La Belgique, au niveau législatif, est plutôt mal lotie. Il y a bien quelques règles, inscrites dans une convention qui réglemente la publicité pour l’alcool (NDLR convention en matière de publicité et de commercialisation des boissons contenant de l’alcool), mais il n’y a pas de loi. Et ces règles ont été rédigées par le secteur des alcooliers ; certes, avec une présence de Test-Achat et du Crioc. Cette convention reste un catalogue de bonnes intentions. Mais ce qui interpelle, c’est que le contrôle de l’application de cette convention est confié au Jury d’éthique publicitaire, composé en grande partie… de publicitaires. Les braconniers sont les gardes-chasse. Même les membres de la société civile de ce jury sont choisis par le JEP. C’est un système qui n’est absolument pas transparent. C’est pourquoi nous plaidons pour la création d’un Conseil Fédéral de la publicité, qui serait indépendant et contraignant.

AE : Que préconisez-vous face à la publicité pour l’alcool ?

MdD : Nous sommes favorables à une interdiction des publicités pour l’alcool. C’est le seul psychotrope pour lequel la publicité est autorisée. Alors que son impact sanitaire et social est énorme. En Belgique, environ 1 million de personnes ont un problème avec l’alcool. Cela coûte six milliards par an en soins de santé, en accidents alors que l’alcool ne rapporte que 600 à 700 millions d’euros par an à l’Etat.

1. Univers santé :
– adresse : place Galilée, 6 à 1348 Louvain-La-Neuve
– tél. : 010 47 28 28
– courriel : univers-sante@uclouvain.be
– site : http://www.univers-sante.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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